A l’issue d’une réunion aux allures marathoniennes qui a duré près de 24 heures, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE sont parvenus à dégager un accord de compromis sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020.
L’accord trouvé limite les dépenses possibles pour une UE de 28 Etats membres, l’entrée de la Croatie étant prise en compte à compter de 2013, à 959,988 milliards d’euros en engagements, ce qui correspond exactement à 1 % du RNB de l’UE. Un chiffre "sensible et joliment rond", selon le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy.
Par rapport au cadre financier pluriannuel actuel, qui couvre la période 2007-2013 et qui représentait 1,12 % du RNB de l’UE, ce plafond a été réduit de 3,4 % en termes réels. C’est la première fois que le plafond des dépenses d’un cadre financier pluriannuel est réduit par rapport au précédent. Une première que les chefs d’Etats et de gouvernement expliquent comme "un reflet de la consolidation des finances publiques au niveau national".
Le plafond des dépenses en crédit d’engagement est lui fixé à 908,40 milliards d’euros, soit 0,95 % du RNB, alors que pour la période 2007-2013, le plafond des engagements était de 942,78 milliards d’euros, soit 1,06 % du RNB. Ce sont 34 milliards d’euros en moins que pour la période actuelle dont sera dotée l’UE pour les sept prochaines années, tant en engagements qu’en paiements.
Pour rappel, la Commission proposait en juin 2011 un budget à la hausse de 5 % pour la période 2014-2020. "La Commission aurait évidemment préféré un résultat plus proche de sa proposition initiale", a commenté à l'issue du Conseil européen le président de la Commission, José Manuel Barroso, ajoutant toutefois que l'accord "peut encore être un catalyseur important pour la croissance et l'emploi".
Pour Jean-Claude Juncker, qui représentait le Luxembourg dans ces négociations, le résultat est décevant. Il a fait part de son insatisfaction devant "un budget boiteux" devant les journalistes Guy Kemp et Tatjana Konieczny qui rapportent ses propos dans les éditions datées du 9 février 2013 du Tageblatt et du Luxemburger Wort. Le Premier ministre luxembourgeois déplore que le cadre financier pluriannuel ne soit pas à la hauteur des ambitions européennes.
Une des satisfactions du Premier ministre luxembourgeois porte sur le paragraphe 109 des conclusions du Conseil européen, qui prévoit la possibilité d'une certaine flexibilité, tant entre les exercices budgétaires qu’entre rubriques budgétaires. "Cette flexibilité devrait permettre d’estimer le montant des crédits de paiement à 914 milliards au lieu de 908,4 milliards", a expliqué Jean-Claude Juncker, "ce qui rendra la différence entre crédits d’engagements et crédits de paiement moins importante". "Il faudra utiliser au maximum les éléments de flexibilité qui permettront de corriger à la hausse le niveau des crédits de paiement", estime-t-il, voyant là une possibilité de compenser le défaut de ce budget qui n'est pas assez ambitieux et risque de ne pas être en concordance avec les traités, en vertu desquels l’Union européenne doit faire en sorte de disposer des moyens qui lui permettent de financer les politiques qui ont été décidées en son sein.
Le Premier ministre reconnaît toutefois aussi que le Luxembourg ne s’en sort pas trop mal, les paiements directs aux agriculteurs et le soutien au développement rural ayant été peu ou prou maintenus au niveau de ce qui avait été proposé en novembre dernier. En matière de développement rural, le Luxembourg devrait bénéficier de quelques 81 millions d’euros sur l’ensemble de la période, ce qui fait 7 millions de moins que pour la période actuelle. En matière de politique de cohésion, le Luxembourg ne pourra compter que sur 56 millions d’euros, et non plus 67 comme auparavant, une coupe dont le Premier ministre est toutefois conscient qu’elle sera moins douloureuse que pour d’autres pays. Pour ce qui est des dépenses administratives, il importait aussi pour le Luxembourg, ville de siège des institutions européennes, de limiter les coupes demandées, le Royaume-Uni étant allé jusqu’à demander 7 milliards de coupes. Le Luxembourg restera un contributeur net et versera 309 millions par an au budget.
