Le vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a prononcé le 14 novembre 2012 devant la Chambre des députés une déclaration de politique étrangère fleuve de pas moins de 200 paragraphes, dans laquelle il a évoqué la nouvelle mission du Luxembourg au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, les relations entre le Luxembourg et ses voisins, la politique européenne et ses implications pour le Luxembourg, la politique commerciale bilatérale et multilatérale, les relations du Luxembourg avec quelques grandes puissances – USA, Russie et Chine – et l’Afrique, puis quelques grands dossiers comme le printemps arabe et le processus de paix au Proche-Orient.
Cette contribution se limitera à évoquer le volet européen de l’intervention de Jean Asselborn, un volet loin d’être secondaire, puisqu’il est l’objet de deux tiers de son discours, et comme il le dit lui-même, "notre engagement pour l’intégration demeure évidemment le noyau de notre politique étrangère".
Jean Asselborn a donc d’emblée réitéré tous les espoirs qu’il place dans le Benelux, qui entrera dans une nouvelle dynamique comme instrument de coordination entre les trois pays, afin que ceux-ci puissent mieux assumer leur rôle d’avant-garde dans l’UE et la politique internationale.
La crise a été un autre grand dossier traité par Jean Asselborn. Il a dressé l’inventaire des décisions et nouveaux instruments de gestion de crise de l’UE : ESM, pacte budgétaire, les mesures de la BCE, "qui illustrent la détermination des responsables de la zone euro pour stabiliser cette dernière de manière durable". Le pacte budgétaire, signé par 25 Etats membres de l’UE et ratifié par douze pays, sera l’objet d’un "débat intensif" lorsqu’il sera avant la fin de l’année 2012 soumis à la Chambre pour être ratifié.
Jean Asselborn a souligné le fait que la mise en œuvre du pacte budgétaire est une des conditions requises pour qu’un Etat membre puisse faire appel au soutien du Mécanisme de sécurité européen, l’ESM, dont le siège est à Luxembourg. Ce qui lui a permis dans la foulée de mettre en relief l’engagement du Luxembourg : "Le Luxembourg a versé 200 millions au capital de l’ESM et s’est engagé avec 1,55 milliard supplémentaires, donc en tout 1,75 milliard. Ce chiffre montre que le Luxembourg est de tous les Etats membres celui qui garantit la somme la plus élevée par habitant."
Le ministre des Affaires étrangères doute que les décisions prises et instruments mis en place pour lutter contre la crise suffisent pour doter la zone euro de bases solides dans la durée. D’où le rapport des quatre présidents du Conseil européen, de la Commission européenne, du PE et de l’Eurogroupe. D’où aussi la nécessité de limiter à court terme les déficits budgétaires tout en veillant à donner un coup de pouce à la croissance.
Mais l’exemple de la Grèce qu’il a cité montre la difficulté de sortir du cercle vicieux austérité-récession. D’où sa recommandation d’adapter le rythme de la consolidation à la situation de chaque pays afin de ne pas juguler la croissance.
Jean Asselborn a aussi abordé dans son discours la problématique de la compétitivité des différentes économies nationales. Il recommande ainsi à un pays comme l’Allemagne, qui a une balance excédentaire, de stimuler la demande intérieure afin de stimuler de l’autre côté les importations en provenance des pays en crise. Mais ce qu’il faut avant tout, c’est une coordination des politiques économiques dans le cadre du semestre européen qui permet une meilleure surveillance des déséquilibres macroéconomiques. Un autre moyen de stimuler la croissance est un recours aux potentiels non exploités du marché intérieur. Il a salué dans ce contexte l’Acte pour le marché unique 2 présenté le 3 octobre 2012 par la Commission tout comme le pacte pour la croissance et l’emploi décidé par le Conseil, européen de juin 2012.
Jean Asselborn place de grands espoirs dans le rapport des quatre présidents, surtout avec son ambition de préconiser une Union économique qui aura la même importance que l’Union monétaire.
Des quatre chantiers que le rapport intermédiaire a suggérés - union bancaire, union budgétaire, union économique et légitimité démocratique - l’union bancaire lui semble celui qui a d’ores et déjà le plus mûri.
Trois autres éléments se rattachent à l’union bancaire : une règlementation commune des fonds propres des banques, une harmonisation des règles de garantie de dépôt et un cadre commun pour l’assainissement des banques. "Le Luxembourg est d’avis qu’il faut décider de ces quatre points ensemble, afin que l’on avance d’une manière cohérente dans un cadre clairement défini", déclare le vice-premier ministre au sujet d’un dossier qu’il juge important pour la place financière, mais qui la renforcera de la sorte.
La contrepartie d’une union budgétaire est la communautarisation des dettes publiques, pense-t-il, soit par des eurobonds, des eurobills ou par la création d’un fonds de compensation commun.
