Le Parlement européen réuni en plénière a tenu le 17 avril 2013 un débat sur la situation constitutionnelle en Hongrie suite à l’adoption d’un quatrième amendement de la Constitution hongroise.
L’occasion pour Lucinda Creighton, ministre irlandaise aux affaires européennes, de préciser que le Conseil n’a pas discuté de la situation et n’a donc à cette date pas adopté de position. C’est à ce stade à la Commission de s’attacher à vérifier la comptabilité des lois nationales avec les valeurs définies dans les Traités et avec les droits, libertés et principes qui sont ancrés notamment dans la Charte des droits fondamentaux.
Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne en charge de la Justice, a donc fait le point sur le processus d’évaluation en cours.
La Commission suit en effet depuis 2011 déjà l’évolution du système constitutionnel hongrois et elle a déjà lancé des procédures d’infraction, dont certaines sont pendantes tandis que d’autres ont fait l’objet d’un jugement de la CJUE confirmant l’interprétation de la Commission. Reste donc aux autorités hongroises à se conformer à l’arrêt de la Cour qui concernait l’âge de départ à la retraite des juges, procureurs et notaires. Car, à cette date, aucune des personnes n’ayant perdu son poste dans le cadre de la législation incriminée ne l’a retrouvé. Quant à l’affaire pendante, elle porte sur la violation de l’indépendance de l’Autorité de protection des données.
Le 11 mars 2013, le parlement hongrois a adopté le quatrième amendement à la Constitution hongroise, un amendement sur lequel le président de la Commission, José Manuel Barroso, et le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjørn Jagland, ont fait part conjointement de leur inquiétude quant à sa conformité avec le principe de l’Etat de droit, qui est une des valeurs sur lesquelles est fondée l’UE. Selon Thorbjørn Jaglan, la réintroduction par le gouvernement hongrois de dispositions transitoires qui avaient été annulées par la Cour constitutionnelle donne l’impression que le gouvernement veut utiliser la majorité parlementaire des deux tiers pour infirmer la Cour constitutionnelle, ce qui pourrait menacer le principe fondamental de l’équilibre des pouvoirs démocratiques.
La Commission travaille ainsi en étroite coopération avec la Commission de Venise du Conseil de l’Europe de façon à présenter pour la mi-juin un avis sur la comptabilité de ces amendements avec le principe de l’Etat de droit.
Parallèlement, la Commission est en train de mener une analyse juridique détaillée des amendements à la Constitution, ce qu’elle fait "de manière objective, non partisane et équitable", a rapporté Viviane Reding. C’est dans le contexte de ce processus d’analyse que José Manuel Barroso a écrit à Victor Orban le 12 avril 2013, lequel lui a répondu le jour même pour l’assurer de sa volonté de coopérer et réaffirmer son engagement à respecter les normes et valeurs européennes.
Dans sa lettre, le président de la Commission pointait trois éléments du quatrième amendement à la Constitution hongroise.
Il s’inquiétait en premier lieu d’une clause qui "introduirait une taxe spécifique pour les citoyens hongrois si la Hongrie était pénalisée pour infraction aux lois européennes", ce qui pourrait saper l’autorité de la CJUE et pourrait constituer une violation du devoir de coopération loyal inscrit dans l’article 4 (3) du Traité.
En second lieu, la Commission est préoccupée par la possibilité accordée au Président de l'Office national de la justice de transférer des dossiers d'un tribunal à l'autre. Un point qui peut poser problème d’un point de vue de la protection des administrés contre toute forme d’arbitraire. Le 12 avril 2013, les autorités hongroises ont transmis à la Commission un projet de loi modifiant les règles d’application du transfert de dossiers afin de répondre aux questions pointées par la Commission de Venise. La Commission va en faire une évaluation détaillée.
En troisième lieu, la Commission s’inquiétait des restrictions sur la diffusion de publicités politiques durant les campagnes électorales, y compris européennes, en limitant celles-ci aux chaînes publiques alors que la majeure partie de la population suit les chaînes privées. La question est de mesurer si de telles restrictions sont justifiées et proportionnées. Le 15 avril 2013, les autorités hongroises ont soumis à la Commission les changements qu’elles sont prêtes à apporter à ces règles, et la Commission doit maintenant les analyser.
Une fois l’analyse détaillée terminée, la Commission prendra les mesures pour lancer les procédures d’infraction qui seront jugées nécessaires, et Viviane Reding a d’ores et déjà prévenu qu’elle n’attendrait pas le mois de juin pour ce faire.
Ensuite, la Hongrie devra tenir compte de l’avis que la Commission de Venise présentera en juin prochain.
Par ailleurs, le Parlement européen est en train de préparer une résolution qui sera adoptée au mois de juin sur la situation des droits fondamentaux en Hongrie, résolution qui sera basée sur les travaux de l’eurodéputé Rui Tavares (Verts/ALE).
Lors du débat qui a suivi cet état des lieux, c’est le Luxembourgeois Frank Engel, membre de la commission des Libertés civiles, de la Justice et des Affaires intérieures (LIBE), qui a parlé au nom du groupe PPE. "La Commission est en train de faire son travail et, à l’issue du processus d’évaluation en cours, les autorités hongroises seront priées de se conformer à ce que les institutions européennes estimeront utile et nécessaire de faire", a-t-il constaté en guise d’ouverture.
