Le droit de l’Union prévoit qu’en cas d’annulation de leur vol, les passagers peuvent recevoir une indemnisation forfaitaire d’un montant compris entre 250 et 600 euros. Dans l’arrêt Sturgeon la Cour de justice a considéré que les passagers de vols retardés peuvent être assimilés aux passagers de vols annulés en ce qui concerne leur droit à indemnisation. Ainsi, la Cour a jugé que s’ils atteignent leur destination finale trois heures ou plus après l’heure d’arrivée initialement prévue, ils peuvent demander une indemnisation forfaitaire à la compagnie aérienne, à moins que le retard ne soit dû à des circonstances extraordinaires.
L’Amtsgericht Köln (Tribunal d’arrondissement de Cologne, Allemagne) et la High Court of Justice (Royaume-Uni) ont cherché à obtenir des précisions sur la portée de l’arrêt Sturgeon.
Dans la première affaire (C-581/10), la juridiction allemande est saisie d’un litige qui oppose des passagers à la compagnie aérienne Lufthansa au sujet du retard de leur vol de plus de 24 heures par rapport à l’horaire initialement prévu.
Dans la seconde affaire (C-629/10), TUI Travel, British Airways, easyJet Airline ainsi qu'International Air Transport Association (association internationale du transport aérien - IATA) ont saisi la justice du Royaume-Uni à la suite du refus de la Civil Aviation Authority (autorité d’aviation civile) d’accéder à leur demande de s’abstenir de leur imposer une obligation d’indemniser les passagers de vols retardés. Cet organisme indépendant, chargé de veiller au respect de la réglementation aérienne au Royaume-Uni avait indiqué qu’il était lié par l’arrêt Sturgeon.
Dans son arrêt rendu le 23 octobre 2012, la Cour confirme son interprétation du droit de l'Union qu'elle a donnée dans l'arrêt Sturgeon. Elle rappelle que le principe d'égalité de traitement exige que les passagers de vols retardés doivent être considérés comme étant dans une situation comparable aux passagers de vols annulés "à la dernière minute" en ce qui concerne l’application de leur droit à indemnisation car ces passagers subissent un désagrément similaire, c'est-à-dire une perte de temps.
Or, comme les passagers de vols annulés ont droit à une indemnisation lorsque leur perte de temps est égale ou supérieure à trois heures, la Cour décide que les passagers de vols retardés peuvent également invoquer ce droit lorsqu’ils subissent, en raison d’un retard de leur vol, la même perte de temps, c’est-à-dire lorsqu’ils atteignent leur destination finale trois heures ou plus après l’heure d’arrivée initialement prévue par le transporteur aérien.
Cela étant, le législateur de l’Union, en adoptant cette législation, visait à mettre en balance les intérêts des passagers aériens et ceux des transporteurs aériens. Ainsi, un tel retard ne donne pas droit à une indemnisation des passagers si le transporteur aérien est en mesure de prouver que le retard important est dû à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises, à savoir des circonstances qui échappent à la maîtrise effective du transporteur aérien.
La Cour relève également que l’exigence d’indemnisation des passagers de vols retardés est compatible avec la convention de Montréal. À cet égard, la Cour constate que la perte de temps sous-jacente à un retard de vol constitue un désagrément qui n’est pas régi par la convention de Montréal. Par conséquent, l’obligation d’indemniser les passagers de vols retardés se situe en dehors de la portée de cette convention, tout en étant complémentaire avec le régime des dommages-intérêts prévu par cette dernière.
Ensuite, la Cour estime que ladite obligation est également compatible avec le principe de sécurité juridique selon lequel les passagers et les transporteurs aériens doivent connaître avec exactitude l’étendue respective de leurs droits et obligations.
De surcroît, la Cour précise que cette exigence est conforme au principe de proportionnalité, selon lequel les actes des institutions de l’Union ne doivent pas dépasser les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés.
À cet égard, la Cour constate que l'obligation d'indemnisation concerne non pas tous les retards, mais seulement les retards importants. Par ailleurs, les compagnies aériennes ne sont pas tenues au versement d’une indemnisation si elles sont en mesure de prouver que l’annulation ou le retard important est dû à des circonstances extraordinaires.
Enfin, la Cour examine les demandes des compagnies aériennes concernées visant à limiter dans le temps les effets de l’arrêt rendu ce jour. Ces dernières estiment que le droit de l’Union ne peut être invoqué pour fonder des demandes d’indemnisation de passagers relatives à des vols qui ont fait l’objet de retards avant la date du prononcé du présent arrêt, sauf à l’égard des passagers qui ont déjà introduit une action judiciaire en indemnisation à la date de cet arrêt.
À cet égard, la Cour répond qu’il n’y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.
Un arrêt qui vient confirmer les droits des passagers en vertu du règlement 261/2004 portant sur les droits des passagers et qui s’inscrit, après les arrêts rendus le 4 octobre 2012, dans la droite ligne de ce que le juge Jean-Jacques Kasel présentait en juillet dernier comme un "engagement de la Cour de Justice pour les droits des passagers".