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Éducation, formation et jeunesse - Emploi et politique sociale
Le SNJ met le chômage des jeunes sous les feux de la rampe à l’occasion d’un séminaire qui se penche sur le moment fragile de la transition vers l’emploi en cette période de crise
19-09-2012


Le 10 septembre 2012, la Commission européenne s’inquiétait dans son rapport sur la Jeunesse de voir apparaître une "génération perdue" au vu des difficultés que rencontre un nombre toujours plus grand de jeunes Européens à connaître une transition réussie vers la vie active.

Un phénomène qui touche aussi le Luxembourg, comme le constate le Service national de la Jeunesse (SNJ) dans ses activités quotidiennes. Le chômage des jeunes n’est pas nouveau, et il était déjà une priorité du SNJ avant la SNJcrise, mais ce n’est sans pas doute pas tout à fait un hasard si le sujet du chômage des jeunes a tenu le haut de l’affiche lors de la conférence publique organisée le 19 septembre 2012 par les soins du SNJ.

Cette conférence marquait l’ouverture d’un séminaire organisé par le SNJ dans le cadre du programme Jeunesse en action. Un séminaire de deux jours consacré aux opportunités offertes aux jeunes, et notamment aux plus fragiles d’entre eux, de façon à trouver des moyens de faciliter leur entrée dans la vie active. Au menu, échange d’informations, de bonnes pratiques et mise en réseau de nombreux acteurs venus d’Allemagne, d’Autriche et du Luxembourg.

La conférence avait donc une fonction introductive au sujet et a permis de dresser un premier état des lieux de la situation, mais aussi d’identifier les problématiques d’ordre méthodologique qui se posent quand il s’agit de cibler une population aussi hétérogène que ces jeunes qu’on appelle indifféremment les NEET (not in education, employment or training).

Le chômage des jeunes en Europe : une génération peut-être pas encore "perdue", mais bel et bien "menacée", s’inquiète Olaf Münichsdorfer

Olaf Münichsdorfer, politologue qui avait ôté pour la soirée sa casquette d’assistant parlementaire de l’eurodéputé écologiste Claude Turmes, avait été invité pour esquisser un tableau du chômage des jeunes dans l’UE. Un phénomène qui existe depuis longtemps mais qui a longtemps été sous-estimé, comme il n’a pas manqué de le préciser. Le chômage des jeunes a toujours été très dépendant de la conjoncture, les jeunes étant les premiers à sortir du marché du travail ou à ne pas y entrer quand les temps sont durs. Pas étonnant donc que la crise ne soit Olaf Münichsdorferpas sans effet. L’effet est d’ailleurs extraordinairement rapide et dramatique. Et ce dans toute l’UE. Ainsi, le taux de chômage des jeunes est-il plus élevé que celui des autres tranches d’âges, et il a tendance à s’installer, les jeunes chômeurs de longue durée étant de plus en plus nombreux.

Le jeune politologue qui s’est appuyé sur le rapport sur la Jeunesse de la Commission, mais aussi sur une récente étude de la Friedrcih Ebert Stiftung sur le chômage des jeunes en Europe, observe qu’un petit groupe de pays situés plutôt au centre de l’UE, à savoir l’Allemagne, l’Autriche, le Luxembourg ou les Pays-Bas, s’en sortent un peu mieux, même s’ils connaissent, à l’image du Luxembourg, des difficultés croissantes, tandis que les pays de la périphérie, que ce soit à l’Est ou au Sud, et même dans les pays scandinaves, voient le problème s’aggraver plus fortement. Par rapport à la crise des années 90, la crise actuelle a un effet bien plus fort sur le chômage des jeunes des pays du Sud.

Olaf Münichsdorfer a toutefois pointé les difficultés des outils statistiques à cerner un phénomène qui est complexe, le taux de chômage des jeunes n’étant pas suffisant pour le comprendre. Ce que toutes les études montrent bien puisqu’elles s’appuient bien souvent sur les taux d’emploi, les taux de chômage, ou encore le ratio de chômage des jeunes qui permet d’identifier le nombre de jeunes chômeurs rapporté au total de la population des jeunes.

