Le 4 octobre 2012, la Cour de Justice de l’UE a rendu deux arrêts portant sur l’interprétation du règlement 261/2004 portant sur les droits des passagers.
Le règlement en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers accorde certains droits aux passagers aériens au départ ou à destination d'un aéroport situé dans un État membre. Il définit le "refus d'embarquement" comme le refus d’un transporteur aérien de transporter des passagers contre leur volonté bien qu'ils se soient présentés à temps à l'embarquement avec une réservation confirmée. Toutefois, le règlement prévoit des cas où un tel refus peut être justifié par le transporteur. Hormis ces cas, les passagers ont droit à une indemnisation immédiate, au remboursement du prix du billet ou à leur réacheminement vers leur destination finale ainsi qu'à une prise en charge pendant leur période d'attente du prochain vol.
La Cour avait été saisie de deux questions préjudicielles.
"Il s’agit du tout dernier d’une série d’arrêts positifs de la CJUE qui soulignent que les compagnies aériennes ne peuvent ignorer les droits des passagers", soulignait au lendemain de la publication de ces deux arrêts Monique Goyens, secrétaire générale du Bureau européen des Unions de consommateurs (BEUC).
Un commentaire qui fait écho à l’analyse que livrait en juillet dernier le juge Jean-Jacques Kasel devant un public luxembourgeois : il avait décrit l’engagement de la CJUE pour les droits des passagers.
L’affaire C-22/11 opposait Finnair Oyj et Timy Lassooy.
À la suite d’une grève du personnel de l’aéroport de Barcelone, le 28 juillet 2006, le vol régulier Barcelone-Helsinki de 11 h 40 assuré par la compagnie Finnair a dû être annulé. Pour que les passagers de ce vol ne subissent pas un temps d’attente excessivement long, Finnair a décidé de réorganiser les vols postérieurs. Ainsi, les passagers de ce vol ont été acheminés à Helsinki par le vol du lendemain (le 29 juillet 2006) à la même heure, ainsi que par un autre vol du même jour partant à 21 h 40 affrété spécialement à cet effet. Cette réorganisation a eu pour conséquence qu’une partie des passagers qui avaient acheté leur billet pour le vol du 29 juillet 2006 de 11 h 40 ont dû attendre le 30 juillet 2006 pour rejoindre Helsinki par le vol régulier de 11 h 40 ou par un vol de 21 h 40 spécialement affrété pour la circonstance. De même, certains passagers, comme M. Lassooy, qui avaient acheté leur billet pour le vol du 30 juillet 2006 de 11 h 40 et s’étaient régulièrement présentés à l’embarquement, ont rallié Helsinki par le vol spécial du même jour partant à 21 h 40. Ces derniers passagers n'ont reçu aucune indemnisation de Finnair.
Considérant que Finnair lui avait refusé sans raison valable l’embarquement, M. Lassooy a saisi les juridictions finlandaises pour condamner la compagnie aérienne à lui verser l'indemnisation de 400 euros, telle que prévue par le règlement pour les vols intracommunautaires de plus de 1 500 kilomètres.
Le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande), saisi en dernier ressort, interrogeait la Cour de justice sur la portée de la notion de "refus d’embarquement" ainsi que sur le point de savoir si un transporteur aérien peut se prévaloir de circonstances extraordinaires pour refuser valablement l'embarquement des passagers sur les vols postérieurs à celui qui a été annulé en raison de telles circonstances ou pour s’exonérer de son obligation d’indemnisation des passagers faisant l’objet d’un tel refus.
L’affaire C-321/11 opposait Germán Rodríguez Cachafeiro et María de los Reyes Martínez-Reboredo Varela-Villamor à Iberia, Líneas Aéreas de España SA.
M. Rodríguez Cachafeiro et Mme Martínez-Reboredo Varela-Villamor ont chacun acheté à la compagnie aérienne Iberia un billet d’avion de La Corogne (Espagne) à Saint-Domingue. Ce billet était composé de deux vols : le vol La Corogne – Madrid et le vol Madrid – Saint-Domingue. Ils ont enregistré leurs bagages directement pour leur destination finale au comptoir d’Iberia de l’aéroport de La Corogne, où ils ont obtenu les cartes d’embarquement pour les deux vols successifs.
Le premier vol a subi un retard d’une heure et 25 minutes. Prévoyant que ce retard devrait conduire ces deux passagers à manquer leur correspondance à Madrid, Iberia a annulé leur carte d’embarquement pour le second vol. En dépit de ce retard, à leur arrivée à Madrid, ils se sont présentés à la porte d’embarquement au moment où la compagnie procédait au dernier appel des passagers, mais le personnel d’Iberia les a empêchés d’embarquer au motif que leurs cartes d’embarquement avaient été annulées et que leurs places avaient été attribuées à d’autres passagers. Ils ont attendu le lendemain pour être acheminés à Saint-Domingue par un autre vol et sont parvenus à leur destination finale avec 27 heures de retard.
Considérant que la compagnie Iberia leur avait refusé sans raison valable l’embarquement, ils ont saisi la justice espagnole pour condamner la compagnie aérienne à leur verser l'indemnisation de 600 euros chacun, telle que prévue par le règlement pour les vols extracommunautaires de plus de 3 500 kilomètres. Lors de la procédure, Iberia a fait valoir que cette situation n'était pas un refus d’embarquement, mais une correspondance manquée – laquelle n'entraîne pas d'indemnisation –, dans la mesure où la décision de leur refuser l’embarquement n’était pas imputable à une surréservation, mais au retard du vol antérieur.
