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Changement climatique - Entreprises et industrie - Énergie - Environnement
Au terme d’un débat qui a été l’occasion de discuter de la politique climatique du gouvernement, la Chambre a donné son feu vert au projet de loi transposant la directive réformant le système d’échange de quotas d’émission de l’UE
19-12-2012


Le 19 décembre 2012, les députés luxembourgeois ont terminé l’année en adoptant, par quarante voix pour et vingt contre, le projet de loi 6428, un texte modifiant la loi de 2004 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de façon à transposer en droit luxembourgeois la directive 2009/29/CE qui visait à améliorer et étendre le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, communément dénommé „SCEQE“.

Le SCEQE représente une application au niveau communautaire du Protocole de Kyoto, dans le cadre duquel les 15 pays membres de l’UE alors signataires se sont engagés à réduire de 8 % leurs émissions agrégées de gaz à effet de serre entre 2008 et 2012, par rapport au niveau de l’année de référence (1990 dans la plupart des cas). Cet objectif collectif a été converti en différents objectifs nationaux, qui ont fait l’objet d’un accord juridiquement contraignant. Les 12 Etats membres qui sont entrés dans l’UE en 2004 et 2007 ont tous leurs propres objectifs nationaux contraignants en vertu du Protocole, à l’exception de Chypre et de Malte.

La directive

La directive de 2009 que ce projet de loi entend transposer va permettre essentiellement d’élargir le champ d’application du système. Elle modifie aussi la validité des quotas et prévoie une normalisation des registres.

C’est d’ailleurs à ce titre que le projet de loi propose de désigner l’Administration de l’environnement comme „administrateur national“ du registre de quotas d’émissions tel que l’exige le règlement (UE) n° 1193/2011 de la Commission du 18 novembre 2011 établissant le registre de l’Union pour la période d’échanges débutant le 1er janvier 2013 et pour les périodes d’échanges suivantes du système d’échange de quotas d’émission de l’UE.

Le SCEQE s’est développé en plusieurs phases successives. Ainsi, après une première phase pilote qui a duré de 2005 à 2007, la deuxième phase qui va se conclure en fin d’année 2012 a permis d’allouer gratuitement des quotas d’émissions aux installations, laissant aux entreprises la possibilité d’acheter des certificats supplémentaires sur le marché à une entreprise n’en ayant pas eu besoin.

Ce système a connu de graves dérapages, et les députés n’ont pas manqué d’en évoquer certains au cours du débat.

La directive de 2009 encadre la troisième phase qui va commencer en 2013 et va durer jusqu’en 2020. Elle introduit un grand nombre de changements fondamentaux pour les entreprises.

Ainsi, les plafonds d’émission nationaux seront remplacés par un plafond unique européen et le quota sera réduit linéairement chaque année. La quantité de quotas délivrée chaque année pour l’en­semble de l’Union européenne à compter de 2013 va diminuer d’un facteur linéaire de 1,74 % par rapport au total annuel moyen de quotas délivrés par les Etats membres conformément aux décisions de la Commission relatives à leurs plans nationaux d’allocation de quotas pour la période 2008-2012. Les Etats membres mettront aux enchères l’intégralité des quotas qui ne sont pas délivrés à titre gratuit. La détermination des allocations gratuites se fera selon des règles harmonisées au niveau communautaire.

Par ailleurs toute installation relevant des activités couvertes par la directive et émettant des gaz à effet de serre devra demander une autorisation aux autorités compétentes et devra montrer qu’elle est en mesure de déclarer et surveiller les émissions.

Pour ce qui est du champ d’application, il a déjà été élargi en 2012 à l’aviation civile, et il sera étendu à de nouveaux secteurs, notamment la pétrochimie, le secteur de l’ammoniaque et de l’aluminium. Le transport routier et maritime reste exclu, même si le transport maritime pourrait être inclus à un stade ultérieur. L’agriculture et la sylviculture ne sont pas non plus intégrées dans le champ d’application de la directive, en raison de la difficulté à évaluer précisément les émissions de ces secteurs.

Les petites installations, émettant moins de 25.000 tonnes équivalent dioxyde de carbone par an, pourront être autorisées à sortir du système ETS, à condition de mettre en place d’autres mesures de réduction équivalentes. Une option que le gouvernement luxembourgeois n’a pas choisie en raison de l’énorme charge administrative que ce la impliquerait dans la mesure où il conviendrait de signaler chaque cas à la Commission. Comme l’a indiqué Roger Negri au cours du débat, cela n’aurait pas joué en faveur de la simplification administrative.

