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Santé - Transports
Midi de l’Europe – Le juge Jean-Jacques Kasel est venu témoigner du militantisme dont a fait preuve la Cour de Justice en matière de soins de santé transfrontaliers et de droits des passagers aériens
02-07-2012


Le 2 juillet 2012, Jean-Jacques Kasel, juge à la Cour de Justice de l’UE (CJUE), était l’invité des Midis de l’Europe organisés par la représentation de la Commission européenne, le bureau d’information du Parlement européen et le Centre européen des consommateurs. Jean-Jacques Kasel

Il est venu nourri de la volonté de témoigner de ce que fait la CJUE, voulant aller à l’encontre du sentiment qu’il a que la Cour est méconnue et que les citoyens sont mal informés au sujet de ses activités. Pour tenter de pallier la discrétion structurelle de la CJUE, le juge a choisi deux sujets de saison : les soins de santé transfrontaliers et les droits des passagers des compagnies aériennes.

Deux domaines dans lesquels, affirme-t-il, la Cour s’est montrée très engagée, voire militante, sa jurisprudence provoquant souvent quelques remous.

Quand la jurisprudence conduit le législateur à agir : le cas des soins de santé transfrontaliers

Dans le domaine des soins de santé transfrontaliers, la jurisprudence de la Cour a en effet eu un effet tel qu’elle a conduit le législateur à agir, et le résultat de ce processus est la directive sur les soins de santé transfrontaliers de mars 2011. Mais avant d’en arriver à ce texte législatif, la prise en charge des soins de santé à l’occasion de séjours momentanés dans d’autres pays membres n’a pas manqué de soulever de nombreux problèmes, que la Cour a identifiés au fil des ans : la question de l’autorisation préalable, de la hauteur du remboursement ou encore des frais annexes. Face aux peu de textes législatifs dont elle disposait, la Cour a produit une "œuvre créatrice remarquable" grâce à une douzaine d’arrêts qui ont débouché sur la directive. Une législation qui, selon les termes du juge, "consacre la jurisprudence de la Cour".

La question de l’autorisation préalable

Tout a commencé à la fin des années 1990’ par deux affaires luxembourgeoises, l’affaire Decker et l’affaire Kohll. Dans les arrêts rendus dans ces deux affaires, qui portaient sur des soins dentaires réalisés à Trèves sans autorisation préalable dans un cas et sur l’achat de lunettes à Arlon dans l’autre, la Cour n’a relevé aucune raison de procéder à une autorisation préalable, considérant que ces soins relevaient de la libre prestation des services.

Ensuite, en 2001, la Cour a été saisie de deux autres cas dans l’affaire Smits et Peerboms. Dans son arrêt la Cour fixe un cadre aux critères présidant à l’autorisation d’hospitalisation dans un autre Etat membre. Peu à peu, une distinction est faite entre soins hospitaliers, pour lesquels une autorisation préalable peut être requise, et soins ambulatoires pour lesquels, a priori, une telle autorisation n’est pas nécessaire. La Cour reconnaît en effet dans cet arrêt le droit d’un Etat à faire valoir des raisons impérieuses tenant à l’équilibre financier des systèmes de sécurité sociale et au maintien d’un service hospitalier accessible à tous pour justifier de la nécessité d’une autorisation préalable.

Cette démarche a encore été nuancée dans une affaire opposant la Commission européenne et la France, la Cour reconnaissant la possibilité de restrictions pour des soins ambulatoires nécessitant des équipements trop lourds et coûteux au nom de l’exigence des Etats membres de maintenir une médecine de pointe sur leur territoire national.

La question du remboursement

En 2001, l’affaire Vanbraekel donne l’occasion à la Cour de se prononcer sur la prise en charge financière des soins lors d’une intervention hospitalière dans un autre Etat membre : il en ressort qu’un assuré social auquel a été à tort refusé une autorisation de se faire hospitaliser dans un autre État membre que son État d'affiliation a cependant droit au remboursement des frais engagés si l'autorisation est accordée postérieurement à cette hospitalisation, le cas échéant par voie judiciaire. Le remboursement doit être au moins identique à celui qui aurait été accordé si l'assuré avait été hospitalisé dans son État membre d'affiliation.

La question des frais annexes

Sur ce point, Jean-Jacques Kasel estime que la Cour n’a pas encore tout a fait précisé l’idée de frais annexes. Mais deux arrêts donnent des éléments d’interprétation , l’arrêt Leichtle, de 2004,  et l’arrêt Acereda Herrera de 2006, selon lequel la prise en charge des frais de déplacement, de séjour et de repas de l'assuré et de la personne qui l'accompagne, dans le cas d'une hospitalisation dans un autre État membre, dépend de la manière dont ces frais sont pris en charge dans l'État d'affiliation. Jean-Jacques Kasel recommande donc de bien vérifier ce qui est pris en charge, notamment pour la personne qui accompagne l’assuré.

