Le 15 novembre 2012 a eu lieu à la Chambre des députés le débat sur la déclaration de politique étrangère que le vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, avait prononcé la veille. Europaforum.lu se concentre dans cette contribution sur le volet européen du débat.
Le premier à prendre la parole a été le député CSV Norbert Haupert, qui s’est exprimé au nom de son groupe politique. Il a mis en exergue le Parlement européen comme nouvel acteur dans l’évolution de la construction européenne et a salué ce nouveau rôle, car il permet d’agir "contre l’esprit national excessif et de promouvoir la cause européenne". Mais l’orateur a aussi mis le doigt sur les complications que cette dynamique, par laquelle le PE s’arroge toujours plus de compétences, peut amener : l’affaire Mersch ou la difficulté de trouver un juste équilibre entre PE et parlements nationaux dans le comité interparlementaire défense sont selon lui des exemples éloquents. Pourtant, a-t-il souligné, "ce sont les parlements nationaux qui décident des missions auxquelles participent les militaires de leur pays".
Il a loué le travail de son collègue socialiste Ben Fayot, qui préside la commission des affaires étrangères et européennes de la Chambre des députés, notamment pour les impulsions importantes qui viennent de sa part en matière de contrôle de subsidiarité des propositions législatives de la Commission.
Norbert Haupert, qui a, comme Jean Asselborn la veille, dressé la liste des instruments créés et des mesures décidées par l’UE pour lutter contre la crise, a dû constater à son corps défendant que malgré tout, "beaucoup de choses négatives sont reprochées à l’UE", alors que selon lui, les Cassandres et les broyeurs de noir ne peuvent pas dire que l’UE est dans l’incapacité d’agir.
Le député CSV a plaidé pour un Cadre pluriannuel financier 2014-2020 (CPF) doté de manière conséquente pour permettre aux mécanismes de solidarité de l’UE de continuer à jouer. "Mais ce que disent divers chefs d’Etat et de gouvernement réduit les espoirs qu’une solution puisse être trouvée au prochain Conseil européen", a-t-il conclu sur ce chapitre.
Il a plaidé pour un engagement fort de l’UE pour que les armes se taisent en Syrie, pour l’aide aux civils dans les pays limitrophes – Jordanie, Turquie - où le Luxembourg n’est pas en reste avec un apport de 8,5 millions d’euros en matériel médical et autres. Il a jugé que l’UE faisait un bon travail sur la question des projets nucléaires de l’Iran et souhaité que la politique de sanctions supplémentaires fasse revenir l’Iran à la table des négociations, tout en appelant le ministre à veiller au juste équilibre pour que la population iranienne ne souffre pas trop des sanctions. Il a exigé une réaction forte contre les groupes islamistes qui occupent le nord du Mali et menacent l’unité du pays et la stabilité de la région. Il a approuvé l’aide que l’UE envisage pour soutenir le gouvernement malien qui prépare avec la CEDEAO une intervention militaire pour reconquérir les territoires occupés. Il a aussi regretté que l’UE ne soit pas assez présente dans le Sud-est asiatique qui a acquis un tout nouveau poids dans la géopolitique globale, une région où des conflits pointent leur nez et qui a surtout une grande importance économique
Lydie Polfer a, au nom du DP, souligné l'importance du débat dont les enjeux sont la souveraineté, l’indépendance et l’influence du Luxembourg, notamment dans les grandes institutions et organisations internationales, où le Luxembourg n’est pas seulement spectateur mais aussi acteur.
Pour l’ancienne ministre des Affaires étrangères (1999-2004), l’UE est dans sa crise la plus profonde depuis 1957. Les pays et les individus en souffrent et les perspectives ne sont pas roses. La maîtrise des dettes échappe à un nombre croissant de pays, même s’il y a un rayon de lumière : la réduction des déficits budgétaires. Des efforts sont fournis qui semblent être la voie juste, car il y a des résultats. "Mais il n’y a pas de formule magique qui vaille pour tous les Etats membres qui sont tous différents", pense Lydie Polfer. Aussi faut-il trouver au-delà des économies nécessaires l’équilibre entre ce que les citoyens peuvent encore assumer et ce qui les met le dos contre le mur, tout en n’apportant plus rien à la solution des problèmes.