Le Conseil européen de décembre 2012 devrait en tout cas être celui qui "posera les fondements d’une union économique et monétaire avec une dimension bancaire, budgétaire et économique plus intégrée, dotée de surcroît d’une plus forte légitimité démocratique", une UEM qui "sera forcément très différente de celle créée en 1999".
Jean Asselborn dresse le constat que sur ce dossier, "crucial pour que l’UE puisse réaliser ses politiques", les Etats membres se divisent en deux groupes : celui des contributeurs nets, qui veulent réduire la proposition de la Commission pour le cadre pluriannuel financier 2012-2020 (CPF) d’au moins 100 milliards d’euros, et de l’autre côté les Amis de la cohésion, dans lequel l’on retrouve 14 Etats membres receveurs nets, pour qui la proposition de la Commission est un minimum.
Ici, Jean Asselborn définit clairement la position du Luxembourg : "Même si le Luxembourg est un pays contributeur net, avec 150 euros par habitant par an, nous avons toujours refusé de suivre la logique anti-communautaire du "juste retour", et nous n’avons opté pour aucun des deux camps. Pourquoi ? Parce que cela voudrait dire que l’on ne considère l’UE que sous l’angle de son budget et de ce qu’elle rapporte. Pour nous, par contre, le "budget communautaire" reste l’expression de la solidarité entre Etats membres, un instrument indispensable pour financer des politiques communes et pour réaliser les ambitions de l’Union." Le budget communautaire devrait ainsi servir à stimuler la croissance dans le cadre d’Europe 2020, complétant ainsi les politiques de consolidation budgétaire. Pour le Luxembourg, "le niveau de dépenses proposé par la Commission reste réaliste afin que le budget européen puisse remplir son rôle d’instrument essentiel pour relancer l’économie européenne", conclut Jean Asselborn sur le volet dépenses.
En ce qui concerne le volet rentrées, il est d’avis que "le système actuel de ressources propres de l’UE est devenu au fil des temps opaque, compliqué et injuste", et qu’il faut donc le réformer. Il faut donc un nouveau système de ressources propres pour l’UE et des rabais forfaitaires, transparents et limités dans le temps, comme les a proposés la Commission en juin 2011.
Jean Asselborn a regretté que la présidence chypriote ait d’ores et déjà proposé contre l’avis de la majorité des Etats membres une boîte de négociation qui prévoit une baisse du budget de l’ordre de 50 milliards, car elle a renforcé la position de ceux qui veulent baisser le budget de l’UE. Jean Asselborn doute que le Conseil européen des 22 et 23 novembre soit en mesure, "avec une telle approche", d’arriver à une solution, d’autant plus que le Parlement européen la rejette aussi.
Jean Asselborn a profité du fait que l’UE a reçu le 12 octobre 2012 le Prix Nobel de la paix pour le rôle-clé qu’elle a joué dans la transformation de l'Europe "d'un continent de guerres en un continent de paix", pour réfléchir sur ses acquis historiques. La paix, la démocratie, l’Etat de droit, les droits de l’homme, l’économie sociale de marché, le marché unique, la liberté de circulation, d’étudier, de travailler dans l’UE, Schengen et l’absence de contrôles aux frontières, la monnaie commune, tout cela fait partie de la normalité. Il faut donc rester vigilant, car rien ne dit, que ces acquis soient irréversibles, pense le ministre. D’autant plus que les jeunes qui n’ont pas connu la guerre et les violences en Europe, vivent néanmoins la recrudescence des préjugés et des ressentiments et ne font pas le lien entre les acquis de l’UE dans leur vie quotidienne et l’intégration européenne.
Jean Asselborn a profité de l’occasion pour rappeler "qu’il faut suivre certains développements et réagir quand des Etats membres enfreignent les principes de l’UE". Il est devenu très explicite : "La Hongrie a une grande histoire en matière d’engagement pour la liberté et la démocratie, tout comme la Roumanie. Dans ces pays comme dans tous les autres, aucune tumeur ne doit se former qui soit indigne de cette histoire."
Le Luxembourg reste un partisan de la méthode communautaire qui a servi à construire l’UE. Jean Asselborn a abordé les problèmes dans ce domaine à travers l’exemple du partenariat franco-allemand dans l’UE. Il est incontournable, central, fondé sur le compromis, et ce parce qu’il y a des différences entre les deux partenaires. Après un épisode où l’on a voulu gommer ces différences, l’élection du président Hollande a conduit à injecter une dose d’honnêteté à la manière dont ces relations sont représentées. L’on affiche de nouveau des différences de vues, "et c’est précisément cette discussion ouverte, cette dialectique sur des questions fondamentales qui est la substance dont le moteur consensuel de l’UE a besoin, parce que c’est là que tous les Etats membres peuvent contribuer".
