Au lendemain de son approbation par le Conseil Compétitivité, le paquet législatif qui permettra d’introduire un brevet unitaire dans le cadre d’une coopération renforcée impliquant pour l’instant 25 Etats membres a été adopté à une large majorité par le Parlement européen réuni en plénière à Strasbourg le 11 décembre 2012. L’accord trouvé met fin à des décennies de discussions sur un brevet européen que beaucoup d’entreprises appelaient de leurs vœux. Le même jour, l’avocat général de la CJUE proposait à la Cour de rejeter les recours introduits par l’Espagne et l’Italie dans ce dossier.
"La propriété intellectuelle ne doit pas s'arrêter aux frontières. La mise en place du brevet de l'UE a été longue et difficile, mais finalement cela en a valu la peine", s’est réjoui Bernhard Rapkay (S&D), député européen responsable de la législation sur la mise en place d'un système de protection par brevet unitaire. "Le vote d'aujourd'hui est une bonne nouvelle pour l'économie européenne et en particulier pour les petites et moyennes entreprises européennes", a-t-il ajouté.
"Le régime actuel du brevet européen revient en fait à taxer l'innovation", a expliqué Raffaele Baldassarre (PPE) qui a mené les négociations sur le régime de traduction des brevets européens. "Des mesures spécifiques consistant à rembourser intégralement aux PME les frais de traduction et à assurer une protection juridique supplémentaire en cas de contrefaçon" ont été introduites à la demande du Parlement, s’est-il réjoui.
Le président de la commission des affaires juridiques, Klaus-Heiner Lehne (PPE), qui a mené les négociations sur l'accord international pour la création d'une juridiction unifiée en matière de brevets, a rapporté que "les personnes en Chine nous disent que nous ne pouvons pas avoir un marché unique sans brevet unitaire". Avec les nouvelles règles, "de nombreux obstacles seront surmontés pour les PME", s’est-il félicité.
Le nouveau brevet sera moins onéreux et plus efficace que le système actuel en termes de protection des inventions des entreprises et des particuliers. Le nouveau système assurera une protection automatique du brevet unitaire dans les 25 États membres participants, réduira fortement les coûts des entreprises européennes, et contribuera à stimuler leur compétitivité. Lorsque le nouveau système fonctionnera à plein régime, un brevet européen pourrait coûter seulement 4725 euros, comparés aux 36 000 euros nécessaires actuellement, selon la Commission européenne.
Tout inventeur pourra demander à l'Office européen des brevets (OEB) un brevet unitaire européen lui assurant une protection dans les 25 États membres participants. Les brevets seront disponibles en anglais, en français et en allemand. Les demandes devront être faites en anglais, en allemand ou en français. Si elles sont introduites dans une autre langue, elles devront être accompagnées d'une traduction dans l'une de ces trois langues.
Le Parlement a garanti que les coûts de traduction seront totalement remboursés aux petites et moyennes entreprises, organisations sans but lucratif, universités et organisations publiques de recherche.
Il a également veillé à ce que les frais de renouvellement soient établis à un niveau qui prenne en compte les besoins spécifiques des petites entreprises, pour qu'elles puissent pleinement bénéficier d'une réduction des coûts.
L'accord international mettant sur pied la juridiction unifiée en matière de brevet entrera en vigueur le 1er janvier 2014 ou après sa ratification dans treize États contractants, à condition que le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne en fassent partie. Les deux autres volets seront d'application à compter du 1er janvier 2014 ou à la date de l'entrée en vigueur de l'accord international, si celle-ci intervient après cette date. L'Espagne et l'Italie sont jusqu'à présent en dehors du nouveau régime, mais elles pourront participer, à tout moment, au processus de décision.
Le rapport de Bernhard Rapkay, qui porte sur le règlement établissant un brevet unitaire, a été approuvé par 484 voix pour, 164 contre et 35 abstentions. Pour ce texte, la procédure est celle de la codécision.
La résolution de Raffaele Baldassarre, qui porte sur le régime de traduction, a été approuvée par 481 voix pour, 152 contre et 49 abstentions. Pour ce texte, le Parlement européen n’a une voix que consultative.
La résolution de Klaus-Heiner Lehne a été approuvée par 483 voix pour, 161 contre et 38 abstentions. Cette résolution portant sur le système juridictionnel pour les litiges en matière de brevets est un texte non législatif.