Elle a regretté que le débat sur le Cadre pluriannuel financier 2014-2020 tourne surtout autour d’une réduction du budget européen, et qu’avec le rabais britannique et d’autres réactions, tous les "vieux réflexes" aient refait surface. Lydie Polfer ramène cela à la crise de confiance qui sévit entre les Etats membres. Aussi le Luxembourg devrait-il, avant de critiquer les autres pays, analyser de quelle manière il se met en règle avec les recommandations de l’UE. Et en tant que députée de l’opposition, elle est d’avis qu’en matière de consolidation budgétaire, cela "n’est pas si sûr", d’autant plus que la Commission a formulé des critiques. Les efforts sur le budget 2013 sont, admet-elle, difficiles, mais pas suffisants.
Lydie Polfer s’est inscrite en faux contre ceux qui ramènent les déboires de la zone euro à un défaut de conception initial de l’UEM. S’il y a faute originelle, elle vient de ceux qui n’ont pas respecté les règles initiales. Reconstruire la confiance, c’est donc d’abord faire ce que l’on s’est engagé à faire. Reste le problème du contrôle parlementaire et la légitimité démocratique de ce qui se fait dans la zone euro. Le traité de Lisbonne a renforcé le rôle de contrôle exercé par les parlements nationaux. Pour la zone euro, des idées circulent pour la doter d’un Parlement. Pour Lydie Polfer, il y a le risque de faire éclater la représentation parlementaire de l’UE.
Lydie Polfer s’est élevée contre les velléités d’harmonisation des politiques fiscales. Il faut veiller à ce que l’UE se limite selon le principe de la subsidiarité à des interventions politiques qui sont "strictement nécessaires". Pour elle, le Luxembourg ne devra pas par exemple participer à la coopération renforcée sur la TTF, à moins que cette règle ne devienne celle de tous les acteurs des marchés financiers. Aussi, cette coopération renforcée est, selon elle, détournée de l’intention initiale de ces coopérations renforcées qui est de faire avancer l’UE par un groupe de pays avant que d’autres Etats membres ne le rejoignent, mais elle est ici utilisée comme "tentative pour isoler certains pays", dont le Luxembourg.
Ben Fayot a au nom des socialistes qualifié la déclaration de Jean Asselborn de "compendium nécessaire de ce que le Luxembourg fournit comme efforts dans le monde". Le Luxembourg fait partie pour Ben Fayot de ce groupe de petits pays dans le monde qui s’engagent partout pour la stabilité et la paix et dont le rôle est indispensable. Il a loué l’approche choisie par le Luxembourg d’une politique étrangère et européenne intégrée qui recouvre la diplomatie classique, les politiques de défense, de développement et d’immigration.
Le commerce extérieur aussi joue un grand rôle avec une UE en pleine mutation et qui subit le double mouvement de la désindustrialisation et du recul des services dans nos régions. Il faut ici se défendre avec des règles qui excluent le protectionnisme, mais aussi le dumping social, "sinon nous finirons par avoir un problème avec les citoyens". De même, il faut savoir que la crise des dettes souveraines est aussi une crise sociale, et si les solutions ne respectent pas le critère de la justice, les gens ne les accepteront pas, même s’ils comprennent très bien que l’on ne peut vivre durablement à crédit.
Ben Fayot a approuvé les vues du ministre des Affaires étrangères en faveur d’une UE plus communautaire et opposées à une UE qui voit se multiplier les structures intergouvernementales. Il est aussi d’accord avec l’idée qu’un référendum ne changera rien dans l’UE tant que les citoyens ne voient pas en elle un recours. D’autre part, il est dangereux de vouloir contourner les parlements nationaux pour renforcer la légitimité démocratique de l’UE. Or, constate Ben Fayot, l’influence des parlements nationaux recule dans la politique européenne par rapport à celles du PE et du Conseil. Changer cela dépend des parlements nationaux qui doivent s’investir encore plus dans la politique européenne et fournir un travail durable et intensif. La proposition d’Herman Van Rompuy d’organiser une conférence entre PE et Parlements nationaux est en tout pour lui insuffisante. Il a cité l’exemple positif du Bundestag allemand où la chancelière intervient et se soumet aux questions des députés avant tout sommet.