Pour autant, il constate que, dans le débat sur le quatrième amendement constitutionnel, "le gouvernement hongrois a de bons arguments pour proclamer qu'il a bien fait" et que "l'opposition a de bons arguments pour dire le contraire". De son point de vue "le débat est juridiquement stérile".
Frank Engel est longuement revenu sur l’usage que fait le Fidesz, parti au pouvoir en Hongrie et affilié au PPE, de la majorité des 2/3 dont il dispose, pointant les différences d’appréciation qu’il peut y avoir sur cette fameuse majorité, saluée en son temps par la Commission de Venise, mais décriée maintenant que le Fidesz en dispose et a entrepris une réforme de l’Etat. "Il y a une autonomie constitutionnelle dans beaucoup de domaines, et une autonomie légale dans un nombre encore plus grand de domaines, ce qui n’empiète pas sur l’acquis communautaire", a observé Frank Engel au nom du PPE. En bref, selon lui, "il y a énormément de dispositions qu’on ne peut pas raisonnablement mettre en question simplement parce qu’elles sont prises par quelqu’un qui dispose d’une majorité de deux tiers décrochée légitimement à la suite d’élections démocratiques".
Frank Engel a mis en garde contre le risque que les Hongrois, qu’ils soient ou non électeurs du Fidesz, acquièrent l’impression que l’Europe n’est pas de leur côté à cause de "tout notre acharnement". "L’Europe est en train de perdre beaucoup de populations", s’inquiète en effet le jeune eurodéputé luxembourgeois.
Au sein du groupe S&D, qui était représenté dans le débat par son président, Hannes Swoboda, le ton était tout autre. Faisant le constat des critiques sévères exprimées à l’égard du gouvernement hongrois pour des réformes constitutionnelles "qui bafouent l’Etat de droit et les libertés fondamentales des Hongrois", Hannes Swoboda a en effet appelé le Conseil et le PPE à "adopter une position claire" en disant s’ils soutiennent la Commission ou bien Viktor Orbán.
"L'Union européenne doit faire preuve de fermeté et s'en tenir à l'analyse approfondie de la Commission européenne et de la commission de Venise du Conseil de l'Europe", estime l’eurodéputé autrichien qui exige que le gouvernement de Viktor Orban "revienne aux normes européennes et que, si la Commission européenne et la commission de Venise le recommandent, annule les amendements constitutionnels".
Il a dénoncé au passage le climat délétère qui règne en Hongrie "où les déclarations antisémites et anti-Roms sont de retour sans que le gouvernement ne réagisse".
Le chef de groupe des démocrates libéraux, Guy Verhofstadt, a plaidé pour sa part en faveur de l'utilisation de l'Article 7 du Traité sur l'Union européenne, qui permet d'appliquer des sanctions, dont la suspension des droits de vote, à un Etat membre qui violerait les valeurs européennes. "Si la Commission européenne n'a pas l'intention de le faire, nous, au Parlement, nous aurons le courage de le faire", a-t-il asséné.
"En Hongrie, nous voyons une majorité se comporter comme un bulldozer défiant toute critique, diffamant ses adversaires, modifiant sa Constitution presque chaque semaine et un gouvernement qui adopte des lois controversées au-delà de tout contrôle et permet aux antisémites de recevoir les honneurs de l'Etat", critique en effet le chef de file du groupe ADLE. "La Hongrie piétine nos valeurs communes et les refuse à ses citoyens", dénonce-t-il.
Rebecca Harms, co-présidente des Verts, a souligné l’enjeu du débat : il en va selon elle des droits fondamentaux et de la primauté du droit, qui sont au cœur du projet européen.
"Cela fait déjà deux ans que nous parlons du cas de la Hongrie et nous ne sommes toujours pas parvenus à mettre un terme à la dégradation de l'Etat de droit en Hongrie, cela montre non seulement l'impuissance de la Commission européenne mais également notre propre impuissance", déplore-t-elle en appelant de ses vœux un changement.
"Nous devons enfin créer des instruments capables d'assurer les droits fondamentaux dans tous les pays de l'UE", estime-t-elle en effet. "Que le rapport sur la Hongrie préconise une procédure via l'article 7 ou un autre instrument, il nous faut une décision claire", a-t-elle conclu en pointant la réserve dont ont fait preuve les conservateurs jusqu’ici, qui témoigne selon elle de leur volonté de protéger M. Orban qui fait partie de leur famille politique.
Le débat s’est conclu sur cette question fondamentale des instruments dont dispose l’UE pour faire en sorte que ses valeurs et principes fondateurs soient bien respectés.
Les traités prévoient une intervention par l’intermédiaire de l’article 7, a en effet souligné Viviane Reding, mais, a-t-elle ajouté, "c’est un article très fort, une sorte de bombe atomique dont ont réfléchit à deux si ce n’est trois fois avant de l’utiliser".
A ses yeux, l’UE a besoin d’une batterie plus complète d’instruments pour permettre une meilleure intervention. Elle a ainsi fait écho à une lettre adressée par quatre ministres des Affaires étrangères européens à José Manuel Barroso afin de demander la mise en place d’un instrument intermédiaire, qui permettrait d’agir au-delà de la procédure d’infraction et en-deçà de l’activation de l’article 7.
Le sujet sera d’ailleurs à l’ordre du jour du Conseil Affaires générales du 22 avril prochain, ainsi que l’a précisé la ministre Lucinda Creighton qui a par ailleurs annoncé que la question serait aussi discutée à l’occasion d’une conférence organisée au mois de mai prochain par la présidence irlandaise.