Le 4 avril 2013, le service Jeunesse de la Centrale paysanne luxembourgeoise (Lëtzebuerger Bauerejugend, LBJ), épaulé par l’eurodéputée Astrid Lulling (PPE), membre de la commission AGRI au Parlement européen, invitait la presse pour présenter sa position sur la future politique agricole commune. Les négociations sont en effet arrivées à un moment déterminant puisque le Parlement européen a adopté sa position le 12 mars dernier et que le Conseil a trouvé un accord sur la sienne le 19 mars.
Comme l’a rappelé Astrid Lulling, le vote à Strasbourg n’a pas été simple, puisqu’il a fallu se prononcer en plénière sur plus de 7000 amendements proposés de toutes parts pour modifier le rapport qui avait été adopté en commission. Astrid Lulling avoue ne pas avoir été tout à fait innocente, puisqu’elle a, elle aussi, tenté d’infléchir la position du Parlement en proposant quelques 177 amendements. Le rapport, critiqué par un grand nombre d’ONG qui ne le trouve pas assez vert, a cependant été, dans son ensemble, adopté à une large majorité. Astrid Lulling confie une certaine déception quant à la position à laquelle est parvenue le Conseil, mais elle ne perd pas espoir que des compromis raisonnables sauront être trouvés dans les discussions en trilogue.
Nous sommes donc au seuil des négociations qui vont se tenir dans le cadre du trilogue, réunissant Commission, Conseil et Parlement européen, qui va démarrer dans les prochaines semaines. Et le moment est donc venu pour les jeunes agriculteurs luxembourgeois, qui étaient représentés par René Ernst et Guy Wester, de se prononcer sur les principaux enjeux de la PAC du futur.
Avant tout, les jeunes agriculteurs luxembourgeois insistent sur ce qui devrait selon eux être la priorité de la politique agricole commune, à savoir produire l’alimentation nécessaire à la subsistance des citoyens européens, tout en préservant paysage et environnement. La LBJ déplore donc de voir que les aspects environnementaux apparaissent comme prioritaires dans les discussions actuelles. Les jeunes agriculteurs ne cachent pas non plus leur déception quant aux coupes que les chefs d’Etat et de gouvernement ont fait le choix d’infliger à la PAC dans l’accord qu’ils ont trouvé en février dernier sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020. Au-delà de ces considérations générales, ils ont mis l’accent sur un certains nombre de points qui leur semblent particulièrement problématiques à ce stade des négociations.
Premier sujet d’inquiétude des jeunes agriculteurs luxembourgeois, l’accent qui est mis sur le verdissement de la PAC, que ce soit dans la proposition de la Commission ou la position adoptée au Conseil.
Les ministres de l’Agriculture se sont en effet entendus pour que les surfaces agricoles d'intérêt écologique représentent 5 % des exploitations de plus de 15 hectares dès la première année de la réforme, pour être ensuite portés à 7 % d’ici 2018. Sans compter que la position adoptée au Conseil prévoit des pénalités pouvant aller jusqu’à 125 % des aides en cas de non respect des mesures de verdissement.
Le Parlement s’en tient pour sa part à sa proposition de limiter les surfaces agricoles d’intérêt écologique à 3 % des terres cultivées avant qu’elles ne soient portées à 5 %, à partir de 2013, et il propose de limiter les pénalités aux primes vertes.
Conseil et Parlement sont d’avis que ces surfaces, qui auraient dues être mises en jachère, pourraient toutefois servir à produire des légumineuses, mais sans que ne soient utilisés pesticides ou engrais. Des mesures écologiques déjà mises en œuvre pourraient aussi être prises en compte, un élément qui est essentiel aux yeux des jeunes agriculteurs luxembourgeois, bien qu’il mérite d’être précisé.
Les jeunes agriculteurs auraient souhaité que la contribution de l’agriculture à la protection de l’environnement continue de reposer sur une base volontaire, par exemple par la participation des entreprises à des programmes agro-environnementaux, comme cela s’est fait par le passé. La LBJ estime qu’un certain nombre de questions méritent d’être éclaircies en matière de verdissement, mais les jeunes agriculteurs espèrent surtout que les ministres vont limiter les surfaces d’intérêt écologique à 5 %, tout en veillant à ce qu’elles puissent être cultivées pour des légumineuses, des protéagineux et des cultures de couverture. Par ailleurs, les pénalités prévues font l’objet d’une stricte opposition des jeunes agriculteurs qui sont très inquiets de la perte de revenus que cela engendrerait pour de nombreuses entreprises qui ne peuvent pas se le permettre.