Toutefois, ces différents outils d’analyse, aussi imparfaits soient-ils, permettent de noter de grandes divergences selon les pays. Mais aussi d’identifier certaines tendances communes à l’ensemble de l’UE.

D’une part, le chômage des jeunes touche désormais tous les niveaux de qualification. Certes, les moins qualifiés sont particulièrement menacés, et le problème s’accentue, mais dans certains pays, même les plus qualifiés risquent désormais le chômage, ce que montre bien le rapport sur la Jeunesse de la Commission. Olaf Münichsdorfer relève que les pays où la formation professionnelle est plus répandue sont un peu plus épargnés, mais cela ne peut pour autant tout expliquer.

Par ailleurs, la distance par rapport au marché du travail augmente, le taux d’inactifs et de NEETs étant en forte augmentation. Ce qui pose nombre de problèmes à long terme, car les conséquences se font sentir en termes d’exclusion sociale et de pauvreté, et ce parfois tout au long d’une carrière marquée du sceau de ces débuts difficiles. Olaf Münichsdorfer a souligné le coût social et économique d’un tel phénomène, que met en évidence notamment une récente étude d’Eurofound. En additionnant les coûts en termes de ressources (à savoir ce que perd l’économie) et les coûts en termes de finances publiques, Eurofound a évalué un coût annuel équivalant à 1,1 % du PIB des 21 pays étudiés, soit 100 milliards d’euros.

Autre tendance identifiée par Olaf Münichsdorfer, le fait que les jeunes qui travaillent ont de plus en plus des contrats atypiques. 30 % d’entre eux travaillent par exemple à temps partiel, ce qui pour certains relève d’un choix, mais pas pour tous malheureusement. Ce que craint le jeune politologue, c’est l’émergence d’une nouvelle culture du travail dans laquelle les jeunes auraient moins de droits et où ils serviraient à amortir une conjoncture difficile.

Enfin, parmi les explications complexes au phénomène, Olaf Münichsdorfer pointe un facteur qu’il juge sous-exposé, à savoir celui de l’offre : car on ne crée tout simplement pas assez d’emplois ! Et l’offre apparaît donc comme un levier d’action décisif pour lutter contre le phénomène. La transition entre l’école et le monde du travail est par ailleurs déterminante et il faut y prêter une grande attention, juge Olaf Münichsdorfer. La migration quant à elle ne saurait être une réponse décisive au problème.

La garantie pour les jeunes sur laquelle la Commission prévoit de faire une proposition législative d’ici fin 2012, avec le soutien du Parlement européen, mais aussi de ministres socialistes, comme le ministre luxembourgeois Nicolas Schmit, offre des premiers résultats encourageants dans les pays où elle a été introduite, notamment pour les jeunes gens qui sortent tout juste de l’école, salue le jeune politologue. Mais ce n’est pas une solution structurelle, prévient Olaf Münichsdorfer qui note que les effets positifs sont plus limités pour les jeunes au chômage depuis plus longtemps et qui  ne perd pas de vue que quatre mois peuvent être longs dans cette phase décisive.

Le problème est structurel, les solutions proposées sont individuelles, relève Helmut Willems

Helmut Willems, professeur de sociologie à l’Université de Luxembourg a présenté les transformations de la société et du marché du travail qui rendent la transition des jeunes plus difficile.Helmut Willems

Il a identifié tout d’abord la globalisation comme un des plus grands défis pour arriver à agir au niveau national de façon à faire coïncider offre et demande.la mondialisation va en effet de pair avec une plus grande volatilité des marchés du travail, des changements structurels qui suivent une dynamique internationale.

Le sociologue pointe aussi les tendances néolibérales qui sont à l’œuvre et qui ont tendance à faciliter la flexibilité des entreprises et, partant, celles des forces de travail.

Autre facteur de changement, la transition d’une société industrielle vers une société de la connaissance et des services, qui fait que la tendance est à la création de postes requérant de plus hautes qualifications. Une tendance là aussi structurelle qui a été accompagnée d’un processus de rationalisation de la production qui a conduit à la suppression de nombreux emplois.

Enfin, Helmut Willems pointe un processus d’individualisation des parcours de vie qui change complètement la donne et peut impliquer des erreurs et des ruptures que la tradition aurait limitées auparavant.

