Le 14 novembre 2012, le Collège des Commissaires européens a adopté une proposition de directive visant à introduire des quotas de femmes dans les conseils d'administration des 5000 entreprises européennes cotées en bourse. Il s'agit de "briser le plafond de verre qui continue d’entraver l’accès des femmes de talent aux postes de décision dans les plus grandes entreprises d’Europe".
D'ici 2020, et même 2018 pour les entreprises publiques, les entreprises cotées en bourse devraient afficher un taux de fonctions non exécutives occupées par des femmes égal à 40 %. Les fonctions exécutives ne sont pas comprises dans l'objectif mais font l'objet d'une incitation. Selon cet "objectif souple" à atteindre aux mêmes échéances, ces sociétés devraient se fixer elles-mêmes des objectifs concernant la représentation des deux sexes parmi les administrateurs exécutifs. Les sociétés devraient faire rapport des progrès accomplis chaque année.
A qualification égale, les candidats "du sexe sous-représenté" dans l'entreprise devraient avoir la priorité, dit la proposition de directive, tandis que la Commission rappelle dans le communiqué de presse diffusé à cette occasion, qu'une telle disposition épouse la jurisprudence établie de la Cour de justice de l'Union européenne. "Des garde-fous internes garantiront l’absence de promotion automatique et sans condition du sexe sous-représenté", prévient par ailleurs la Commission.
Dans le cas où les entreprises ne se tenaient pas à ces objectifs, elles seraient sanctionnées par une amende "proportionnée et dissuasive", que les Etats auraient la charge de fixer.
Les petites et moyennes entreprises, soit celles embauchant moins de 250 salariés et moins de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires, ainsi que les entreprises non cotées en bourse, ne seraient pas concernées par cette réglementation.
L'initiative fut présentée conjointement par la vice-présidente Viviane Reding (justice, droits fondamentaux et citoyenneté), le vice-président Antonio Tajani (industrie et entreprenariat), le vice président Joaquín Almunia (concurrence), le vice-président Olli Rehn (affaires économiques et monétaires), le commissaire Michel Barnier (marché intérieur et services) et le commissaire László Andor (emploi et affaires sociales).
C'est toutefois la commissaire en charge de la justice, Viviane Reding qui a, avec le soutien du président de la Commission européenne, porté cette proposition. Le 23 octobre 2012, le vote de la proposition avait dû être reporté, en raison de l'absence de commissaires qui auraient pu faire pencher la balance vers l'adoption du texte. "On se bat depuis cent ans, on n 'est pas à trois semaines près... ", avait-elle alors lancé, promettant de revenir avec un projet capable de rassembler trois semaines plus tard. Il aura notamment fallu limiter le champ des sanctions possibles : d'abord imaginés, le retrait de subventions publiques ou l'exclusion des marchés publics auraient été finalement abandonnées.
Après l'adoption du texte, Viviane Reding s'est dit "redevable envers les nombreux membres du Parlement européen qui se sont battus infatigablement pour cette cause et dont l’aide [lui] a été précieuse pour mettre cette proposition sur la table". Le président de la Commission européenne a déclaré que, par cette initiative, la Commission répond à "l’appel pressant" du Parlement européen, lancés à travers des résolutions du 6 juillet 2011 et du 13 mars 2012.
"Nous demandons aujourd’hui aux grandes entreprises cotées de toute l’Europe de démontrer leur sérieux en matière de parité hommes femmes dans les instances de décision économique", a également déclaré José Manuel Barroso, en rappelant que la Commission, sous son impulsion, est désormais composée à un tiers de femmes.
Actuellement, les conseils des sociétés (conseil d’administration, de surveillance ou directoire) sont dominés par les hommes, qui représentent 85 % des administrateurs non exécutifs et 91,1 % des administrateurs exécutifs, contre respectivement 15 % et 8,9 % pour les femmes.
Depuis 2003, la représentation des femmes au sein de ces conseils n’a en moyenne progressé que de 0,6 % par an. L'augmentation de 1,9 % entre octobre 2010 et janvier 2012, à comparer à la hausse moyenne annuelle de seulement 0,6 % observée au long de la décennie passée, est pour moitié le fait de l'adoption de règles contraignantes par la France d'une part, pour autre moitié l'effet des appels à l'action lancés par le Parlement et la Commission.
