Yves Mersch, tout juste entré dans ses fonctions de membre du directoire de la BCE, a donné une interview à la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) que celle-ci a publiée le 18 décembre 2012 sous la plume de Stefan Ruhkamp. Le même jour, Yves Mersch a été chargé avec le vice-président de la BCE, Vitor Constancio, de la mise en place du mécanisme de surveillance unique (MSU) des banques, ainsi que des dossiers liquidités, informatique et gestion des risques.
Dans son entretien, Yves Mersch prône une BCE forte, sûre d’elle-même et indépendante qui "peut donc des fois s’approcher du centre de la crise". C’est précisément "parce que la BCE fonctionne de manière fédérale et a réfléchi de manière constructive qu’elle s’est inévitablement rapprochée du centre de la gestion de la crise". Elle a donc procédé au rachat de dettes de pays en difficultés, mais de manière conditionnelle. En agissant ainsi, elle a eu recours à "un instrument monétaire", mais en aucun cas, souligne Yves Mersch, à "un instrument budgétaire". Pour lui, elle ne pouvait pas ne pas agir face à un navire en perdition. "Une Union monétaire faite d’Etats est une communauté de solidarité", professe-t-il, en précisant qu’elle l’est moins dans un sens financier qu’au niveau de l’action.
Yves Mersch raconte aussi au journaliste que la BCE a fait "une mauvaise expérience avec le premier programme de rachat de dettes, le Securities markets programme" (SMP) qui, lancé en mai 2010, a totalisé des rachats de titres à hauteur de plus de 200 milliards d'euros, qui seront gardés jusqu'à leur maturité. Ce premier programme a en effet conduit à ce que certains pays et leurs dirigeants - qu’il n’a pas voulu nommer – sont revenus sur des réformes en cours. "C’est pourquoi notre deuxième programme OMT (pour "Outright monetary transactions") est doté de conditions plus robustes". Il faut que l’aide soit sollicitée. Elle porte sur des obligations de maturité de court et moyen termes, notamment de 1 à 3 ans. Le respect des conditions est placé sous surveillance du FMI, de l’ESM et des parlements nationaux. Si une règle est violée, le programme est arrêté. Et finalement, le conseil de la BCE estimera si la chaîne d’effets que cette politique monétaire est censée avoir est perturbée ou non. "Des barrières qu’il ne faudrait pas sous-estimer", insiste Yves Mersch.
En agissant ainsi, la BCE ne s’arroge pas des pouvoirs excessifs, mais a recours à des moyens non-conventionnels pour s’assurer que sa politique monétaire porte, "comme c’est prévu dans les traités", précise Yves Mersch. C’est, comme fixer le taux directeur en temps normal, une décision qui constitue aussi un exercice du pouvoir. Mais Yves Mersch admet que la prise de risque dans un programme de rachat est plus forte que pour des affaires monétaires normales. Ce dont il s’agit d’abord, c’est de juguler la peur qui hante les esprits qu’il n’y ait, au-delà du risque de crédit qu’un pays encourt, un risque monétaire, et cette peur exprime pour Yves Mersch la crainte que l’UEM éclate. La BCE défend donc l’UEM contre les marchés qui incluent le risque monétaire dans le prix de leurs prêts. Pour lui, "la spéculation sur l’éclatement de l’UEM ne sape pas seulement la crédibilité de la monnaie, mais aussi celle de la BCE". Il est donc normal qu’elle n’assiste pas à cela en tant que spectateur.
Il n’en reste pas moins qu’Yves Mersch est critique à l’égard des mesures de crise de la BCE. Pour lui, elles ont contribué à rendre les choses plus complexes. Les mesures conventionnelles ont de fait conduit à des taux négatifs qui pourront, sur la durée, créer des distorsions dans l’économie réelle. Mais comme l’on vient à peine d’annoncer que les banques pourront continuer à effectuer des emprunts illimités contre des garanties, Yves Mersch pense que "cela ne fait guère de sens de planifier publiquement la sortie des mesures anticrise." Le tout est lié à la reprise économique, à la régression des déséquilibres et à la stabilité bancaire. Et comme la reprise n’aura pas lieu avant la deuxième moitié de 2013 …
Alors qu’il ne voit pas de risque de déflation, Yves Mersch loue avant tout un effet secondaire de la crise, à savoir qu’elle "nous a poussés à faire avancer la construction de l’Europe ou du moins à envisager d’avancer." Mais il craint que cette évolution ne marque le pas, comme cela a été le cas avec les décisions sur l’Union bancaire. L’européanisation des décisions reste encore précaire selon lui, puisque une aide de l’ESM peut être remise en question par un seul pays. Pour Yves Mersch, il faut renforcer les règles de l’UEM de manière telle que même un grand Etat membre ne puisse plus se permettre de ne pas les respecter. Tout comme il faudrait faire baisser les tensions entre les Etats membres de l’UE qui sont dans la zone euro et ceux qui ne le sont pas.
Ceci dit, Yves Mersch est d’avis qu’il faudra veiller à ce que la fonction de surveillance bancaire qui sera dévolue à la BCE n’entre pas en conflit avec la poursuite des objectifs statuaires de la banque centrale, une possibilité qu’il ne cherche pas à minimiser. D’autre part, il est pour lui tout à fait envisageable que l’on prévoie dans les accords sur la surveillance bancaire une clause de révision pour permettre à une Europe qui se serait dotée de nouvelles institutions plus fortes de décider si la surveillance bancaire doit rester dans les seules mains de la BCE, à l’instar de ce que l’on a fait aux USA, où l’on a plusieurs fois changé de concept en la matière.