Autre changement important, la validité des quotas délivrés à compter du 1er janvier 2013 sera limitée à huit ans.  

La vente aux enchères totale devrait être de rigueur dès 2013 pour le secteur de l’électricité. Dans d’autres secteurs, les quotas gratuits seront progressivement retirés sur une base annuelle. Le niveau des enchères atteindra 70 % en 2020, avec un objectif de parvenir à la suppression des quotas gratuits en 2027.

La directive prévoit toutefois que certains secteurs à forte consommation d’énergie pourraient continuer d’obtenir gratuitement tous leurs quotas à long terme, si la Commission identifie un risque significatif de „fuite de carbone“, c’est-à-dire un risque de délocalisation dans des pays tiers où les lois relatives à la protection du climat sont moins strictes.

Le projet de loi

Le projet de loi, qui avait été déposé en avril 2012 par le gouvernement, transpose cette directive selon le principe „toute la directive rien que la directive“. Il prévoit un renforcement en personnel de l’Administration de l’environnement en raison des nombreuses obligations qui se dégagent de l’application de la loi.

La Chambre de Commerce avait émis un avis très critique et très détaillé en juin 2012. Si elle disait souscrire entièrement aux objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle plaidait pour un encadrement international approprié, à savoir un accord juridiquement contraignant qui seul permettrait d’éviter toute distorsion de la concurrence. Aux yeux de la Chambre de Commerce, "le cavalier seul de l’Europe, outre à accélérer la désindustrialisation du continent, a un effet bénéfique limité, voire inexistant, sur la réduction mondiale des gaz à effet de serre". Elle critiquait donc un SCEQE qui récompense la „non-production“, avec les conséquences socio-économiques néfastes qu’implique l’évincement des activités industrielles en Europe et au Luxembourg qui va de pair.

C’est dans cette optique que la Chambre de Commerce analysait point par point les modifications introduites et leurs conséquences. Elle s’interrogeait par ailleurs sur les raisons qui ont poussé les auteurs du projet de loi à ne pas transposer l’article qui permet d’exclure du système des petites installations. En guise de conclusion, la Chambre de Commerce émettait un avis globalement défavorable quant à la transposition de la directive 2009/29/CE à travers le projet de loi sous rubrique. "La directive, en ce qui la concerne directement, a le potentiel d’accélérer la désindustrialisation de l’Union européenne et sa mise en œuvre au Luxembourg ne contribuera pas à renforcer l’appareil productif luxembourgeois", concluait la Chambre de Commerce.

Le Conseil d’Etat, qui avait pointé un certain nombre de problèmes formels dans un premier avis suivi d’amendements au projet de loi, continuait, dans son avis complémentaire daté du 15 novembre 2012, de s’interroger sur l’opportunité de transposer la directive intégralement par la loi en projet, même si sur le plan juridique formel rien ne s’y oppose, dans la mesure  où une petite partie du système d’échange est réglementé au niveau national, qui s’insère dans le système européen. Le Conseil d’Etat aurait préféré une transposition se limitant aux dispositions de la directive 2009/29/CE qui ont des répercussions directes sur le Luxembourg et ses administrés.

Le débat

Au cours du débat qui a suivi l’intervention du rapporteur, Marcel Oberweis (CSV), les députés de l’opposition Eugène Berger (DP) et Camille Gira (Déi Gréng) se sont livrés à une violente charge contre l’action, ou plutôt l’inaction à leurs yeux, du gouvernement en matière de lutte contre le changement climatique.

C’est à la lumière d’une analyse beaucoup plus générale du contexte qu’Eugène Berger a annoncé que son parti ne soutiendrait pas un projet de loi qui, selon lui, ne répond en rien au défi qui se pose au Luxembourg en termes de changement climatique. Le système d’échange de quotas n’a pas contribué à atteindre les objectifs en termes de réduction de gaz à effet de serre.

Le député de la DP déplore que, dès décembre 2004, aucun bilan n’ait été tiré de la première période pilote du système d’échange de quotas d’émissions. Or, il déplore que le plan d’allocation de quotas, qui aurait dû inciter les entreprises à investir pour réduire leurs émissions, ait doté les entreprises luxembourgeoises d’un grand nombre de certificats. En ayant été trop généreux avec ces entreprises, qui n’ont eu aucune difficulté à ne pas dépasser leurs quotas, le gouvernement a remis en question l’efficacité du système. Et, a commenté Camille Gira, elles n’ont pas été invitées à investir.