La France a en effet instauré un quota légal en janvier 2011 : la proportion des femmes dans les conseils des entreprises cotés au CAC 40 a augmenté de 10 % entre octobre 2010 et janvier 2012. L'objectif de la France est d'atteindre un quota de femmes aux fonctions exécutives et non exécutives de 40 % en 2017 dans toutes les entreprises de plus de 500 salariés et un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros, avec un objectif intermédiaire fixé à 20 % en 2014.
Dix autres États membres (Belgique, Italie, Pays-Bas, Espagne, Portugal, Danemark, Finlande, Grèce, Autriche et Slovénie) ont adopté des instruments juridiques de promotion de la parité hommes-femmes au sein des conseils des sociétés, tandis qu'onze autres n’ont entrepris ni régulation, ni incitation.
"L’Union européenne a promu avec succès l’égalité hommes-femmes pendant plus de 50 ans. On doit toutefois constater que les progrès restent inexistants dans un domaine particulier, celui des conseils des sociétés. L’exemple de pays comme la Belgique, la France et l’Italie, qui ont récemment adopté une législation en la matière et commencent à en recueillir les fruits, démontre clairement qu’une intervention réglementaire circonscrite dans le temps peut faire toute la différence", a déclaré Viviane Reding.
Derrière la moyenne européenne estimée à 13,7 % en janvier 2012, se cachent des situations très contrastées. Ainsi, les femmes représentant respectivement 27 % et 26 % des administrateurs des grandes entreprises des deux pays les plus performants, la Finlande et la Lettonie, tandis que Malte, avec 3 % et Chypre avec 4 % sont les pays les moins égalitaires. Le Luxembourg est très proche de ceux derniers pays avec un taux proche de 6 %, et fait beaucoup moins bien en comparaison avec la France (22 %), la Belgique et l'Allemagne (16% toutes deux).
Début septembre 2012, neuf pays emmenés par la Grande-Bretagne (auxquels s'ajoutent donc les Pays-Bas, la Bulgarie, la Lettonie, l'Estonie, la République tchèque, la Lituanie, la Hongrie et Malte) avaient déjà fait part de leur capacité de blocage dans une lettre à la Commission européenne, considérant que cette matière ne devait pas faire l'objet d'une réglementation au niveau européen mais être laissée à l'initiative des Etats membres. Si l'Allemagne n'avait pas cosigné la lettre, elle est également opposée à l'imposition de quotas, quoique sa ministre du travail, Ursula von der Leyen, y serait favorable.
La Commission européenne a plusieurs arguments pour expliquer la nécessité de recourir à un instrument contraignant. A commencer par l'inefficacité de la seule incitation : "À ce rythme, il faudrait encore 40 ans environ pour ne serait-ce que se rapprocher de l’équilibre hommes-femmes au sein des conseils (au moins 40 % pour chacun des deux sexes)", note-t-elle dans sa communication. En mars 2011, l'appel de Viviane Reding invitant les sociétés cotées d’Europe à accroître volontairement la présence des femmes dans leurs conseils n'avait été suivi que par 24 sociétés européennes un an plus tard.
Par ailleurs, les quotas auraient des vertus sur l'organisation de l'entreprise. "Une présence accrue des femmes aux postes de décision peut en effet favoriser l’instauration d’un environnement de travail plus productif et plus innovant et améliorer globalement les performances de l’entreprise. Cela s’explique essentiellement par l’apparition d'un état d'esprit plus collectif et plus diversifié, ouvrant des perspectives plus larges et favorisant donc l'adoption de décisions plus nuancées", diffusé par la Commission européenne à cette occasion.
L'argument relève aussi du bon fonctionnement du marché intérieur qu'une "approche en rangs dispersés" pourrait entraver. "La diversité des règles de droit des sociétés et des sanctions applicables en cas de non-respect de la législation sur la parité hommes-femmes peut entraîner des complications pour les entreprises et avoir un effet dissuasif sur leurs investissements transfrontaliers", avance la Commission.
Enfin, ce serait par ailleurs justice rendue au fait que les femmes représentent 60 % des nouvelles générations de diplômés des universités et un moyen d'atteindre l’objectif fixé dans le cadre de la stratégie Europe 2020, qui vise à porter à 75 % le taux d’emploi des hommes et des femmes âgés de 20 à 64 ans à l’horizon 2020.