Conséquence de ces changements, la transition est plus difficile pour les moins qualifiés, le recours à la formation tout au long de la vie devient la norme, quitte à créer des situations paradoxales dans lesquelles des jeunes tout juste diplômés doivent déjà s’adapter et se former à nouveau. Mais Helmut Willems identifie aussi les exigences de mobilité et de flexibilité qui pèsent désormais sur les travailleurs, ce dont témoigne d’ailleurs l’insistance avec laquelle la Commission met en avant la nécessité d’être mobile.

En bref, les transitions deviennent plus longues, plus difficiles, les échecs sont plus nombreux, avec des risques de réversibilité. Or, face à cela, on ne propose que des solutions individuelles en prônant l’employabilité, et non des solutions structurelles. Le problème, lui, est structurel, et il s’accentue d’autant plus avec la crise, souligne le professeur de sociologie.

L’étiquette "NEET" : un outil qui présente bien des défauts, analyse Paul Milmeister

Le sociologue Paul Milmeister, collaborateur scientifique de l’Université de Luxembourg a pour sa part épinglé les problèmes que pose l’utilisation du concept de "NEET", un terme né à la fin des années 1990 au Royaume-Uni et qui s’est depuis répandu dans le monde entier pour désigner un phénomène qui touche des jeunes gens en pleine phase de transition avec le risque que la situation ne s’installe, et toutes les conséquences sociales qui vont de pair. Paul MilmeisterVue l’ampleur que prend le phénomène dans le contexte de crise, les politiques s’en inquiètent, comme en témoigne l’attention que lui accorde la Commission dans son rapport sur la Jeunesse. Dans la pratique pourtant, le terme de NEET présente de nombreuses lacunes, et Paul Milmeister en a présenté quelques unes.

Premier constat du sociologue, l’hétérogénéité du groupe que constituent les NEETs, lesquels peuvent être dans des situations très différentes. C’est le propre d’une catégorie résiduelle, la définition du NEETs se faisant par défaut. Résultat, on retrouve sous le même chapeau des personnes qui ont fait le choix d’être inactifs aux côtés de jeunes gens très engagés qui subissent leur situation de demandeurs d’emploi. Sans compter que le terme souffre d’une connotation négative. D’ailleurs, les NEETs ne se considèrent pas eux-mêmes comme tels, et ce statut peut être considéré comme discriminant. Le sociologue observe par ailleurs que le même terme est utilisé pour désigner des tranches d’âge très différentes selon les pays, ce qui témoigne d’ailleurs de situations très différentes selon les pays : au début, il était question des 16-18 ans au Royaume-Uni quand, par exemple au Japon, on classe dans cette catégorie des jeunes gens de 15 à 34 ans.

Autre lacune dans la définition, il n’y a pas d’accord sur une durée minimale à partir de laquelle un jeune sans emploi, ni formation, ni stage est à considérer comme NEET. Eurostat a par exemple fait le choix de considérer comme tels les jeunes dans cette situation depuis au moins quatre semaines, ce qui aux yeux de maints sociologues semble bien court, d’autant que leurs travaux montrent que de nombreux NEETs ne le sont que de façon brève et transitoire. Enfin, relève Paul Milmeister, il faudrait aussi s’entendre sur ce qu’on entend par "formation" et "stage", car il existe des vues très diverses de la question, et l’on ne saurait considérer de la même façon un jeune engagé dans un volontariat à l’étranger et un autre demandeur d’emploi actif dans sa recherche.

En bref, résume le sociologue, il s’agit là d’un phénomène diffus qui a nombre de zones grises, et si le concept est utile dans un contexte d’analyse de la transition, il est nécessaire de bien identifier les différentes sous catégories de jeunes inclus dans ce groupe de façon à bien comprendre de quoi il s’agit.