L’élargissement n’est pas la solution à tous les problèmes des pays qui adhérent, dans une Europe qui a connu de nombreux conflits, pense par ailleurs Ben Fayot, qui ne partage pas ici certaines approches de l’UE comme "soft power" qu’il juge naïves et trop optimistes. Les relations difficiles actuelles entre différents nouveaux Etats membres ou Etats candidats montrent que des conflits séculaires perdurent et que l’élargissement n'y met pas nécessairement fin. Il a cité la Hongrie et ses relations difficiles avec la Roumanie et la Slovaquie, les relations tendues entre les Etats ex-yougoslaves, entre la Slovénie et la Croatie, entre la Serbie et le Kosovo, ou bien entre Chypre et la Turquie. Et souvent, dans ces conflits, l’UE n’est pas la solution, mais devient le bouc émissaire.
Aussi, des mesures bien-pensantes n’ont pas toujours l'effet voulu. Ben Fayot en veut pour exemple la libéralisation du régime des visas pour la plupart des pays des Balkans occidentaux "qui fait que nous importons chez nous le problème des Roms". Pour le député socialiste, les Roms sont des Européens et l’UE a ici des responsabilités, mais elle ne peut pas les résoudre dans les pays qui les ont laissé germer des siècles durant. Une clause de sauvegarde s’avère donc nécessaire pour compléter les textes en vigueur sur cette libéralisation du régime des visas.
Claude Adam a exprimé l’accord des Verts sur les orientations générales du gouvernement en matière de politique étrangère. Les seuls points de désaccord qui subsistent concernent certaines approches de la crise, notamment en Grèce, de la question nucléaire, des rapports avec la Chine et la Russie et sur la politique de libre-échange. Les Verts pensent qu’une explosion sociale très dangereuse risque de se produire en Grèce. Claude Adam a dénoncé le risque d’une UE qui "risque de dériver vers la droite" à cause de la nomination du très conservateur ministre maltais Tonio Borg à la Commission. Il a aussi pointé les risques qu’un libre-échange dérégulé fait courir aux populations des pays en voie de développement, notamment dans les domaines de l’agriculture et de l’artisanat local. Il a critiqué dans ce contexte qu’il n’y a pas au Luxembourg "une intégration systématique entre la politique étrangère et la politique de développement". Miser seulement sur l’économique conduit aussi l’UE à renoncer à un dialogue constructif sur les droits de l’homme avec des pays à économie forte mais dont le système est non-démocratique, comme c’est le cas pour la Chine et de manière croissante pour la Russie qui "se développe dans une direction dangereuse et préoccupante".
Pour le député ADR Fernand Kartheiser, la crise de l’euro et des dettes souveraines a conduit le Luxembourg à des pertes de droits souverains. Le "six-pack" n’a pas eu besoin de l’aval de la Chambre. Le respect des traités est devenu une chose peu importante au sein de l’UE. Ainsi, la BCE s’est pris le droit d’acheter ad libitum des dettes souveraines, critique le député ADR, augmentant par cette action la dette souveraine en Europe. Fernand Kartheiser ne nie pas la nécessité d’une union monétaire, mais il faut aussi une fiabilité mutuelle. En tout cas, l’euro ne s’est pas révélé être un instrument d’intégration ni de confiance mutuelle.
La lutte contre la crise engendre beaucoup de souffrance sociale : chômage, réduction des revenus, renforcement des partis extrémistes. Pour l’ADR, la solution, et il la prône depuis longtemps, est de sortir la Grèce de l’euro et l’aider à se remettre de la crise. Pour lui, "les Grecs doivent payer pour les rêves des fédéralistes européens".
L’ESM affaiblira le Luxembourg, pense Fernand Kartheiser. Le pays est le plus important garant par tête d’habitant, "ce qui ne fut jamais nécessaire avec les Belges" quand les deux pays partageaient une monnaie. Si l’UE évolue ensuite vers une communautarisation des dettes avec les eurobonds, la dette du Luxembourg va encore croître et il risque de perdre son triple AAA, ce qui rendra le Luxembourg "encore moins intéressant comme lieu d’investissement".
L’UE ferait bien, selon le député ADR, de scruter d’autres moyens pour juguler la crise, comme des monnaies provisoires et d’autres critères de stabilisation. Dire que les politiques sont sans alternatives, c’est comme si l’on prononçait "une interdiction de penser".