Lorsqu’on regarde de plus près les résultats des votes chez les eurodéputés luxembourgeois, on constate qu’ils ont voté presque unanimement en faveur de ce paquet législatif salué de toutes parts. C’est en effet le cas de Charles Goerens (ALDE), des trois eurodéputés PPE Georges Bach, Frank Engel et Astrid Lulling, et de Robert Goebbels (LSAP), qui a d’ailleurs expliqué par voie de communiqué avoir apporté son "soutien inconditionnel" au paquet législatif, se félicitant qu’après "40 années de vaines discussions l'Europe (moins l'Italie et l'Espagne, hélas) connaît enfin un brevet pratiquement transcontinental, ayant un coût plus raisonnable, ce qui est dans l'intérêt de la recherche et des scientifiques, mais également dans l'intérêt de l'industrie et des consommateurs".
Le seul eurodéputé luxembourgeois à avoir voté contre les trois rapports est donc l’écologiste Claude Turmes, qui a suivi la très large majorité de son groupe parlementaire. Le groupe des Verts/ALE a en effet voté contre ses propositions. Les Verts pointent un certain nombre d’incertitudes juridiques liées à cette proposition, exprimant des doutes sur sa légalité même dans la mesure où, à leurs yeux, les institutions européennes abdiquent leurs pouvoirs en matière de propriété intellectuelle en les abandonnant à une organisation qui n’est pas une institution de l’UE, à savoir l’Office européen des brevets ainsi que la Cour créée à cet effet. Ils s’inquiètent du fait que l’Office européen des brevets puisse ne pas respecter la législation européenne et celle des Etats membres, comme il l’a déjà fait, ainsi que l’a indiqué au nom du groupe Christian Engström qui a cité l’exemple des brevets accordés à des logiciels, ou bien sur le vivant.
"Le texte actuel mélange des éléments du droit de l'Union européenne et du droit international", a expliqué encore l’eurodéputée Sandrine Belier pour qui "il revient à demander au Parlement européen de renoncer à exercer un contrôle démocratique sur des questions aussi importantes que celle de la définition de ce qui est brevetable". "C'est donner carte blanche dans les domaines du vivant et des logiciels à l'office européen des brevets qui n'est pas une institution de l'Union européenne et dont les pratiques seront donc inadéquates", s’inquiète-t-elle. "Les écologistes sont pour l'instauration d'un brevet unitaire mais dont l'obtention dépende des institutions de l'Union européenne", résume l'eurodéputée, voyant là la condition pour assurer les règles démocratiques et l'égalité entre tous.
Le compromis trouvé sur la mise en place de la future Cour des brevets, qui sera mise en place dans le cadre d’un accord international, prévoit que la Cour des brevets devra consulter la CJUE dès qu’il y aura un problème d’interprétation concernant les deux règlements communautaires créant le brevet unitaire, à savoir celui sur les modes de délivrance du brevet et celui portant sur son régime linguistique.
L’article 5 introduit en guise de compromis au blocage apparu en juin dernier et qui avait opposé ces derniers mois Parlement et Conseil a notamment suscité l’inquiétude chez certains groupes internationaux, comme Nokia et BAE Systems, qui voient le nouveau système comme un frein à l’innovation qui risque de placer l’Europe "en situation de désavantage par rapport aux autres nations".
"L’article 5a crée une grande insécurité juridique et facilite le tourisme juridique", ce qu’on appelle en anglais le "forum shopping", dénoncent-ils dans une lettre datée du 10 décembre 2012 dans laquelle ils appelaient les parlementaires à ne pas adopter le paquet législatif. Le risque, c’est que cela n’ouvre la voie à des pratiques abusives de la part de détenteurs de brevets, autrement dit, que cela ne signifie le début d’une invasion des "trolls des brevets", ces entreprises bien connues aux Etats-Unis qui sont spécialisées dans la vente de licences ou les actions en justice liées aux brevets, au détriment des entreprises qui se donnent la peine d’innover réellement.
L’entreprise Ericsson précise aussi dans une lettre du même genre adressée aux eurodéputés que l’article 5a contredit l’ambition du brevet unitaire en donnant à la Cour des brevets mandat pour appliquer le droit national, ce qui fait que la protection par brevet dépendra de la nationalité de son détenteur.