Compte tenu de l'arrêt de la cour de justice de l'UE du 20 juin 2013 qui a arrêté que la loi du 26 juillet 2010 concernant l'aide financière de l'Etat pour études supérieures, est contraire au principe de la libre circulation des travailleurs, le gouvernement luxembourgeois a décidé de réagir rapidement afin de modifier la loi.
Dès le 20 juin 2013, la ministre de l'Enseignement supérieur, Martine Hansen, avait fait savoir que le gouvernement entendait faire approuver par la Chambre des députés un nouveau texte avant la mi-juillet 2013 et qu'il ne serait pas possible de se contenter de supprimer la clause de résidence dénoncée par la CJUE, sans que la note pour le budget de l'Etat s'en retrouve excessivement salée. Aux 14 400 étudiants recevant actuellement une aide financière, couplant bourse et prêt, pourraient s'ajouter en pareil cas jusqu'à 13 800 enfants de frontaliers dès la rentrée prochaine. Les dépenses supplémentaires s'élèveraient à 100 millions d'euros pour l'année à venir, y compris les frais supplémentaires que coûteront à l'Etat les jugements à venir des affaires pendantes devant le Tribunal administratif qui avait posé une question préjudicielle à la CJUE. L'actuel dispositif coûte 100 millions d'euros par an.
Le 21 juin, le Conseil de gouvernement avait notamment analysé les pistes identifiées par la Cour de Justice permettant de réaliser, par d'autres voies, l'objectif visant à augmenter la proportion des titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur. Puis le 26 juin 2013, il avait validé la proposition du ministère de l'Enseignement supérieur présentée le lendemain devant la commission parlementaire de l'enseignement supérieur.
Toutefois, la proposition ainsi présentée le 27 juin 2013 aux députés par la ministre de l'Enseignement supérieur, Martine Hansen, a créé des remous, comme le rapporta la presse quotidienne le lendemain.
La proposition comprenait trois modifications.
La première consiste à limiter le nombre d'enfants de frontaliers qui pourraient demander une bourse, en imposant la condition que le frontalier soit employé au Luxembourg depuis au moins 5 ans pour que son enfant puisse prétendre à une bourse luxembourgeoise. Cette idée avait été suggérée par la CJUE dans son arrêt et fut accepté par les députés de la commission.
La deuxième n'a pas rencontré davantage d'opposition. Il s'agit d'introduire le principe que les bourses ne seraient pas cumulables avec des aides financières équivalentes auxquelles les étudiants ont droit dans leur pays d'origine.
Enfin, le troisième élément permettait d'envisager une modification de la loi à l'issue du premier semestre de la prochaine année universitaire en prévoyant un paiement semestriel des bourses. La presse avait rapporté que ce troisième point, la semestrialisation, pouvait bien empêcher toute chance d'adoption rapide d'une réforme de la loi. Interrogé par le Luxemburger Wort, le député socialiste et président de la commission parlementaire, Ben Fayot, a souligné le besoin de "prévisibilité" (Planungssicherheit dans le texte) des étudiants, pour rejeter l'idée. Au micro de la radio 100,7, le chef du groupe LSAP, Lucien Lux, a jugé "inacceptable" la situation dans laquelle la semestrialisation mettrait des étudiants "qui ont pris la décision de faire une année universitaire et apprennent en cours d'année que les conditions sont changées".
Pour les libéraux, la loi ainsi changée devait être provisoire et renoncer à la semestrialisation. "Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut une roue de secours en attendant qu'une loi plus réfléchie soit élaborée, en concertation avec tous les acteurs, pour faire quelque chose de valable et qui perdure dans les années à venir», a confié Eugène Berger au journal Le Quotidien, plaidant pour le retour d'un critère de «sélectivité sociale».
"Je suis assez révolté par la façon dont nous devons travailler, ce n'est pas la faute de la Chambre s'il y a cette urgence", a pour sa part déclaré le député Déi Gréng, Claude Adam, au même journal. "Nous revenons à début 2010 où il y avait aussi des questions de dernière minute et où nous avons voté, pressés par le temps", a-t-il déploré. L'écologiste a également souligné le flou créé par le principe de durée minimum de travail au Luxembourg, s'interrogeant sur l'exclusion éventuelle d'enfants de parents dont la carrière serait entrecoupée d'une période de chômage.
La réponse à cette dernière question fut livrée le 28 juin 2013, à l'issue de la première entrevue entre la ministre de l'Enseignement supérieur, Martine Hansen, avec une des parties prenantes. En effet, après une rencontre avec le syndicat chrétien LCGB, Martine Hansen a fait savoir que le gouvernement proposerait la condition d'une durée de cinq ans de travail sans interruption pour que l'enfant d'un travailleur frontalier puisse prétendre à une aide aux études supérieures.
Elle a également annoncé la création d'un groupe de travail et des consultations à venir avec les organisations estudiantines ainsi que le syndicat OGB-L afin de préparer la réforme d'ampleur qui devra être prête pour la rentrée universitaire 2014-15. Elle a émis le souhait que celle-ci soit "relativement rapidement" faite pour que les étudiants connaissent assez tôt les conditions pour l'année universitaire 2014-15.