Mais Jean-Claude Juncker a aussi affiché sa sympathie pour la position du Parlement européen, qu’il juge plus "européenne" que celle qui ressort du Conseil.
La position du Parlement européen, réaffirmée à de nombreuses reprises en amont des négociations, n’a pas changé comme en témoignent les déclarations de leaders des quatre principaux groupes politiques au Parlement européen à l’issue du Conseil européen. Joseph Daul (PPE), Hannes Swoboda (S&D), Guy Verhofstadt (ALDE), Rebecca Harms et Daniel Cohn-Bendit (Verts/ALE) ont en effet aussitôt annoncé qu’ils refuseraient d'accepter "en l'état" l’accord trouvé. "Cet accord ne renforcera pas la compétitivité de l'économie européenne. Au contraire, il ne fera que l'affaiblir. Ce n'est pas dans l'intérêt des citoyens européens", estiment-ils. Alain Lamassoure (PPE), qui préside la commission des Budgets, a lui aussi indiqué qu’il recommanderait "de remettre en cause" l'accord conclu car il prive l'UE "de toute marge de manœuvre budgétaire pour sept ans".
"C'est maintenant que les véritables négociations vont commencer, avec le Parlement européen", ont prévenu les chefs des groupes qui craignent que le budget envisagé par les chefs d’Etat et de gouvernement ne mène "à un déficit structurel".
Le Parlement européen doit se prononcer sur le CFP lors de sa session plénière de juillet.
Herman Van Rompuy a appelé le Parlement à "prendre ses responsabilités".
Les chefs d’Etat et de gouvernement ont souhaité toutefois mettre l’accent sur "la croissance et l’emploi" en s’entendant pour augmenter le plafond des dépenses de la sous rubrique 1A "compétitivité pour la croissance et l’emploi" de 34,1 milliards d’euros par rapport à la période de programmation budgétaire précédente, ce qui représente une hausse de 37,3 %. Le plafond est fixé à 125,614 milliards d’euros pour sept ans.
Les plafonds de dépenses pour les programmes Horizon 2020, qui doit servir à financer la recherche, et Erasmus pour tous ont aussi été augmentés en termes réels par rapport à 2007-2013.
Les chefs d’Etat et de gouvernement se sont aussi entendus pour créer le nouveau mécanisme pour l’interconnexion en Europe (Connecting Europe Facility) proposé par la Commission afin de développer les infrastructures de transport, d’énergie et numériques, pour lequel ils ont prévu une enveloppe de 29,30 milliards d’euros. Ce qui reste toutefois bien en-deçà des 40 milliards proposés par la Commission.
Les projets Galileo, ITER et GMES, considérés comme des projets d’infrastructure, relèveront de la sous-rubrique 1 A et leurs dépenses sont plafonnées à 6,3 milliards pour Galileo, 2,707 milliards pour ITER et 3,786 milliards pour GMES. Dans sa proposition de juin 2011, la Commission avait porté hors CFP les lignes budgétaires des projets ITER et GMES, ce dernier ayant vu sa dotation toutefois nettement diminuée puisque la Commission prévoyait un plafond de 5,841 milliards d’euros
Le plafond des dépenses pour la sous-rubrique 1B "cohésion économique, sociale et territoriale" a été fixé à 325,149 milliards d’euros, ce qui représente une baisse de 29,7 milliards d’euros et de 8,4 % par rapport à la période 2007-2013. Il est toutefois prévu que les pays les plus pauvres bénéficient d’une enveloppe plus grande que ce n’était le cas dans le cadre financier pluriannuel actuel.
A titre de comparaison, on peut noter que dans sa proposition de juin 2011, la Commission visait des dépenses à hauteur de 376 milliards d’euros pour ces politiques, l’écart par rapport au compromis trouvé est donc de l’ordre de 50 milliards d’euros sur sept ans.
