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Protection des consommateurs
Procédure européenne de règlement des petits litiges : méconnue, difficilement applicable et coûteuse en traduction
24-09-2012


comm-petits litigesLe règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 a institué une procédure européenne de règlement des petits litiges, entrée en vigueur le 1er janvier 2009.

C'est l'une des mesures adoptées dans le cadre de la politique de l'Union européenne en matière de justice, spécialement conçue pour aider les consommateurs à faire reconnaître leurs droits et leur garantir l'accès à la justice dans les affaires transfrontalières.

Cette innovation visait à améliorer et à simplifier les procédures en matière civile et commerciale en ce qui concerne les litiges portant sur un montant qui n'excède pas 2 000 euros. Elle devait à la fois faciliter l'accès à la justice et en réduire les coûts, enjeu central au regard des sommes "modérées" à l'origine du litige.

La procédure de règlement des petits litiges est une procédure écrite, sauf dans les cas où une audience est jugée nécessaire par la juridiction, et s'appuie sur quatre différents formulaires types.  La procédure est en effet pensée pour aboutir à une résolution rapide du litige.

En trois mois, le litige doit avoir fait l'objet d'un jugement, si aucun arrangement à l'amiable, auquel le tribunal est censé d'abord œuvrer, n'a pu être trouvé. En effet, après que le plaignant a transmis la demande depuis la juridiction de son pays, la juridiction réceptrice, dans l'autre Etat membre, remplit à son tour un formulaire de réponse, qui doit être signifié ou notifié au défendeur dans les 14 jours, par voie postale avec accusé de réception daté. Le défendeur dispose alors de 30 jours pour répondre à son tour. La juridiction transmet alors, dans les 14 jours, une copie de la réponse accompagnée au demandeur. Enfin, dans les 30 jours suivants, la juridiction est tenue de rendre une décision.

Cependant, le règlement permet au juge de demander des informations supplémentaires ou de convoquer les parties pour une audition. Cela peut augmenter le délai de deux mois mais conduit aussi à certaines difficultés étayées dans le rapport (lire plus bas).

Le règlement, lequel ne s'applique pas aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité d'État, s'applique entre tous les États membres de l'Union européenne, à l'exception du Danemark.

Dans le communiqué de presse qu'elle a publié à cette occasion, la Commission européenne conte, pour vulgariser les vertus du règlement, l'histoire d'un consommateur autrichien qui avait commandé des vêtements de surf sur un site internet allemand. "Il avait par avance versé 228 euros par virement bancaire. Le vendeur ne lui a jamais livré les vêtements et n'a pas remboursé le prix payé. Sur les conseils du CEC Allemagne, le consommateur a entamé une procédure européenne de règlement des petits litiges. La juridiction autrichienne compétente (Linz) a rendu un jugement favorable au consommateur, que les autorités allemandes de Charlottenburg ont fait appliquer. Le consommateur a ensuite obtenu le remboursement de la somme versée." L'issue de la procédure n'est toutefois pas toujours si heureuse...

L'enquête met au jour de nombreuses lacunes

Le rapport réalisé par le Réseau des Centres européens de consommateurs ("ECC-Net")  met au jour une série de difficultés qui expliquent que cette nouvelle procédure n'ait pas exaucé tous les espoirs placés en elle.

L'enquête s'est heurtée à des problèmes de données qui éclairent un premier problème : la confidentialité qui entoure encore cette procédure, plus de trois ans après son entrée en vigueur. En effet, les ECC n'ont pas pu obtenir d'informations auprès de 47 % des instances nationales. Quand elles sont disponibles, elles révèlent le faible recours à cet instrument. Seul 12 % des instances ont connu plus de cinq cas alors que 17 % n'en ont connu aucun, 24 % furent confrontés à 1 à 5 cas et 12 % à plus de 5 cas  depuis le début de la mise en place de la procédure.

Le "manque de connaissance parmi les juges et le manque d'information et d'assistance pour les consommateurs" est l'explication principale du faible nombre d'affaires enregistré. L'enquête menée par le Réseau ECC révèle que 47 % des cours et des juges de tous les Etats membres ne connaissaient pas l'application de cette procédure. Mais "le plus regrettable est (…) le fait que l'autre moitié qui en a connaissance n'est pas bien informée des détails et principes de la procédure", lit-on dans le rapport. "En conséquence, les consommateurs sont rarement capables d'obtenir les informations nécessaires et pertinentes sur [cette] procédure."

Les cours et tribunaux qui fournissent des informations, ne donnent pas le formulaire adapté pour lancer la procédure. Cet état de fait entre en contradiction avec le paragraphe 5 de l'article 4 du règlement et serait d'autant moins excusable que le site de l'Atlas judiciaire en matière civile fournit ces données. Par ailleurs, dans 41 % des cas, l'assistance au cours de la procédure exigée par l' article 11 n'est pas fournie.

A ces informations lacunaires sur l'exécution de la procédure s'ajoutent deux autres obstacles principaux : les problèmes de langue d'une part, l'application de la décision judiciaire, de l'autre.

Le thème de l'application des jugements pose "le plus gros problème", selon le Réseau des centres européens de consommateurs. L'exécution de la décision se déroule selon le droit procédural de l'État membre d'exécution.

Si la partie perdante ne respecte pas la décision de justice, le consommateur doit intenter une action pour obtenir l’exécution de cette décision dans l'État du vendeur mais y renoncerait souvent en raison de la complexité de cette procédure et parfois de son caractère onéreux.

Comme ces mesures d'application sont très différentes d'un Etat à l'autre, "il est difficile d'obtenir conseil pour savoir à qui s'adresser et ce que cela coûtera, alors que par ailleurs, une procédure d'application, initiée dans le pays du défendant, avec l'assistance légale nécessaire, peut coûter plus que la valeur de la plainte", constate en effet le rapport.