D’autre part, Jean Asselborn ne pense pas que ce soit une bonne chose que l’on recommence, à peine trois ans après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, de vouloir changer les traités afin de faire avancer l’UE. Les réformes institutionnelles n’intéressent pas les citoyens qui ont besoin que l’on s’occupe concrètement de l’emploi, de l’environnement, de l’énergie, etc. Des transferts de compétences vers les institutions européennes n’ont pas bonne réputation non plus. Jean Asselborn est en tout opposé à la création d’un poste de commissaire qui pourrait intervenir directement sur les politiques budgétaires nationales décidées par les parlements nationaux. Ce serait contraire à l’Etat de droit, contraire aussi à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe qui a défendu les compétences souveraines du Bundestag. "Et je pense qu’elle n’avait pas tort." De même, Jean Asselborn est contre l’idée de légitimer de nouveau l’UE par un référendum, préférant la démocratie représentative à la culture politique plébiscitaire. Bref, il faut "mettre le traité de Lisbonne en musique" plutôt que d’épuiser et d’affaiblir l’UE.
Le ministre Asselborn a renouvelé son engagement en faveur d’une politique d’élargissement forte de l’Union européenne. Il a souligné qu’il était de la responsabilité du Luxembourg de répondre favorablement à l’appel à la paix, la prospérité, la démocratie et l’Etat de droit des pays des Balkans. Il a néanmoins mis en garde contre les abus qui accompagnent la libéralisation du régime de visas. Le Luxembourg plaide à la fois pour un dialogue approfondi avec les pays concernés et l’introduction d’une clause de sauvegarde dans les règlements concernés.
Le ministre a déclaré qu’il serait par ailleurs inopportun de tenir à l’écart de l’UE la Turquie, pays à l’économie dynamique, à la position géographique stratégique et au rôle crucial dans la région. Il a encouragé la poursuite des négociations avec l’Islande.
En ce qui concerne le partenariat oriental de l’UE, le ministre a constaté que la réalisation des objectifs fixés est importante pour le Luxembourg, mais que les partenaires doivent respecter leurs engagements dans les domaines de la démocratie et de l’Etat de droit, éléments indispensables pour la construction de l’Europe.
Le ministre a ensuite fait un tour d’horizon du voisinage méridional de l’UE, tirant le bilan des bouleversements survenus dans cette région au cours du "printemps arabe". Le vice-Premier ministre a rappelé que ces événements ont été provoqués par l’aspiration des peuples aux valeurs comme la liberté, l’Etat de droit ou encore les Droits de l’Homme. Il s’est dit conscient du rôle que l’UE doit jouer à cet égard, afin d’accompagner ces pays sur la voie du développement économique, social et démocratique.
Au sujet du processus de paix au Proche-Orient, le ministre a fortement déploré l’augmentation des tensions entre Israéliens et Palestiniens. Selon le ministre, si l’histoire européenne impose de tout mettre en œuvre pour garantir la sécurité de l’Etat d’Israël, la philosophie qui guide l’Europe impose également de tout mettre en œuvre pour garantir la dignité du peuple palestinien. Plaidant en faveur d’une solution à deux Etats, basée sur les frontières de 1967, le ministre a déclaré que la création d’un Etat palestinien ne saurait être considérée comme étant un cadeau fait au peuple palestinien, mais qu’elle constitue la pierre angulaire d’une solution permettant à Israël de vivre en paix et en sécurité. Or, la poursuite constante de la politique de colonisation aura pour conséquence de rendre physiquement impossible toute solution à deux Etats.
Le Luxembourg salue donc toute initiative qui renforcera le caractère multilatéral du processus et accueillera avec bienveillance un rehaussement de la Palestine au statut d’Etat observateur par l’Assemblée générale des Nations unies. Il a déclaré que si lors de ce vote, l’UE devait voter à un tiers contre, à un tiers s’abstenir et à un tiers pour ce statut, "elle jouera tout au plus dans la 3e division de la politique étrangère globale".
Au sujet des relations du Luxembourg avec le continent africain, le vice-premier ministre a déclaré que, malgré le contexte actuel difficile, le futur appartient au continent africain. Il a fait allusion aux progrès réalisés en matière de démocratie et mis en évidence l’engagement luxembourgeois au sein de la Commission de consolidation de la Paix au niveau des Nations unies, ainsi que dans les missions au niveau de l’UE (EUTM Somalia et EU NAVFOR ATALANTA).
Conscient des menaces planant sur le Sahel, le ministre a insisté sur la nécessité du rétablissement de l’unité nationale et de l’établissement d’un processus de transition démocratique au Mali. "L’UE est prête pour aider le Mali à améliorer l’efficacité opérationnelle de ses forces armées. La formation de l’armée est sont objectif principal. L’unité du Mali doit être restaurée, mais ce qui est décisif, c’est de mettre fin à la barbarie qui a pris pied dans le nord du pays." Le ministre a par ailleurs expliqué que le Luxembourg s’engage pleinement pour approfondir encore davantage les relations avec les pays du continent africain en combinant les niveaux politique, diplomatique et de la coopération avec un volet économique et culturel.