Les ressources consacrées à la coopération territoriale européenne s’élèveront à 8,948 milliards d’euros, dont 6,627 pour la coopération transfrontalière, soit 77,9 % de l’enveloppe.
Les chefs d’Etat et de gouvernement se sont entendus sur des dotations supplémentaires au titre des fonds structurels pour les pays ayant particulièrement souffert de la crise économique, à savoir la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Espagne et l’Italie.
Il est prévu qu’en 2016, la Commission procède au réexamen des montants totaux alloués a l'ensemble des Etats membres au titre de l'objectif "Investissement pour la croissance et l'emploi" de la politique de cohésion pour la période 2017-2020 afin de tenir compte d’écart éventuel dans les prévisions portant sur le PIB. Les montants seront ajustés en cas de divergence cumulative supérieure a +/-5 %. L'effet total net de ces ajustements est plafonné à 6 milliards d’euros. Le Parlement européen avait appelé à une révision du cadre financier d'ici deux ou trois ans en expliquant qu'ils ne pouvaient accepter "un budget d'austérité pour sept ans", une demande qui semble, au moins en partie, avoir été entendue.
C’est dans le cadre de la sous-rubrique 1B qu’a été créée une "initiative pour le chômage des jeunes" qui sera dotée d’une enveloppe de 6 milliards d’euros dont la moitié proviendra du FSE et l’autre d’une nouvelle ligne budgétaire. Cette enveloppe bénéficiera aux régions dont le taux de chômage des jeunes est supérieur à 25 % et viendra appuyer les mesures du paquet emploi de la Commission.Une décision saluée par le ministre socialiste Nicolas Schmit qui participait à la date du Conseil européen à une réunion informelle des ministres du Conseil EPSCO.
Le programme d’aide pour les plus démunis est désormais inscrit au budget dans cette rubrique, et 2,5 milliards d’euros provenant du FSE lui seront alloués, ainsi que l’avait proposé la Commission en octobre dernier.
Le plafond des dépenses de la rubrique 2 "Croissance durable : ressources naturelles" a été fixé à 373,18 milliards d’euros, soit 47,5 milliards d’euros ou 11,3 % de moins que pour la période 2007-2013. Cette rubrique couvre l’agriculture, le développement rural, la pêche, l’environnement et la lutte contre le changement climatique. La Commission prévoyait pour cette rubrique un enveloppe de près de 383 milliards d’euros.
En ce qui concerne la future PAC, les chefs d’Etat et de gouvernement se sont entendus pour que 30 % des paiements directs soient conditionnés par le verdissement, et pour que les aides directes soient plus équitablement réparties entre Etats membres. Ainsi, tous les pays de l’UE dont le niveau de paiements directs est actuellement en-dessous de 90 % de la moyenne européenne verra cet écart réduit d’un tiers d’ici 2020. L’enveloppe dédiée aux paiements directs et aux dépenses de marché est fixée à 277,851 milliards, soit 58,8 milliards ou 17,5 % de moins que pour 2007-2013. La Commission avait proposé une enveloppe de 281,8 milliards d’euros pour ce volet qui constitue le premier pilier de la PAC.
La rubrique 3 "Sécurité et citoyenneté" sera dotée d’un plafond de dépenses de 15,686 milliards d’euros selon l’accord trouvé, soit 3,3 milliards d’euros ou 26,8 % de plus que pour la période 2007-2013. La Commission prévoyait un budget de 18,5 milliards d’euros pour cette rubrique.
Quant à la rubrique 4 "l’Europe dans le monde", son plafond de dépenses sera de 58,704 milliards, soit 1,9 milliards d’euros ou 3,3 % de plus que sur la période 2007-2013. La Commission avait proposé de porter le plafond des dépenses pour cette rubrique qui vise à financer l’action extérieure de l’UE dans le monde à 70 milliards d’euros.