Camille Gira a commencé son intervention en montrant une caricature qui illustre à ses yeux très bien le système d’échange de quotas d’émissions, à savoir un instrument destiné à la lutte contre le changement climatique devenu un moyen pour les multinationales de remplir leurs caisses. L’idée du système était assez bonne à ses yeux. Mais lorsqu’il a fallu fixer les quotas, la Commission a abdiqué devant les Etats membres, eux-mêmes mis sous pression de la part des industriels, analyse-t-il. La surallocation n’est pas qu’une conséquence de la crise, a-t-il insisté. La conséquence, à savoir que le prix de la tonne est resté très bas, contrairement aux attentes, les deux députés de l’opposition la déplore. Camille Gira a d’ailleurs souligné que la situation est si dramatique que la Commission a proposé de stabiliser le marché des émissions en novembre dernier.

Les deux députés n’ont pas manqué d’insister sur le cas ArcelorMittal, qui devrait pouvoir garder les nombreux quotas surnuméraires qu’il a en raison de cette surallocation au cours de la troisième période qui va commencer. Et Camille Gira n’a pas manqué non plus de glisser que les autres entreprises avaient aussi bénéficié de cette générosité. "Vous ne faites rien pour le climat, mais vous distribuez des cadeaux à l’industrie luxembourgeoise", a conclu Camille Gira en interpellant le gouvernement.

Eugène Berger a aussi critiqué les investissements dans des projets à l’étranger dans le cadre des CDM, un argent qui aurait pu être investi au Luxembourg dans la lutte contre le changement climatique. Car cette politique offre une énorme opportunité économique, estime le député de la DP qui a plaidé pour un système de banque climatique pour encourager les gens à investir dans la rénovation des bâtiments anciens.

L’analyse de Roger Negri (LSAP), fut plus nuancée. Contrairement aux députés de l’opposition, il estime en effet que le gouvernement, auquel participe son parti, faut-il le rappeler, a fait ses devoirs en réduisant ses émissions alors qu’il fait face à un important changement démographique sur son territoire, auquel s’ajoute l’explosion du phénomène des travailleurs frontaliers.

Toutefois, il rejoint ses collègues sur la nécessité de donner un nouvel élan à l’économie verte, tout en précisant, en faisant référence au dossier complexe des agrocarburants, qu’il vaut veiller à ne pas aller à l’encontre d’autres secteurs essentiels. Sur les CDM, il convient que financer des projets à l’étranger ne doit pas dispenser de faire des efforts au niveau national et local.

Quant au projet de loi, que son parti a soutenu lors du vote, il salue le fait que le champ d’application soit élargi, mais aussi le fait que le système sera plus strict eu égard à ce qu’il adviendra des certificats non utilisés. Car il s’est montré lui aussi très choqué par les abus qui ont pu être observés.

Roger Negri a exprimé ses espoirs qu’ArcelorMittal, qui a gagné beaucoup d’argent grâce aux certificats qui lui ont été alloués pour des sites en cours de restructuration, comme Rodange, et Schifflange, ou de modernisation, comme Esch/Belval, tiendra ses engagements. Et il appelle à en tirer le bilan lors de la tripartite.

Le ministre Marco Schank, qui a rappelé en conclusion les principaux aspects de la réforme du SECQE, estime pour sa part que l’UE a tiré les leçons des erreurs de la deuxième phase. Pour ce qui est de la sur-allocation des certificats, il a rappelé que les chiffres avaient été définis en 2006, à un moment où on était loin d’imaginer la crise qui sévit depuis 2008. Qui plus est, en comparaison avec les chiffres observés chez ses voisins, le Grand-Duché n’a pas à rougir d’avoir un surplus de certificats qui est de l’ordre de 13,7 % en moyenne sur la période 2008-2011. Le ministre ne conteste pas qu’il y a eu sur-allocation au niveau européen, ce qui influencé le prix de la tonne au point qu’il y a bien un risque que le système ne soit plus incitatif, mais la réaction de la Commission qui propose de geler certains volumes de quotas mis aux enchères, répond à ce problème. Quant au dossier ArcelorMittal, le ministre a informé la Chambre que, comme il s’était engagé à le faire en mai dernier, le gouvernement venait de lancer la procédure visant à récupérer les certificats d’émission non utilisés.