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Economie, finances et monnaie
Le Luxembourg et la Suisse veulent se coordonner avec d’autres places financières internationales pour affronter les mutations réglementaires aux USA et dans l’UE en matière de coopération fiscale
18-12-2012


Eveline Widmer-Schlumpf, présidente et ministre des Finances de la Confédération suisse, et Luc Frieden, ministre luxembourgeois des Finances, le 18 décembre 2012 à LuxembourgEveline Widmer-Schlumpf, présidente et ministre des Finances de la Confédération suisse, a effectué le 18 décembre 2012 une visite à Luxembourg, où elle a donné une conférence de presse conjointe avec le ministre des Finances, Luc Frieden, à l’issue d’un entretien au cours duquel il avait été essentiellement question de dossiers d’actualité politique européenne, de la situation économique, de l’évolution des places financières internationales et des changements réglementaires en cours en matière de coopération fiscale..

La Suisse, un partenaire de tout premier ordre

Pour le ministre luxembourgeois, la Suisse est un des premiers clients de la place financière, avec 10 banques et la détention par des clients suisses de 15 à 16 % des avoirs des fonds d’investissements gérés au Luxembourg. Des chiffres qui illustrent selon lui la nécessité de rester en étroit contact pour discuter des évolutions économiques, politiques et internationales, d’apprendre l’un de l’autre et surtout d’atteindre ensemble des objectifs communs. Pour Luc Frieden, les places financières luxembourgeoise et suisse ont en commun d’être internationales et donc de ne pas se concentrer sur leur marché intérieur, et de miser ensuite sur la stabilité, le développement et les affaires internationales pour converger et se développer ensemble.

Concilier honnêteté fiscale ("Steuerehrlichkeit") et protection de la sphère privée

Se développer, cela veut dire d’abord tenir compte des développements réglementaires sur les autres places financières - une allusion entre autres à la législation états-unienne FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) - et s’y adapter. Ce qui ne veut pas dire pour Luc Frieden qu’il faut s’y conformer et faire ce que les autres décident, mais bien qu’il s’agit de participer activement à la mise en place de nouveaux dispositifs, de préférence de manière coordonnée.       

Comme il l’avait expliqué lors de son discours sur le budget 2013 à la Chambre des députés, le secret bancaire traditionnel appartient à l’histoire. Ce qui est désormais au centre des préoccupations, c’est la "Steuerehrlichkeit", l’honnêteté envers les administrations fiscales, "un principe important" ne serait-ce qu’à cause de la justice fiscale et du fait que de nombreux Etats se trouvent dans une situation difficile à cause de la crise. Il s’agira de trouver des voies pour combiner l’honnêteté fiscale avec la nécessité de protéger la sphère privée. C’est sous cet angle que se dérouleront les négociations pour un accord intergouvernemental entre le Luxembourg et les États-Unis d’Amérique, des négociations dont Luc Frieden avait annoncé le début la veille, le 17 décembre 2012.

Le Luxembourg, la Suisse et FATCA 

La législation américaine FATCA a été adoptée selon les termes du Ministère des Finances luxembourgeois "dans l’optique de renforcer la capacité de l’administration fiscale américaine à lutter contre l'évasion fiscale transfrontalière de personnes américaines ayant des comptes à l’étranger". FATCA cherche à atteindre cet objectif en imposant aux institutions financières étrangères (FFIs) de signer des contrats avec l'Internal Revenue Service (IRS), contrats conformément auxquels les FFIs seraient tenues de se conformer à certaines obligations.

Pour Luc Frieden, les discussions sur FATCA devront se dérouler dans un cadre où le Luxembourg et la Suisse se coordonneront aux niveaux gouvernemental comme privé et en feront de même avec d’autres places financières – Luc Frieden a cité Londres, Singapour, Hongkong -  comme cela a été envisagé le 15 novembre à Zurich lors du Capital Market Forum organisé par la Neue Zürcher Zeitung.

Eveline Widmer-Schlumpf a ainsi expliqué qu’elle avait informé le Luxembourg sur le fait que son pays venait de parapher l’accord FATCA avec les USA selon le modèle 2, à l’instar du Japon, alors que les Etats membres de l’UE ont choisi de négocier sur le modèle 1.

La différence entre les deux modèles est de taille. Le modèle 2 établit un cadre dans lequel les institutions financières étrangères (FFIs) informent directement l’IRS sans violer ce faisant les lois internes, et en complément, il y a échange d’informations sur demande entre les USA et les gouvernements étrangers. Le modèle 1 par contre, un modèle qui sert de base aux négociations entre les USA d’un côté, et la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume Uni de l’autre, les FFIs informent d’abord leurs gouvernements respectifs, et ceux-ci procèdent ensuite à un échange automatique d’informations de gouvernement à gouvernement.

Pour Luc Frieden, FATCA aura "une influence conceptuelle et politique sur la question de l’échange d’informations". C’est pourquoi il est convaincu que les places financières vont toutes se diriger vers le principe de l’honnêteté fiscale et que ce seront la qualité des produits et des services d’une place qui feront la différence, et non plus la fiscalité. Pour influer sur ces nouveaux dispositifs, il faudra se lancer dans la discussion "de manière ouverte et offensive", et la mener entre autres sur la question de ce que peut être la protection de la sphère privée en relation avec la coopération entre les Etats et les administrations. En d’autres termes, "il faudra accorder un bon accès des administrations fiscales aux données, mais de manière clairement définie".

Par ailleurs, le ministre est convaincu qu’il est doublement important de négocier avec les USA, d’un côté parce qu’ils sont la plus grande puissance économique mondiale, de l’autre parce que si l’on ne négocie pas, il faudra tout simplement appliquer la législation américaine. Par contre, si l’on négocie, l’on peut mettre en avant la situation particulière du Luxembourg. Quant à savoir si le Luxembourg va opter au cours de la négociation pour le modèle 1 ou 2,  cela n’a pas encore été décidé, parce que le Luxembourg écoutera avant le Département des Finances américain. Une chose par contre est claire : l’accord entre les Etats membres de l’UE et les USA sur FATCA aura une incidence politique sur l’évolution  de la coopération entre les administrations fiscales au sein de l’UE.               

Mettre en place une strategie pour un "level playing field" entre les places financières internationales

La Suisse attend maintenant de voir comment les négociations avec les pays de l’UE vont se dérouler et quel en sera l’impact, consciente aussi du fait que le Luxembourg est, en tant qu’Etat membre de l’UE, dans une situation différente de la sienne. Ce qui importe à la Suisse, c’est la mise en place d’un "level playing field" entre les places financières internationales pour lequel il s’agit de développer une stratégie. Il s’agit en d’autres termes de mettre en place un environnement dans lequel toutes les entreprises des grandes places financières suivraient les mêmes règles et auraient les mêmes capacités à être compétitives. Eveline Widmer-Schlumpf a donc évoqué une stratégie qui devra aussi définir la future offre des places financières et se fixer comme objectif de ne miser que sur des avoirs déclarés. Les affaires se baseront sur la prévisibilité et la qualité de cette offre sur toutes les places concernées.

Dans ce contexte, Luc Frieden est convaincu que la coordination entre les places financières internationales devra aller au-delà de la question de la protection de la sphère privée. Il y aura encore d’autres réglementations sur lesquelles il faudrait se concerter, surtout dans un contexte pour lui préoccupant où, dans de nombreux Etats, l’on se concentre à cause de la crise avant tout sur son marché intérieur, et où il est donc important d’expliquer que des places financières sont nécessaires et font partie de la normalité.