Le 24 juin 2013, la commission des Affaires économiques et monétaires adoptait le rapport de l’eurodéputée Anni Podimata (S&D) sur la proposition introduisant une taxe sur les transactions financières (TTF) dans le cadre d’une coopération renforcée. Un dossier qui relève de la fiscalité et sur lequel le Parlement européen a un rôle consultatif seulement.
La commission parlementaire adoptait ainsi la proposition mise sur la table par la Commission sous réserve de certains amendements :
Transaction financière : la définition est étendue et précisée. Elle couvrirait les opérations telles que : i) la conclusion de contrats dérivés, y compris de contrats de différence et d'opérations spéculatives à terme, avant compensation ou règlement ; ii) les opérations sur devises au comptant sur les marchés des changes et iii) les contrats de prise ou de mise en pension, ainsi que les contrats de prêt ou d'emprunt de titres, y compris les ordres passés puis annulés dans le cadre des opérations de courtage à haute fréquence.
La définition de "stratégie de courtage à haute fréquence" est introduite.
Valeur annuelle moyenne : il est précisé que les transactions financières couvrant les risques liés à l'activité commerciale d'un établissement non financier ne devraient pas être prises en compte dans le calcul de la valeur moyenne.
Champ d'application : un amendement clarifie que la directive ne devrait pas s’appliquer aux entités telles que les marchés de croissance des PME.
Lieu d’établissement : en vue de renforcer le principe de résidence, les députés suggèrent de préciser que les succursales des établissements de l'Union enregistrés dans la juridiction imposant la TTF entreraient dans le champ d'application de la TTF.
Un instrument financier devrait être réputé émis sur le territoire d'un État membre participant lorsqu'une série de conditions, énumérées dans le texte amendé, est remplie. Les députés estiment qu’il y a lieu de définir la notion d'émission d'instruments financiers, de produits dérivés et d'instruments structurés, et notamment de l'élargir de manière à couvrir tous les types d'émissions liés aux instruments financiers concernés.
Principe du transfert du titre de propriété : afin de faire de l'évasion fiscale une activité coûteuse et peu rentable et d'assurer un plus strict respect de la législation, les députés veulent introduire le principe du transfert du titre de propriété selon lequel une transaction financière dans le cadre de laquelle aucune TTF n'a été prélevée n'est pas juridiquement exécutoire et n'a pas pour effet de transférer le titre de propriété de l'instrument sous-jacent. En vertu de ce système, un instrument échappant à la taxe ne serait pas éligible au titre de la compensation centralisée et coûterait à la personne cherchant à s'y soustraire une somme représentant plusieurs fois le montant de la taxe.
Dans le cas de modèles de paiement électroniques et automatiques avec ou sans participation des agents de règlement du paiement, les autorités fiscales d'un État membre pourraient mettre en place un système automatique et électronique de prélèvement de la TTF ainsi que de certificats de transfert de titres de propriété.
Application, structure et niveau des taux : afin d'éviter une distorsion du régime commun de la TTF dans le cadre d'une coopération renforcée, les députés suggèrent d'uniformiser le niveau des taux applicables.
Transactions de gré à gré : afin de renforcer l'utilisation des plates-formes de négociation réglementées par rapport aux transactions de gré à gré, les députés proposent de soumettre ces transactions à des taux d'imposition plus élevés. En revanche, les produits dérivés négociés de gré à gré qui servent à des opérations de couverture dans l'économie réelle et dont on peut objectivement mesurer la contribution à la réduction des risques ne devraient pas être soumis à ce taux plus élevé.
Comité TTF : le rapport propose que la Commission constitue un groupe de travail d'experts (le comité TTF) composé de représentants de tous les États membres, de la Commission, de la BCE et de l'Autorité européenne des matchés financiers (AEMF) pour accompagner les États membres participants dans la mise en œuvre effective de la directive et prévenir la fraude fiscale, ainsi que pour préserver l'intégrité du marché intérieur.
Le comité TTF identifierait les mécanismes visant à se soustraire à la taxe, notamment les montages abusifs afin de proposer des contre-mesures. Afin de traiter des questions en rapport avec l'exécution effective de la TTF, les États membres participants pourraient former un sous-comité du comité TTF qui compte des représentants des États membres participants.
