Principaux portails publics  |     | 

Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Traités et Affaires institutionnelles
Le Parlement européen et la Commission affichent de plus en plus ouvertement leurs inquiétudes au sujet de l’état de la démocratie en Hongrie et évoquent le recours à l’article 7 du traité de Lisbonne
08-05-2013


Constitution hongroise (source: site du gouvernement hongrois)La Commission européenne et le Parlement européen s’inquiètent de plus en plus de l’évolution du système politique en Hongrie. La Commission a profité de la publication du 3e rapport annuel sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, le 8 mai 2013, pour évoquer sa manière de procéder à l’égard de la Hongrie. La vice-présidente de la Commission et commissaire européenne en charge de la Justice, Viviane Reding, qui a de nouveau envoyé des avertissements à la Hongrie sur des problèmes liées à l’indépendance de la justice et au pluralisme des médias, envisage maintenant la possibilité d’un recours à l’article 7 du traité de Lisbonne, qui pourrait mener à une suspension des droits de vote de la Hongrie au Conseil. La commission LIBE du Parlement européen a débattu le 7 mai d’un projet de rapport qui lui aussi dresse un bilan très critique de la situation et esquisse un ensemble de recommandations concernant la Loi Fondamentale, l’équilibre des pouvoirs, l’indépendance de la justice, les médias et le pluralisme de la presse et le respect des droits fondamentaux, qui, si elles ne devaient pas être suivies, devraient conduire également à un recours à l’article 7.  

La Commission met en exergue sa procédure en infraction à l’égard de la Hongrie pour illustrer son engagement pour l’application de la Charte des droits fondamentaux

Le 8 mai 2013, la Commission européenne a publié son rapport annuel sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’UE en 2012. Dans ce rapport, le troisième du genre, la Commission explique qu’il y a "deux moyens de faire de la Charte une réalité" : les actions de la Commission en faveur de la Charte et la possibilité d’invoquer la Charte dans les décisions de justice. Pour ce qui est du premier volet, la Commission dit être déterminée à intervenir en tant que gardienne des traités, pour faire en sorte, s’il y a besoin, que les États membres mettent bien en œuvre le droit de l’Union tout en respectant la Charte.

La Commission a ainsi engagé en avril 2012 une procédure d’infraction qu’elle met particulièrement en exergue, et "par laquelle elle contestait la mise à la retraite anticipée de quelque 274 juges et procureurs en Hongrie, consécutive à l’abaissement soudain de 70 à 62 ans de l’âge de départ obligatoire à la retraite pour ces professions." Elle souligne que "la Cour de justice de l’UE a admis le bien-fondé de l’analyse de la Commission selon laquelle l’abaissement, à très brève échéance, de l’âge de cessation obligatoire d’activité pour ces professions était incompatible avec le droit de l’Union préservant l’égalité de traitement (à savoir la directive interdisant la discrimination fondée sur l’âge et l’article 21 de la Charte)".

Par ailleurs, dans une interview donnée au Lëtzeburger Journal qui la publie dans son édition du 8 mai 2013, Viviane Reding annonce qu’elle a de nouveau envoyé trois lettres au gouvernement hongrois sur les trois nouveaux éléments que la Commission juge inacceptables au niveau législatif et institutionnel, qui faute d’être changés, feront que la Commission ira de nouveau devant la Cour européenne de justice.

Ces lettres concernent trois clauses du quatrième amendement de la Constitution hongroise, que la commissaire avait déjà évoquées le 17 avril 2013 devant le Parlement européen. Une première clause "introduirait une taxe spécifique pour les citoyens hongrois si la Hongrie était pénalisée pour infraction aux lois européennes", ce qui pourrait saper l’autorité de la CJUE et pourrait constituer une violation du devoir de coopération loyal inscrit dans l’article 4 (3) du Traité. Une deuxième clause donne la possibilité au Président de l'Office national de la justice de transférer des dossiers d'un tribunal à l'autre. La troisième clause restreint la diffusion de publicités politiques durant les campagnes électorales, y compris européennes, en limitant leur diffusion aux chaînes publiques, excluant les chaînes privées qui sont les plus suivies.