"On ne peut pas être plus vert que vert", a insisté Astrid Lulling sur cette question épineuse du verdissement. Au Luxembourg, beaucoup a déjà été fait et continue d’être fait en matière environnementale, et les surfaces cultivées étant limitées par la taille du pays et la pression forte des promoteurs immobiliers, la réforme représente pour les exploitants agricoles luxembourgeois un enjeu qui relève de la survie, ce qui explique la nécessité de prendre en compte les mesures environnementales déjà mises en œuvre.
L’ambition de convergence externe des paiements directs affichée dans la réforme de la PAC – il s’agit de réduire les écarts entre paiements directs dans les différents Etats membres à 30 % d’ici 2019 – ne devrait pas affecter trop brutalement le Luxembourg, où les paiements directs sont à peu près au niveau de la moyenne européenne. En revanche, les jeunes agriculteurs luxembourgeois s’inquiètent vivement des effets de la convergence interne qui pourrait affaiblir la rentabilité de certaines exploitations.
Autre préoccupation de la LBJ, le soutien aux jeunes agriculteurs qui est prévu dans le cadre du premier pilier de la PAC et qui permet aux Etats membres qui le souhaitent d’accorder aux jeunes agriculteurs un bonus de 25 % de paiements directs sur une surface limitée pendant les cinq premières années suivant leur établissement. Du point de vue du Parlement, cette mesure devrait être obligatoire pour tous les Etats membres, une position que soutiennent les jeunes agriculteurs luxembourgeois. Ils s’inquiètent toutefois de la durée limitée de l’aide prévue, jugeant que cinq ans sont loin d’être suffisants au vu des réalités du métier et des spécificités de l’agriculture luxembourgeoise. Les investissements nécessaires pour construire sont en effet considérables, sans compter qu’il faut attendre très longtemps la moindre autorisation et que la pression foncière est telle qu’elle menace même certains fermages.
Ce qui les réjouit en revanche dans la réforme, c’est que les paiements directs ne pourront plus être octroyés qu’à des agriculteurs actifs, sachant que les Etats membres vont devoir établir des listes des entreprises qui ne pourront plus percevoir d’aides directes, des aéroports ou des mines par exemple. "C’est un pas dans la bonne direction", saluent Guy Wester et René Ernst qui se demandent toutefois quelle sera la définition choisie pour les "agriculteurs actifs", car il conviendrait selon eux de veiller à ce que les aides ne bénéficient qu’aux agriculteurs non seulement actifs, mais aussi productifs.
Enjeu essentiel pour le Luxembourg, la question de la définition des régions défavorisées reste cruciale à ce stade des négociations, ont mis en avant les jeunes agriculteurs ainsi qu’Astrid Lulling. La Commission propose que 60 % d’une région remplissent les nouveaux critères qu’elle a fixés pour être considérée comme "région défavorisée". La nouvelle méthode de calcul de la Commission ne tient plus compte du facteur social par exemple, et les agriculteurs luxembourgeois souhaiteraient que soit pris en compte un cumul de différents facteurs. Car si l’ASTA a fait des simulations en utilisant les nouveaux critères, des doutes sur l’interprétation qu’il faut faire des propositions de la Commission subsistent, et il existe un risque que certaines zones perdent leur statut au Grand-Duché. Les jeunes agriculteurs appellent donc le ministre Romain Schneider, qui est "absolument de notre côté", comme l’a souligné Astrid Lulling, à continuer son engagement pour que toutes les surfaces considérées comme zones défavorisées au Luxembourg conservent ce statut.
En ce qui concerne les mesures de marché, et notamment le marché du lait, Commission et Conseil se sont prononcés en faveur d’un libre marché. Le Parlement européen propose pour sa part un modèle d’indemnisation en période de crise qui consisterait à récompenser les producteurs de lait qui réduisent la production et à pénaliser ceux qui augmentent au contraire leur production. Une idée que les jeunes agriculteurs rejettent tout à fait, car elle serait au fond une autre forme de système de quotas. D’autant qu’un modèle de ce genre impliquerait une grande lourdeur administrative et porterait préjudice à la compétitivité des producteurs de lait.
Les jeunes agriculteurs affichent enfin leur scepticisme à l’idée de la transparence des paiements agricoles, une mesure qui pourrait par exemple conduire à une augmentation du prix des fermages. Pour la LBJ, si cette obligation de transparence devait introduire pour les paiements agricoles, alors elle devrait être l’être pour tous les domaines qui bénéficient de financements européens.