Dans ces circonstances, la juridiction nationale demandait à la Cour de justice si la notion de "refus d'embarquement" vise exclusivement les situations dans lesquelles les vols ont fait l’objet d’une surréservation initiale ou si cette notion peut être étendue à d’autres situations.
Dans les deux arrêts rendus le 4 octobre 2012, la Cour estime que la notion de "refus d'embarquement" vise des situations de surréservation, mais également celles liées à d'autres motifs, notamment opérationnels.
Cette interprétation découle non seulement du libellé du règlement, mais également de l’objectif qu’il poursuit, à savoir, celui de garantir un niveau élevé de protection des passagers aériens. En effet, dans le but de réduire le nombre de passagers refusés à l'embarquement contre leur volonté, qui était trop élevé, le législateur de l’Union a introduit, en 2004, une nouvelle réglementation conférant un sens plus large à la notion de refus d’embarquement, visant l'ensemble des hypothèses dans lesquelles un transporteur aérien refuse de transporter un passager.
Dès lors, limiter la notion de "refus d'embarquement" aux seuls cas de surréservation aurait, en pratique, pour effet de diminuer sensiblement la protection accordée aux passagers, en les excluant de toute protection, même s’ils se trouvent dans une situation, qui, à l’instar de la surréservation, ne leur est pas imputable – ce qui serait contraire à l'objectif du législateur.
Dans l’affaire C-22/11, la Cour précise que la survenance de circonstances extraordinaires – telles qu'une grève – conduisant un transporteur aérien à réorganiser des vols postérieurs ne justifie pas un refus d’embarquement ni ne l'exonère de son obligation d’indemnisation des passagers à qui l’embarquement sur un des vols affrétés postérieurement leur a été refusé.
À cet égard, le règlement prévoit, d’une part, les cas pour lesquels le refus d'embarquement est justifié, notamment pour des raisons de santé, de sûreté, de sécurité, ou de documents de voyages inadéquats. Or, la Cour considère qu’un refus d’embarquement comme en l’espèce ne peut être assimilé à de telles raisons, car le motif de refus n’est pas imputable au passager.
En revanche, cette situation serait comparable à un refus d’embarquement dû à une surréservation initiale, créée par le transporteur pour raisons économiques. Ainsi, Finnair avait attribué la place de M. Lassooy pour pouvoir transporter d’autres passagers, tout en procédant elle-même au choix des passagers à transporter.
Bien que cette réattribution ait été effectuée pour éviter que les passagers affectés par les vols annulés, en raison de la grève, ne subissent un temps d’attente excessivement long, Finnair ne pouvait se prévaloir pour autant de l’intérêt des autres passagers pour élargir sensiblement les hypothèses dans lesquelles elle serait en droit de refuser de manière justifiée l’embarquement. Cet élargissement aurait nécessairement pour conséquence de priver les passagers des vols postérieurs de toute protection, ce qui irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par le règlement.
D’autre part, il ressort du règlement que le transporteur aérien n'est pas tenu de verser l'indemnisation en cas d’annulation de vol liée à des "circonstances extraordinaires", c'est-à-dire, celles qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. Telle serait la situation des passagers dont l'embarquement a été refusé le jour de la grève. Cependant, le législateur de l’Union n’a pas envisagé que l’indemnisation due aux passagers en cas de refus d’embarquement contre leur gré puisse être écartée par des motifs liés à la survenance de "circonstances extraordinaires". En effet, la Cour souligne que les circonstances extraordinaires ne peuvent concerner qu'un vol précis pour une journée précise, ce qui n'est pas le cas lorsque le refus à l’embarquement est dû à la réorganisation de vols faisant suite à des circonstances extraordinaires qui ont affecté un vol précédent.
Néanmoins, la Cour rappelle que cette conclusion n'empêche les transporteurs aériens de demander ensuite réparation à toute personne, y compris les tiers, ayant causé le refus d'embarquement. Une telle réparation est susceptible d’atténuer, voire d’effacer, la charge financière supportée par les transporteurs.
Dans l’affaire C-321/11, la Cour souligne aussi que le règlement prévoit les cas pour lesquels le refus d'embarquement est justifié, notamment pour des raisons de santé, de sûreté, de sécurité, ou de documents de voyages inadéquats. Or, la Cour considère qu’un refus d’embarquement, comme en l’espèce, ne peut être assimilé à de telles raisons, car le motif de refus n’est pas imputable au passager.
En revanche, en tout état de cause, ce refus serait imputable au transporteur. En effet, soit il se trouve à l’origine du retard du premier vol qu'il a opéré lui-même ; soit il a considéré, à tort, que les passagers ne seraient pas en mesure de se présenter à temps pour l’embarquement du vol suivant ; soit encore il a vendu des billets de vols successifs pour lesquels le temps de transfert était insuffisant.
Ainsi, la Cour estime qu'un transporteur aérien ne peut pas élargir sensiblement les hypothèses dans lesquelles il serait en droit de refuser de manière justifiée un passager à l'embarquement – ce qui irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par le règlement. Dès lors, les refus d'embarquement liés à des motifs opérationnels sont des refus injustifiés donnant lieu aux droits conférés par le règlement.