Viviane Reding a ensuite expliqué au Journal que la mise à la retraite des juges hongrois devrait être annulée, mais que jusqu’à aujourd’hui, ils n’ont pas été reconduits dans leurs fonctions. "Cela signifie que la Hongrie ne transpose pas les jugements. Nous avons un vrai problème."  Au-delà du fait que ce problème de dysfonctionnement de l’appareil judiciaire dépasse le cas de la seule Hongrie, et que la Commission essaie de mesurer l’indépendance des appareils judiciaires de l’UE, elle est obligée de collaborer étroitement avec le Conseil de l’Europe, qui a lui mis la Hongrie sous surveillance, "parce que l’Etat de droit y est sérieusement en danger". Et de rappeler que la Commission dispose d’un moyen très dissuasif pour agir : "Nous, en tant que Commission, nous avons un moyen que l’article 7 du Traité européen met à notre disposition : Nous pouvons exclure un pays des décisions, des votes. Mais quatre cinquièmes des Etats membres doivent approuver cette mesure, et c’est beaucoup." Si des Etats membres veulent que quelque chose se passe, qu’ils agissent, pense la commissaire, et déclenchent la procédure, tout comme elle a "dit au Parlement européen, qui peut aussi l’initier, qu’il doit alors procéder à un vote". 

Le projet de rapport de la commission LIBE sur la situation en matière de droits fondamentaux en Hongrie

Parallèlement, la commission LIBE du Parlement européen a débattu le 7 mai 2013 du projet de rapport sur la situation en matière de droits fondamentaux en Hongrie rédigé sous la houlette du député européen portugais Rui Tavares (S&D), qui préside un groupe dont fait aussi partie l’eurodéputé luxembourgeois Frank Engel. Rui Tavares est cité par le journal belge "Le Soir" sur ses conclusions : "Les changements apportés au cadre constitutionnel et juridique hongrois en un laps de temps très court sont systémiques, et leur tendance générale éloigne la Hongrie des valeurs européennes."

Le projet de rapport contient des passages très forts. Il "critique vivement les dispositions du quatrième amendement à la Loi fondamentale, qui compromettent la suprématie de la Loi fondamentale". Il "déplore que les changements institutionnels (…) aient entraîné un affaiblissement manifeste des systèmes d'équilibre des pouvoir requis par l'état de droit et le principe démocratique de la séparation des pouvoirs".

Il déplore aussi "que la création de l'Agence de presse hongroise (MTI) publique déclarée unique fournisseur d'actualités pour les radios et télévisions du service public, alors que toutes les principales radios et télévisions privées sont censées disposer de leur propre service de presse, signifie que cette agence détient un quasi-monopole sur le marché, la plupart de ses actualités étant disponibles gratuitement", et il "rappelle la recommandation du Conseil de l'Europe de supprimer l'obligation pour les radios et télévisions publiques de recourir à l'agence de presse nationale, qui constitue une restriction excessive et injuste de la pluralité de la fourniture d'actualités aux médias."

Comme Viviane Reding, Rui Tavares pense que la résolution dont il a présidé la rédaction "ne traite pas seulement de la Hongrie, mais indissociablement de l'Union européenne dans son ensemble, de sa reconstruction et de son développement démocratiques suite à la chute des totalitarismes du XXe siècle. Elle traite de la famille européenne, de ses valeurs et normes communes, de son intégralité et de sa capacité d'engager un dialogue. Elle traite de la nécessité d'appliquer les traités auxquels tous les États membres ont volontairement adhéré. Elle traite de l'aide et de la confiance mutuelles dont l'Union, ses citoyens et les États membres ont besoin pour que ces traités ne restent pas lettre morte, mais forment la base juridique d'une Europe vraie, juste et ouverte, qui respecte les droits fondamentaux".  

Le projet de rapport "partage l'idée d'une Union qui ne soit pas seulement une "union de démocraties" mais également une "Union de Démocratie", fondée sur des sociétés pluralistes caractérisées par le respect des droits de l'homme et l'état de droit.

Au cas où la Hongrie ne suivrait pas ses recommandations, la commission LIBE voudrait que le Parlement européen soit "prêt, et invite le Conseil et la Commission à s'y préparer également, à prendre des mesures en vertu de l'article 7, paragraphe 1 du traité UE, permettant de déterminer l'existence d'un risque manifeste de grave violation de la part de la Hongrie des valeurs communes de l'Union prévues à l'article 2 du traité UE". En même temps, il "déplore que le Conseil européen soit la seule institution politique européenne à avoir gardé le silence, alors que la Commission, le Parlement, le Conseil de l'Europe, l'OSCE et même le gouvernement américain ont exprimé des inquiétudes quant à la situation de la Hongrie". Suivent ses recommandations concernant la Loi Fondamentale, l’équilibre des pouvoirs, l’indépendance de la justice, les médias et le pluralisme de la presse et le respect des droits fondamentaux dont il sera encore question.