Et puis, il faut "consulter davantage les gens", "ne plus mettre en tutelle des nations souveraines" et ne pas éviter des référendums "parce que l’on n’est pas sûr de leur résultat". Pourtant, l’incertitude de l’issue d’un scrutin, "c’est basique en démocratie". "Contrairement à ce que pense Ben Fayot, il faut intégrer l’UE avec les gens et pas en les contournant", a déclaré Fernand Kartheiser qui penche "pour une Europe des nations" et qui ne veut pas que "le Luxembourg soit régi par l’UE". Un pays doit rester libre d’autodéterminer sa politique des valeurs et sa politique sociale. Car l'ADR veut une Europe sociale. La Grèce montre, selon celui qui a été ambassadeur du Luxembourg dans ce pays, "où cela peut mener si ces aspects ne sont pas pris en considération".
Fernand Kartheiser veut "moins de bureaucratie" et "moins de dirigisme" en Europe. Il veut que le Luxembourg y défende ses propres intérêts et oppose un refus clair, net et définitif à la Commission qui veut modifier la directive sur la fiscalité de l’épargne. Le Luxembourg est le contributeur net d’une UE dont le budget contient selon lui "des éléments qui sont contraires à nos intérêts comme la TTF". Le député s’est aussi élevé contre les coûts du protocole de Kyoto, des fonds qu’il vaudrait mieux utiliser directement au Luxembourg pour financer des mesures en faveur de la lutte contre changement climatique.
Il a aussi répliqué à Claude Adam : "Ce n’est pas parce qu’un homme comme Tonio Borg a des convictions chrétiennes que cela devrait l’empêcher de siéger à la Commission européenne. La gauche n’a pas le monopole de la pensée juste."
Jean Asselborn a répondu à l’issue du débat à certaines préoccupations des députés.
Ainsi, les décisions sur une mission de formation européenne de l’armée malienne sont interrompues jusqu’à ce qu’une feuille de route du gouvernement de Bamako parvienne à l’UE.
Quant à savoir si le Luxembourg siègera au Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) en tant que Luxembourg ou en tant qu’Etat membre de l’UE, Jean Asselborn a précisé que le Luxembourg a élu en tant que Luxembourg, mais aussi "comme pays européen". Les impulsions qui viendront des autres Etats membres seront importantes. Il siègera en 2013 avec la France et le Royaume-Uni, qui sont des membres permanents, comme seuls autres pays de l’UE. Il œuvrera pour qu’il y ait des positions communes des pays de l’UE au sein du CSNU.
Il a aussi annoncé que le CAE débattra le 19 novembre 2012 de la reconnaissance du Conseil national libyen. Le reconnaître comme "un représentant légitime du peuple libyen" est une formule utile.
Il a répliqué à Fernand Kartheiser qui veut mettre la Grèce hors de la zone euro "qu’en tant qu’Européen convaincu, je ne pense pas qu’il soit imaginable de mettre la Grèce hors de la zone euro, ne serait-ce que provisoirement".
Il a réitéré son refus que les traités européens soient de nouveau changés. "On peut changer les traités, certes, mais de nouveau investir dix ans de travail pour les changer, non !" Aussi juge-t-il qu’on n’aura pas de réponse concluante si l’on va poser aux citoyens une question référendaire du type : "Voulez-vous plus ou moins d’Europe ?" Et il a exprimé son désaccord avec le président du SPD, Sigmar Gabriel, qui veut un référendum dans ce sens, car "cela risque de rejeter l’UE 20 ans en arrière".
En ce qui concerne le cadre pluriannuel financier 2014-2020, Jean Asselborn a expliqué que le Luxembourg serait un des plus grands perdants en cas de réductions massives du budget de l’UE. La boîte de négociation soumise par Chypre, qui prévoit une réduction de 50 milliards, les idées de réduction d’Herman Van Rompuy qui concernent 35 milliards et les idées d’autres qui veulent encore plus réduire le budget constituent une menace pour la politique de cohésion. Or, cette politique qui a apporté 80 millions au Luxembourg pendant la période 2000-2006, puis seulement 50 millions entre 2007 et 2014, risque de se voir réduite pour le Luxembourg à 10 millions d’euros de fonds européens. Par ailleurs, certains arbitrages pourraient affecter la dimension "Luxembourg capitale européenne", puisqu’ils pourraient se faire sur le dos des administrations européennes, ce qui aurait de fortes répercussions négatives.