Etat des lieux au Luxembourg

Andreas Heinen, sociologue qui est lui aussi collaborateur scientifique de l’Université de Luxembourg, travaille avec le professeur Willems à réunir et identifier les sources et les données qui permettront d’appréhender les jeunes connaissant des difficultés dans la transition vers l’âge adulte et l’emploi. Pour ce faire, il utilise les indicateurs utilisés pour appréhender les NEETs, en faisant bien la distinction entre jeunes demandeurs d’emplois et jeunes inactifs,  et en comptant aussi dans son analyse les jeunes ayant un emploi précaire ainsi que ceux qui sont pris en charge par différentes mesures. Car il s’agir de voir plus large et plus différencié que juste les NEETs.Andreas Heinen

Au Luxembourg, le taux de chômage des jeunes a longtemps été bas, autour de 8 %, mais, depuis 2002, le chiffre n’a de cesse de monter et il a atteint en juillet 2012 20,2 %, ce qui le rapproche grandement de la moyenne européenne. Le chercheur observe ainsi que le risque de chômage est 4 fois plus fort chez les jeunes que chez les adultes. Quant à la durée du chômage chez les jeunes, les chiffres de l’ADEM montrent que pour 40 % d’entre eux, cela reste de courte durée, en deçà de trois mois. Pour autant, 20 % des jeunes chômeurs sont en recherche d’un emploi depuis au moins 12 mois, ce qui est considérable

En tout, il y aurait aux alentours de 3000 jeunes "NEETs" au Luxembourg, dont 38 % d’inactifs, ce qui représente environ 1000 personnes. Les raisons qui font que ces jeunes gens sont inactifs sont très diverses, et le chercheur admet les difficultés qu’il y a à avoir des chiffres précis pour mener une analyse différenciée. Il a ainsi tenté de se concentrer sur le groupe des décrocheurs scolaires, pour y observer là encore une grande hétérogénéité des parcours.

Pour ce qui est des jeunes ayant un emploi précaire, Andreas Heinen observe que l’emploi à durée déterminée des jeunes au Luxembourg a très nettement augmenté depuis 2003 pour se rapprocher de la moyenne européenne. La question que les chercheurs doivent résoudre est de savoir dans quelle mesure un tel emploi débouche ou non sur un CDI. Les jeunes ayant un emploi à temps partiel sont assez peu nombreux au Luxembourg par rapport à la moyenne européenne, mais là encore, il conviendrait d’affiner l’analyse statistique en sachant dans quelle mesure c’est un choix délibéré ou subi. Mais dans tous les cas, le risque de pauvreté augmente avec la précarisation des emplois.

Enfin, pour ceux qui est des jeunes en mesure, le sociologue observe que c’est là l’expression de difficultés auxquelles ont réagi les politiques sociales avec pour objectif une meilleure employabilité et une meilleure intégration des jeunes. Mais, souligne-t-il, le risque, pour ces nombreux groupes cibles, c’est que cela dure ou qu’ils soient stigmatisés.

Le Service volontaire d’orientation

Parmi ces mesures, il y a le service volontaire d’orientation (SVO), mis en place en 2007 par le SNJ.

Nathalie SchirtzNathalie Schirtz a présenté rapidement les caractéristiques de cette mesure proposée depuis 2007 à 400 jeunes, avec un succès évident. Ainsi, face à une demande de jeunes en difficulté à vivre une première expérience concrète, le SNJ met en place, avec les autres services sociaux, un conseil individualisé mettant l’accent sur l’éducation non formelle afin d’accompagner le jeune dans un processus d’autonomisation.

Le SNJ vise à mieux connaître son groupe cible et ses besoins afin d’adapter l’offre, et un processus est donc en cours avec notamment la mise en place de groupes de travail régionaux qui permettent non seulement de dresser une typologie des jeunes en difficultés, mais aussi d’identifier leurs valeurs, leurs éventuels problèmes de santé, leurs compétences sociales, la vision qu’ils ont d’eux-mêmes et du monde.

Et ce qu’il en ressort c’est que ces jeunes ont besoin d’être structurés, d’être soutenus dans leur autonomisation, qu’ils ont besoin de conseils et d’informations, qu’il faut les aider à se fixer des objectifs clairs et réalistes, ce qui se fait mieux avec un seul interlocuteur, mais aussi qu’ils ont besoin de reconnaissance, d’une expérience positive et valorisante. Et surtout qu’il faut leur proposer très vite quelque chose !