Le plafond des dépenses de la rubrique 5 "Administration" a été fixé à 61,629 milliards d’euros, ce qui représente 4,5 milliards d’euros ou 8 % de plus que pour la période 2007-2013. La Commission, qui avait indiqué vouloir montrer l’exemple en gelant ses dépenses, avait proposé à l’origine un plafond de 62,629 milliards d’euros. La différence est donc exactement d’un milliard, montant que la Commission avait consenti de couper au vu de la difficulté des négociations. Les dépenses administratives des institutions, à l'exclusion des pensions et des écoles européennes, seront limitées à 49,798 milliards d’euros, un montant que la Commission avait initialement envisagé représenter 50,464 milliards d’euros.
Les chefs d’Etat et de gouvernement ont par ailleurs prévu sous la rubrique 6 "Compensations" une enveloppe de 27 milliards d’euros dont l’objectif est d’éviter que la Croatie ne soit contributeur net dans les premières années suivant son adhésion à l’UE.
Les chefs d’Etat et de gouvernement se sont par ailleurs entendus pour prolonger les cinq instruments existant hors cadre financer pluriannuel.
Il s’agit notamment du fonds européen de développement, dont les dépenses seront plafonnées à 26,984 milliards, soit 0,2 milliards ou 0,6 % de plus que sur la période 2007-2013. La Commission prévoyait un peu plus de 30 milliards dans sa proposition de juin.
Mais il s’agit aussi de quatre fonds qui peuvent être mobilisés en cas de besoin.
La réserve d’aide d’urgence sera dotée de 1,96 milliard d’euros, soit 15,5 % de plus que sur la période 2007-2013. La Commission envisageait de la doter de 2,45 milliards d’euros.
Le fonds européen d’ajustement à la mondialisation verra ses dépenses limitées à 1,05 milliard, contre 3,573 milliards sur la période 2007-2013, soit 70,6 % de moins. La Commission envisageait de doter ce fonds d’un montant de quelques 3 milliards d’euros.
Le fonds de solidarité sera doté de 3,5 milliards d’euros, contre 7,146 pour 2007-2013, ce qui représente une coupe de 51 %. La Commission prévoyait 7 milliards d’euros.
Enfin l’instrument de flexibilité, dont l'objectif est de financer des dépenses imprévues et clairement définies, voit le montant de ses dépenses fixé à 3,297 milliards d’euros, alors que pour 2007-2013 il était doté de 1,429 milliard, la hausse étant par conséquent de 130,9 %. La Commission envisageait une enveloppe de 3,5 milliards pour cet instrument.
L’accord trouvé par les chefs d’Etat et de gouvernement prévoit par ailleurs une marge pour imprévus pouvant atteindre 0,03 % du revenu national brut de l'Union, en tant que dernier recours face à des circonstances imprévues.
En ce qui concerne les recettes, les chefs d’Etat et de gouvernement appellent à poursuivre le travail en cours portant sur la proposition de la Commission de créer une nouvelle ressource propre fondée sur la TVA. Quant aux Etats membres participant à la coopération renforcée sur l’introduction d’une taxe sur les transactions financières, ils sont invités à examiner si la TTF pourrait servir de base à une nouvelle ressource propre pour le budget de l’UE.
En ce qui concerne les contributions nationales, et notamment les mécanismes de correction à ces dernières, il est prévu que le rabais britannique soit maintenu inchangé, tandis que l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède vont bénéficier pour 2014-2020 d’un taux d’appel de la ressource propre fondée sur la TVA de 0,15 %, au lieu de 0,30 %. Le Danemark, les Pays-Bas et la Suède bénéficieront de réductions brutes de leur contribution annuelle fondée sur le RNB s'élevant respectivement à 130 millions d’euros, 695 millions d’euros et 185 millions d’euros. L'Autriche bénéficiera d'une réduction brute de sa contribution annuelle fondée sur le RNB s'élevant à 30 millions d’euros en 2014, 20 millions en 2015 et 10 millions en 2016.
Enfin, si le système de perception des ressources propres traditionnelles demeurera inchangé, il est prévu qu’à compter du 1er janvier 2014, les Etats membres retiennent, à titre de frais de perception, 20 % des montants qu'ils ont perçus.