L’arrêt Elchinov, synthèse de la jurisprudence en matière de soins de santé

Pour Jean-Jacques Kasel, l’arrêt Elchinov d’octobre 2010 synthétise la jurisprudence de la Cour et résume sa démarche que le juge considère comme très protectrice du consommateur. Dans cette affaire, un ressortissant bulgare atteint d’une maladie très grave des yeux était sur le point de perdre un œil s’il n’était pas opéré dans un délai très court. En Bulgarie, une telle intervention n’existait pas et elle ne figurait pas non plus sur la liste des soins remboursés. Monsieur Elchinov a été opéré d’urgence en Allemagne, et ce donc sans avoir pu obtenir à temps une autorisation préalable de la caisse de maladie à laquelle il était affilié. Il a ensuite reçu un refus de la caisse qui a par ailleurs refusé par la suite sa demande de remboursement. La CJUE, saisie d’une question préjudicielle, a indiqué que l’autorisation de traitement à l’étranger ne peut pas être refusée si l’assuré social ne peut pas bénéficier à temps d’un traitement aussi efficace dans l’État membre où il habite. Par ailleurs, elle a confirmé que le remboursement devait se faire sur la base du pays d’affiliation.

Entretemps, la directive sur les soins de santé transfrontaliers cite de façon récurrente la jurisprudence de la Cour, laquelle s’est efforcée de trouver l’équilibre entre les droits des citoyens et leurs libertés, et les exigences des Etats membres pour ce qui est des restrictions liées au bon fonctionnement du secteur médical sur leur territoire. Le tout en restant fidèle aux traités.

Droits des passagers du transport aérien : la CJUE s’engage pour les droits des passagers dans son interprétation du règlement 261/2004

Les passagers des compagnies aériennes font régulièrement face à trois aléas : le refus d’embarquement, les annulations de vol, ou les retards. Dans ce domaine, la Cour s’est aussi montrée très militante, selon Jean-Jacques Kasel qui reconnaît que dans ce domaine délicat, la jurisprudence de la Cour fait l’objet de grandes controverses, les compagnies aériennes critiquant vivement ses arrêts. Si la Cour s’est engagée de la sorte, c’est qu’elle considère qu’il y a un immense déséquilibre entre le passager et les compagnies aériennes, le premier ayant bien peu de moyens pour agir face aux autres : au niveau international, il existe la Convention de Montréal, et au niveau de l’UE un règlement datant de 2004 qui établit des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement, d’annulation ou de retard important de vol.

Le règlement prévoit ainsi, qu’en cas d’annulation, le transporteur a l’obligation de prendre en charge le passager, de le rembourser, de le réacheminer et de l’indemniser. Il peut toutefois s’exonérer de l’indemnisation dans le cas où il a informé le passager de l’annulation au moins sept jours avant le départ, ou bien dans le cas de circonstances extraordinaires ayant causé l’annulation du vol.

En cas de refus d’embarquement, le règlement prévoit aussi le remboursement, le réacheminement, une indemnisation et une prise en charge qui est due indépendamment de la faute du transporteur.

En cas de retard important, le règlement prévoit là encore une prise en charge gratuite et, en fonction de retard, un remboursement du billet et, le cas échéant, un vol retour vers le point de départ.

Cette notion de prise en charge introduit des mesures réparatrices immédiates, qui, selon la Cour, ne doivent pas faire obstacle à un éventuel dédommagement. 

La jurisprudence de la Cour retient de façon constante que la Convention de Montréal n’est pas déterminante par rapport au règlement, qui va plus loin dans la protection des droits des passagers. La CJUE précise aussi que selon elle, un voyage aller/retour correspond à deux vols distincts. La Cour a dû statuer sur la notion de "circonstances extraordinaires", ne voyant comme tels que des événements insurmontables qui ne sont pas inhérents à l’exercice normal du transport aérien. Les ennuis techniques en sont donc exclus, au grand dam des compagnies aériennes qui se doivent, d’après la Cour, d’avoir des marges suffisantes pour assurer un vol en cas de panne.

Par ailleurs, la CJUE a étendu le droit à une indemnisation aux victimes de retard de plus de trois heures. L’arrêt Sturgeon exprime en cela "la quintessence de la démarche de la Cour". Dans cet arrêt, la Cour a considéré que la situation d’un passager face à un retard de plus de trois heures était "similaire" à celle d’un passager dont le vol aurait été annulé. Résultat, en cas de retard de 3 heures ou plus, le passager à droit à une indemnisation identique à celle offerte en cas d’annulation, ce que ne prévoyait pas le règlement.

Cette interprétation est discutée par les compagnies aériennes, qui "ne restent pas inactives", comme le note Jean-Jacques Kasel. L’arrêt Sturgeon pourrait être corrigé et les compagnies espèrent voir cette assimilation entre retard de plus de trois heures et annulation rayée de la jurisprudence. Reste à voir aussi comment évoluera la jurisprudence. Le juge observe aussi une certaine agitation du côté de la Commission, du Conseil et du Parlement sur ce sujet, et il se plaît à imaginer que le législateur va bientôt préciser les notions controversées dans un nouveau règlement.