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Politique étrangère et de défense
Rencontres européennes - Matthias Dembinski : La crise européenne et le futur de la politique commune de sécurité et de défense
08-10-2011


Pour Matthias Dembinski, enseignant-chercheur au "Peace Research Institute" de Francfort-sur-Main, l’Union européenne est dans sa plus grave crise depuis sa création. Cette crise touche également sa politique étrangère, de sécurité et de défense, "même si les symptômes ne sont pas ici aussi visibles".Matthias Dembinski

Dans la crise libyenne, l’UE a été absente. Pour d’aucuns, la politique commune de sécurité et de défense serait même morte pendant cette crise. Pour l’expert allemand, il y a en fait un fossé entre ce que l’on attend de cette politique et les compétences et mécanismes de décision qui lui sont propres. Evidemment, cela ne peut pas continuer de la sorte, pense le chercheur.

Selon Matthias Dembinski, il y a deux écoles qui s’affrontent pour combler ce fossé. Il y a ceux qui prônent un retour en arrière vers la coopération entre Etats nationaux, à l’image de la coopération militaire franco-britannique. Il y a d'un autre côté ceux qui prônent une fuite en avant vers l’Union politique, économique et monétaire qui ferait de l’UE un grand acteur global en matière de politique de sécurité.

La première école a l’avantage de miser sur des acteurs, les Etats nationaux, qui n’ont intrinsèquement pas de problème de légitimité. La deuxième école n’a pas le soutien des citoyens, mais seulement de certains décideurs qui invoquent le passé historique d’une Europe qui a été une superpuissance mondiale. Et tout cela se passe dans un contexte où les Etats-Unis s’apprêtent à ne plus jouer le rôle de garant de la sécurité de l’Europe.

Si on additionne toutes les ressources de l’Europe en termes de puissance, remarque Matthias Dembinski, elle serait la première puissance en termes militaires, économiques et tout à fait signifiante en termes de population. Bref, "le potentiel est là". Mais l’unifier de manière purement rationnelle, c’est prôner les Etats-Unis d’Europe. Selon le chercheur allemand, les tenants du retour en arrière et ceux de la fuite en avant sont les uns comme les autres marqués par la déception due à la lourdeur des mécanismes de décision depuis le traité de Maastricht. Mais le retour en arrière n’est plus possible pour Matthias Dembinski, et la fuite en avant mènerait à de nombreux désastres. Et puis, la politique étrangère et de sécurité commune est meilleure que sa réputation, pense-t-il, et sa crise ne découle pas seulement de structures erronées.

Il ne faut pas oublier selon lui que l’UE est une formation politique singulière, qui a conduit les Etats, qui ont tiré des conclusions de l’histoire du continent, à coordonner leurs politiques nationales, mais qui tient aussi compte, dans ses structures, du fait que les Etats nationaux constituent un acquis durable.

Ce dualisme se reproduit dans la politique étrangère et de sécurité commune, qui n’est pas gérée par la méthode communautaire, mais par des procédures plus "douces", même si le traité de Lisbonne a renforcé la mise en commun de moyens. La politique étrangère de l’UE mise avant tout sur des compromis et le multilatéralisme au niveau mondial. Mais s’il s’agit d’un champ d’action propice à l’UE pour faire passer ses idées, par exemple sur le désarmement ou la lutte contre le changement climatique, il n’en reste pas moins peu flexible et difficile. Preuve en sont les désaccords entre Etats membres de l’UE membres - permanents ou temporaires – du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Selon Matthias Dembinski, cela ne suffit pas à faire de l’UE un acteur global dans le nouveau système mondial multipolaire qui se dessine. L’UE ne devrait pas et ne pourra pas devenir une superpuissance dans un monde qui sera marqué par des régimes forts et des responsabilités qui s’imbriquent.

Le problème central de la politique étrangère et de sécurité commune est dans ce contexte donc moins le consensus possible ou impossible entre les Etats membres que les points de vue restreints des gouvernements nationaux. Au lieu de se comporter comme des acteurs qui affrontent activement et de manière responsable les défis, ils font surgir une cacophonie qui empêche l’UE d’être le facteur de paix qu’elle prétend devenir. Si "les élites ont un horizon national limité", la société civile – selon lui un espace public averti, formé d’experts et d’une élite capable de créer des ponts entre décideurs politiques et citoyens - les aidera ou les poussera peut-être à regarder au-delà.

Lors de la discussion, Matthias Dembinski n’a pas exclu que l’UE se dote de moyens militaires plus accentués, mais il a récusé l’idée d’une armée européenne. L’UE est selon lui plus forte dans d’autres domaines.