Le 26 juin 2013, les trois organisations étudiantes que sont l'Association des Cercles d'Etudiants Luxembourgeois (ACEL), l'Union Nationale des Etudiant-es du Luxembourg (UNEL) et la Luxembourg University Students' Organization (LUS), s'étaient manifestées par un communiqué de presse commun dans lequel elles demandaient à la fois de participer au processus d'élaboration du projet de réforme mais aussi au gouvernement de ne pas céder à la précipitation. "La concertation entre les organisations estudiantines et le Ministère ne fait que du sens si Madame le Ministre abandonne le calendrier proposé de mise en œuvre pour une révision de la loi", écrivaient-elles. Selon ces associations, "vouloir s'empresser à voter une loi encore avant la pause de l'été, serait répéter l'erreur de 2010 et viendrait à l'encontre du temps nécessaire à l'élaboration d'une révision de loi viable à longue durée", avaient dit les associations. "Les étudiant-e-s du Luxembourg méritent mieux qu'une nouvelle réforme passée dans l'urgence, qui risquerait d'entraîner de nouveaux préjudices inconsidérés", concluaient-elles.
Si le gouvernement tient à une première modification de la loi qui puisse entrer en vigueur à la prochaine rentrée, Martine Hansen a fait savoir, à l'issue de sa rencontre avec le LCGB, que le gouvernement abandonnait l'idée de la semestrialisation du paiement de l'aide financière. Le projet de modification de la loi ne comportera donc que les deux premiers éléments de la proposition originelle.
Le président du LCGB, Patrick Dury, a expliqué que le groupe de travail devra se positionner sur le cas des travailleurs frontaliers intérimaires depuis plus de cinq ans et ceux qui auraient connu une période de chômage. Patrick Dury a également dit que le syndicat qu'il préside était favorable à un système de calcul du montant de la bourse à allouer, constitué d'une part fixe accessible à tous, d'une partie qui se baserait sur des critères, qu'ils soient sociaux ou relatifs à la mobilité, et d'une troisième partie qui prenne en compte la hauteur des frais d'inscription de l'université souhaitée. De même, le syndicaliste a rappelé qu'un groupe de travail avait déjà été mis en place en 2010 pour étudier la question du non-cumul des bourses et demande à ce qu'une évaluation poussée soit menée. Cette règle du non-cumul impliquerait la mise en place d'un système de paiement différentiel, tel qu'il existe pour les allocations familiales, a précisé le LCGB dans un communiqué de presse.
Interrogé par un journaliste sur la proposition de la CJUE de conditionner l'octroi d'une bourse à un enfant de travailleur frontalier à la garantie qu'il travaille au Luxembourg à la fin de son cursus, cette idée ne lui semblait pas compatible avec la libre circulation des personnes et difficilement exécutable.
Vincent Jacquet, responsable de la division des frontaliers au LCGB, a fait savoir que les dossiers actuellement devant le tribunal administratif seront jugés mais qu'il n'y aura plus de possibilité d'ouverture. En théorie, ceux qui n'auraient pas contesté le refus d'attribution de bourse ne pourraient plus le faire, même si le LCGB cherche un moyen pour ce que ce ne soit pas le cas. Il n'y aura pas non plus de rétroactivité pour ceux qui n'ont pas fait de demande d'aides.
Interrogé par l'Essentiel dans un article publié le 28 juin 2013, l'avocat du GEIE - Frontaliers européens au Luxembourg, Pascal Peuvrel, a partagé son sentiment sur la clause de durée de travail de cinq ans proposée par le gouvernement. "L'UE pourrait estimer ce délai comme allant au-delà de l'objectif visé. Pourquoi les frontaliers ne seraient-ils pas imposés sur leurs revenus seulement après cinq ans ?", s'est-il interrogé, confiant qu'il aurait préféré une durée de trois.
De son côté, le 25 juin 2013, la Ligue des droits de l'homme a exprimé "son inquiétude concernant les modalités de changement des dispositions actuelles", en raison de "déclarations de responsables politiques menaçant de réduire ou d'aménager ces aides dès lors qu'il faudra les étendre aux enfants de tous les travailleurs du Grand-Duché". Elle a mis en garde les responsables politiques "contre une possible instrumentalisation des travailleurs frontaliers et de leurs familles, surtout dans la perspective des prochaines élections législatives" et promettait de dénoncer "toutes les tentatives de tirer un capital électoral de l'opposition entre les résidents et les non-résidents".
Dans une prise de position communiquée le 26 juin 2013, le parti Déi Gréng avait pour sa part souligné le risque que les chèques-services, valables uniquement au Grand-Duché et dont les frontaliers sont exclus, connaissent le même destin que l'aide financière aux études supérieures. "Dans le cadre de son avis sur le projet de loi 6410, le Conseil d'Etat fait référence au fait que les chèques-Services pourraient selon les règles européennes en cours, bénéficier également aux frontaliers", a en effet rappelé la députée, Josée Lorsché, suggérant au gouvernement d'abolir un système qui n'est qu'un "monstre bureaucratique".