Pour une procédure qui doit justement diminuer le coût de la démarche judiciaire, ce n'est pas une mince contradiction. Les frais peuvent osciller de 15 euros à 200 euro. Si ce n'est plus…

Il y a les frais pour l'exécution de la décision mais il y a aussi les frais de traduction. Le plus grand flot de critiques émanant des consommateurs (35 % des cas) concerne des problèmes linguistiques. La demande doit être introduite dans la ou les langues de la juridiction saisie. Toutefois, "la première incompréhension pour le consommateur est le fait que les formulaires nécessaires sont disponibles en ligne et peuvent être automatiquement traduits mais qu'il a à les remplir dans la langue de la cour compétente". "Or, aucune assistance pour la traduction n'est prévue et cela doit être fait par un traducteur certifié dont les services sont généralement trop coûteux", fait observer le rapport.

De même, le règlement européen a aussi laissé le loisir au juge d'exiger une traduction d'une pièce "lorsqu'elle lui semble nécessaire pour rendre une décision ou pour que l'autre partie comprenne".

Enfin, le juge a aussi le droit de demander une audition s'il le juge nécessaire ou si l'une des parties le requiert. Si le règlement européen prévoit que des moyens modernes de communication puissent être utilisés, il se trouve que "beaucoup de cours sont dépourvues des moyens techniques" et que cela peut occasionner une nouvelle fois des frais de voyage du demandeur plus importants que la somme en jeu. D'ailleurs, dans ces circonstances, "dans certains cas, requérir une audition peut être un moyen tactique pour le commerçant de pousser le consommateur dans une situation plutôt compliquée", remarquent les rapporteurs.

L'avis émis par le Centre européen des consommateurs du Luxembourg résume bien toute la perplexité qui pourrait gagner le consommateur décidé à recourir à la procédure européenne de règlement des petits litiges. Il a en effet "pointé du doigt la complexité du formulaire requis pour entamer la procédure européenne des petits litiges avec notamment la difficulté de compréhension de la terminologie juridique, du choix de la loi applicable et des tribunaux compétents par les consommateurs profanes", comme il le rappelle dans un communiqué de presse publié le 24 septembre 2012.

John Dalli : "Si le consommateur n'obtient pas réellement une compensation, son portefeuille s'en trouve amoindri, sa confiance abîmée et la croissance de l'Europe ralentie."

Après lecture de ce rapport alarmiste, la Commission européenne a décidé de réagir fortement. "Il faut que le consommateur européen se sente en sécurité lorsqu'il acquiert des biens et des services dans le marché unique et qu'il n'ait pas à prendre de risques supplémentaires. (…) Il y a encore à faire pour que la procédure soit opérationnelle pour le consommateur. Les États membres doivent s'assurer que leurs juridictions connaissent la procédure européenne de règlement des petits litiges", a déclaré la Commissaire en charge de la Justice, Viviane Reding, selon le communiqué de presse publié par la Commission européenne à cette occasion.

John Dalli, membre de la Commission chargé de la santé et de la politique des consommateurs, s'est dit "déçu" du peu d'assistance apportée aux consommateurs. Pour cause, "à l'heure actuelle, toute somme d'argent, si petite soit-elle, compte, et, si le consommateur n'obtient pas réellement une compensation, son portefeuille s'en trouve amoindri, sa confiance abîmée et la croissance de l'Europe ralentie".

La Commission européenne reste persuadée de la nécessité d'une telle procédure. Sur les marchés nationaux, rapporte-t-elle, "environ 20 % des consommateurs européens font état de la survenue, dans les 12 derniers mois, d'un problème portant sur un bien, un service, un vendeur ou un fournisseur". Ils y perdent en moyenne 375 euros par affaire. Si "60 % des consommateurs interrogés sont parvenus à une solution satisfaisante directement avec le vendeur", un quart des 40 % restants n'ont pas cherché à porter plainte. Au final, seuls 2 % de ceux qui ont rencontré un problème ces 12 derniers mois saisissent la justice en cas de problème. Parmi ceux qui y ont renoncé, 26 % invoquent la modestie des sommes en jeu, 13 % considèrent que la procédure serait trop coûteuse par rapport à la somme en jeu tandis que 12 % redoutent que la procédure prenne trop de temps

Les solutions de la Commission européenne

Dans ce contexte, la Commission européenne a annoncé qu'à partir de 2013, les consommateurs "d'environ 5 ou 6 États pilotes" pourront effectuer toute la procédure en passant par le portail e-Justice. Elle souhaite s'appuyer sur cette même plate-forme pour faire connaître les formulaires existants et communiquer des informations en ligne dans les 22 langues officielles de l'UE afin de faciliter l'enregistrement d'une demande.

Auprès des États membres, elle s'attèlera à garantir l'application de la procédure et à la faire mieux connaître. Elle prévoit en conséquence de publier en 2012 un guide fournissant des informations pratiques aux consommateurs et aux praticiens de la justice.

Elle encouragera les CEC à prêter une assistance concrète aux consommateurs et s'appuiera sur eux pour faire la promotion de la procédure.

La Commission européenne n'hésitera pas, le cas échéant, à réviser la règlementation. Elle commandera au préalable un rapport d'évaluation qui abordera le fonctionnement de la procédure et les questions épineuses des frais de justice, de la rapidité et de la simplicité de sa mise en œuvre. Parmi les modifications envisageables, la Commission européenne cite le relèvement du seuil des 2 000 euros ou encore la simplification supplémentaire des formulaires de demande.