La Commission européenne a décidé de créer, le 23 avril 2013, une "Plateforme concernant la bonne gouvernance dans le domaine fiscal, la planification fiscale agressive et la double imposition", afin de mettre en place une approche européenne commune dans la lutte contre les évadés et fraudeurs fiscaux.
Cette annonce s'inscrit dans le prolongement de la publication, le 6 décembre 2012, du plan d'action pour le renforcement de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Le commissaire en charge de la fiscalité, Algirdas Semeta, avait alors justifié la nécessité d'un tel plan au regard du montant de mille milliards d'euros qui échappent frauduleusement chaque année aux budgets des Etats membres de l'Union.
La plate-forme aura donc pour mission de coordonner et de surveiller les progrès des États membres dans la mise en œuvre de mesures concrètes de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, la planification fiscale agressive ou encore les paradis fiscaux. La plate-forme "contrôlera de près les progrès dans la lutte contre l'évasion et tirera la sonnette d'alarme en cas de relâchement des efforts" a déclaré le commissaire à la fiscalité, Algirdas Semeta, lors du lancement de ce nouvel organe qu'il présente comme "un lieu de discussion et d'échange d'expertise " mais aussi une "source de pression entre pairs ".
La plate-forme devra suivre la mise en œuvre des deux premières recommandations prises par la Commission européenne dans le cadre du Plan d'action contre l'évasion et la fraude fiscales. La première concerne la planification fiscale agressive. Elle invite les Etats membres à adopter "une règle anti-abus générale en vertu de laquelle ils ignoreraient les montages artificiels réalisés essentiellement à des fins de contournement des règles fiscales et appliqueraient leurs règles fiscales en fonction de la substance économique réelle". La Commission y encourage par ailleurs les États membres à inclure dans les conventions de non double imposition une disposition visant à empêcher "une forme particulière de double non-imposition".
La seconde recommandation vise la lutte contre les paradis fiscaux en encourageant les pays tiers à appliquer des normes minimales de bonne gouvernance dans le domaine fiscal. Elle énumère à la fois des critères permettant d'identifier les pays tiers qui ne respectent pas ces normes minimales et des mesures que les États membres peuvent prendre à l'encontre de ces pays ou en faveur de ceux qui, au contraire, se conforment à ces normes.
Les travaux et réflexions de la plate-forme nourriront par ailleurs le rapport que la Commission s'est engagée à publier d'ici à la fin de 2015 sur l'application de ces recommandations.
Présidée par la Commission européenne, la plate-forme se réunira quatre fois par an. Sa première réunion est prévue le 10 juin prochain. Elle sera constituée de 45 experts, nommés pour un mandat de trois ans renouvelable. Chacun des vingt-sept Etats membres y sera représenté par un membre de son administration fiscale. Les autres postes font l'objet d'un appel à candidatures, lancé dès le 23 avril 2013 et courant jusqu'au 8 mai. Pourront être retenus pour siéger au sein de cette plate-forme des représentants d'organisations (associations, entreprises, ONG, instituts de recherche, syndicats…etc.) issues de la société civile et du secteur privé, ainsi que des fiscalistes. L'appel à candidatures mentionne notamment la nécessité de compétences spécifiques dans les questions relatives à la transparence en matière fiscale, l'échange d'informations, la concurrence fiscale déloyale, la double taxation et dans les questions relatives à la planification fiscale agressive (laquelle inclue le rôle et la signification des paradis fiscaux et l'incidence de la "double non-imposition ").
La Commission prévoit aussi la convocation d'experts en cas de besoin. Elle envisage également d'accorder le statut d'observateur à des individuels ou des organisations.
La décision de créer cette plate-forme est intervenue bien avant les derniers développements politiques, qui ont notamment vu le Luxembourg accepter l'échange automatique d'informations. Néanmoins, la situation nouvelle semble, pour le commissaire en charge de la fiscalité, particulièrement propice à des avancées rapides dans la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales. " Ces dernières semaines, nous avons observé une nouvelle vigueur parmi les Etats membres pour prendre en charge la lutte contre l'évasion fiscale. C'est un développement hautement bienvenu. Néanmoins, les mots doivent être transformés en actes. Les bonnes intentions doivent se transformer en actions concrètes" a-t-il déclaré.
Le commissaire constate cette évolution au niveau européen mais aussi mondial, avec au G20, une "nouvelle ouverture à l'idée de l'échange automatique d'informations ". Il voit pour l'Europe, "pionnière" selon lui en la matière, la possibilité de faire pression sur les partenaires internationaux afin qu'eux aussi adoptent les normes de gouvernance les plus élevées. Il a indiqué que la Commission travaillera en tandem avec l'OCDE pour que l'échange automatique devienne la norme au niveau international, et espère des engagements en ce sens aux sommets du G8 en juin 2013 et du G20 en septembre 2013.
Dans cette vaste offensive internationale, la "priorité première" c'est d'engager les plus proches voisins "qui bénéficient grandement du marché unique européen", estime Algirdas Semeta. "Ils ne peuvent pas s'isoler de l'évolution vers plus de transparence. (…) Le courant va désormais vers un plus grand échange d'informations, et ils doivent savoir que ce courant est trop fort pour le remonter à la nage. "
Le commissaire a notamment indiqué qu'il souhaitait trouver un accord ambitieux sur l'échange automatique d'informations avec la Suisse et quatre autres pays (Andorre, Liechtenstein, Monaco, San Marin). Il faudra néanmoins que la Commission obtienne un mandat de négociation en convainquant l'Autriche, le dernier Etat membre réticent depuis le ralliement du Luxembourg. Algirdas Semeta envisage que l'Autriche cède dès le Conseil Écofin du 14 mai ou, au plus tard, lors du Conseil européen du 24 mai, a-t-il déclaré aux journalistes. "La Suisse est au cœur de l'Europe et profite largement de son accès au marché unique. Il est évident qu'elle doit donner le même traitement aux pays européens que celui accordé aux autres pays, dont les États-Unis" a argumenté le commissaire à la fiscalité, comme le rapporte le quotidien français Figaro.
La lutte contre l'évasion fiscale "c'est protéger la loyauté de nos systèmes fiscaux, afin que les contribuables honnêtes ne paient pas pour les actions des malhonnêtes. C'est protéger notre compétitivité, de telle sorte que nos marchés libres et nos économies ouvertes ne soient pas laissés sans défense face aux abus. Et c'est protéger la solidarité entre nos Etats membres. L'équité et une approche commune forment le seul moyen pour que chacun soit capable de collecter ses recettes légitimes. Il y a trop en jeu pour perdre cette bataille", a-t-il encore affirmé.