Prélèvement de la TTF : les députés préconisent d'uniformiser les méthodes de prélèvement de la TTF due afin d'assurer l'efficacité de cette taxe. La Commission adopterait des actes d'exécution prévoyant une méthode uniforme de collecte de la TTF due et des moyens de prévenir la fraude fiscale. Les États membres pourraient adopter des mesures supplémentaires.
Rapport : tous les trois ans, et pour la première fois le 31 décembre 2016 au plus tard, la Commission devrait présenter au Parlement européen et au Conseil un rapport concernant l'application de la directive et, le cas échéant, une proposition en la matière. En outre, la Commission devrait évaluer l'incidence de certaines dispositions, telles que la pertinence du champ d'application de la TTF et le taux de taxation applicable aux fonds de pension.
Affectation des recettes provenant de la TTF : il est rappelé que conformément aux conclusions du Conseil européen du 8 février 2013 sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020, une partie des recettes provenant de la TTF devrait être allouée au budget de l'Union comme de véritables ressources propres. L'utilisation des recettes de la TTF comme des ressources propres de l'Union n'est possible au titre de la procédure de coopération renforcée que si les contributions nationales des États membres participants au budget de l'Union sont réduites du même montant et évite une contribution disproportionnée des États membres participants relativement aux États membres non participants.
Lorsque la TTF sera appliquée à l'échelle de l'Union, le montant des ressources propres issues de la TTF devrait s'ajouter en tout ou en partie aux contributions nationales des États membres afin que soient réunies de nouvelles sources de financement au service d'investissements européens sans réduction des contributions nationales des États membres participants au budget de l'Union.
Le rapport d’Anni Podimata a été soumis au vote de la plénière le 3 juillet 2013, et il a rencontré le soutien d’une large majorité de parlementaires : il a en effet été adopté par 522 voix pour, 141 contre et 42 abstentions.
Les eurodéputés luxembourgeois se sont montrés divisés sur le sujet, Georges Bach (PPE), Robert Goebbels (S&D) et Claude Turmes (Verts) ayant voté en faveur du texte, à l’instar de leurs groupes politiques respectifs, tandis que Charles Goerens votait contre un rapport qui a divisé le groupe ADLE et que Frank Engel et Astrid Lulling comptaient parmi les rares eurodéputés du PPE à s’opposer à ce texte.
Au cours du débat qui a précédé le vote, l’eurodéputée luxembourgeoise Astrid Lulling s’est exprimée au sujet d’un rapport auquel elle s’oppose franchement. Elle annonçait ainsi tout de go qu’elle voterait "contre un texte qui aurait des effets contraires à ce qui est escompté si par malheur il devait être appliqué."
"J’aurais aimé que le Parlement européen montre la voie au Conseil en proposant des améliorations substantielles à une initiative qui chaque jour rencontre de nouveaux obstacles", expliquait l’eurodéputée qui déplorait de constater "plutôt l’inverse". Entre ceux qui voient dans la TTF un projet politique et idéologique qui doit être imposé coûte que coute et ceux, plus réalistes, qui refusent de dire publiquement que cette taxe pourrait ne jamais voir le jour, "nous n'avons guère avancé", observait Astrid Lulling.
Elle critique un texte qui va conduire à "pénaliser en premier lieu les instruments d’épargne collective que sont les fonds de pension et les fonds d’investissement" et rappelle que le Parlement s’était pourtant exprimé en faveur d’une exclusion des fonds de pension du champ d’application lors de sa première position sur un projet de TTF qui était alors envisagé à 27. Astrid Lulling s’interroge sur les motivations qui ont aboutissent à punir les instruments financiers qui ont pour objet de collecter l’épargne à long terme.
Autre grief de l’eurodéputée luxembourgeoise à l’égard du texte que s’apprêtait à adopter le Parlement européen, le fait qu’on en arrive à impliquer tout le monde, de gré ou de force, alors que le projet s’inscrit dans le cadre d’une coopération renforcée.
Astrid Lulling n’a pas caché ses doutes quant à l’avenir du projet de cette coopération renforcée, évoquant les difficultés éprouvées par les onze Etats membres qui se sont lancés dans l’aventure. "Beaucoup de mes collègues pensent comme moi, mais il leur manque un peu de courage politique pour le dire ouvertement", a confié l’eurodéputée luxembourgeoise, qui imagine qu’ils pourraient devenir "plus loquaces après les élections allemandes".