Le 10 septembre 2013, l’Agence de presse Reuters a publié des extraits d’un document interne, rédigé par les juristes du Conseil européen, qui remet en cause la légalité de la taxe sur les transactions financières (TTF), telle qu’elle est envisagée dans la proposition de directive mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières, présentée le 14 février 2013.
Onze Etats membres de l’UE veulent mettre en œuvre la TTF, dans le cadre de la coopération renforcée. La proposition de la Commission européenne prévoit d'imposer à 0,1 % les actions et les obligations et à 0,01% les produits dérivés, ce qui rapporterait 35 milliards d'euros par an. Le projet de la Commission a retenu le "principe de résidence" pour la perception de la taxe. L'imposition des institutions financières dépend ainsi de l'endroit où sont basés leurs quartiers généraux, et non du lieu où les échanges financiers ont lieu. Ainsi, la TTF pourrait être prélevée sur toute transaction financière, à partir du moment où l'une des parties est domiciliée dans un des onze pays participants.
Des Etats membres seraient ainsi directement concernés par cette initiative à laquelle ils ne participent pas. "Les experts juridiques du Conseil estiment que la taxation, par un État participant, des transactions effectuées avec des institutions financières situées dans des États non participants ou tiers et considérées comme établies sur son territoire selon le principe de la contrepartie (article 4 de la proposition) aurait des effets extraterritoriaux, parce qu'elle impliquerait un exercice de sa compétence fiscale à l'égard d'entités situées en dehors de la zone géographique concernée par la législation", rapporte l’Agence Europe qui a pu consulter le document juridique.
Au vu de ces effets extraterritoriaux, cette TTF "dépasse les compétences des États membres en matière de taxation selon les normes du droit international", pensent les juristes. Elle ne serait pas plus compatible avec le traité de l'UE, dans la mesure où elle "empiète sur les compétences fiscales des États membres non participants".
C’est aussi contre une distorsion de concurrence au détriment des Etats membres non participants que met en garde le document du Conseil. Pour cause, un État membre taxerait ses propres institutions financières en ce qui concerne toutes leurs transactions dans le monde entier et taxerait également les institutions financières installées dans des États membres non participants pour les transactions effectuées avec une contrepartie située sur son territoire. Par contre, il ne taxerait pas les institutions financières résidentes dans un autre Etat membre participant pour les transactions effectuées avec une contrepartie établie sur son propre territoire, dans la mesure où c’est cet autre Etat participant qui prélèverait la taxe sur son institution. Autrement dit, un Etat membre recevrait le double de revenus fiscaux quand un pays participant à la transaction est établi hors de la "zone TTF", par rapport à ce qu'il recevrait s'il est établi dans un autre pays de cette zone.
"L'avis des juristes du Conseil pourrait freiner ultérieurement la réalisation d'un projet déjà contrasté par de multiples groupes d'intérêt et donner des arguments aux pays qui, comme le Royaume-Uni, estiment que la TTF, même appliquée par onze États membres, nuira à la compétitivité des places européennes", estime l’Agence Europe.
Le Luxembourg fait partie de ces pays opposés à la TTF. Il a d’ailleurs apporté son soutien juridique au Royaume-Uni, qui a formulé, le 15 avril 2013, un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne qui dénonce notamment la portée extraterritoriale de la taxe envisagée. L’Association des banques et banquiers, Luxembourg s’était elle-même interrogée, le 22 avril 2013, sur la légalité de la TTF et mettait elle aussi en avant le problème des effets extraterritoriaux de ce nouvel instrument.
La Commission européenne a très vite réagi aux fuites concernant le document juridique du Conseil pour contester son importance. Les juristes de la Commission européenne ont déjà analysé le projet de directive et n’arrivent pas à la même conclusion que leurs confrères du Conseil. Emer Traynor, porte-parole du commissaire à la Fiscalité, Algirdas Semeta a déclaré aussitôt à l’AFP que "nous désapprouvons fortement l'avis des avocats du Conseil sur la TTF", tout en faisant remarquer que ce n’est "qu’une partie du principe de résidence et non la taxe dans son ensemble ou la procédure de coopération renforcée" qui est remise en cause par le texte du Conseil. Selon la Commission, la proposition sur la table est bel et bien "en ligne avec les traités européens et le droit fiscal international" et ne comporte pas de risque de discrimination d’Etats membres de l’UE.
Le 11 septembre 2013, le groupe social-démocrate au Parlement européen, a diffusé un communiqué de presse invitant les Etats membres concernés par la coopération renforcée à agir coûte que coûte. Selon le président du groupe S&D au PE, l'Autrichien Hannes Swoboda, et la négociatrice en chef du PE sur la TTF, la Grecque Anni Podimata, "il n’y a pas de raison de différer la mise en œuvre de la TTF".
Les deux eurodéputés relativisent la pertinence du reproche d’effets extraterritoriaux. "L'avis juridique du Conseil n'est pas un élément nouveau dans le débat sur la TTF. Les opinions divergentes sont connues depuis que le Royaume-Uni a fait recours contre la taxe devant la Cour de justice de l’UE. Il est aussi bien connu que le principe de 'l'État de résidence' n'est pas une invention nouvelle - il est déjà appliqué dans d'autres secteurs, tels que la taxation des revenus et la TVA", indiquent-ils. Pour les socialistes, il faut donc maintenir le cap puisque "combiner les principes de résidence, d’émission et de propriété préviendront l’évasion fiscale et réduira le risque de délocalisation". A l’inverse, "affaiblir l'ambition de la TTF consisterait à envoyer un mauvais signal aux citoyens européens qui paient encore un prix bien trop élevé pour la crise financière", préviennent-ils.
"La référence à la 'non-responsabilité' de faire contribuer le secteur financier aux coûts de la crise, est un message plutôt cynique et clair qui traverse le document entier. Si les gouvernements veulent être responsables devant les citoyens, ils ne doivent pas tenir compte de cet avis juridique”, considère pour sa part le groupe GUE/NGL, qui s'est exprimé par la voix de l’eurodéputée portugaise, Marisa Matias.