Un groupe de travail de l’ABBL qui est l’organisation professionnelle des banques et banquiers du Luxembourg a travaillé sur les problèmes juridiques que soulève la proposition de directive qui doit servir de base aux négociations sur la mise en place d’une coopération renforcée entre 11 Etats membres de l’UE visant à introduire une taxe sur les transactions financières (TTF). Il a publié ses résultats le 25 avril 2013 sur le site de l’ABBL, quelques jours après que le Royaume-Uni a rendu public, le 18 avril, sa décision d’opposer un recours contre la décision du Conseil de l’autoriser devant la CJUE et que le Luxembourg a décidé de lui apporter un soutien qui n’a pas encore été défini. "Une TTF sous le régime de la coopération renforcée, est-ce légal ?", se demande l’ABBL, qui exprime discrètement sa sympathie pour la démarche britannique et le soutien que le Luxembourg lui apporte.
Le groupe de travail de l’ABBL constate que le recours à une coopération renforcée a jusque-là été utilisé dans deux cas, le divorce et le brevet européen. Il n’est possible que sous les conditions inscrites dans l’article 20 TUE et les articles 326 et 334 TFUE. Or, l’ABBL estime que ces conditions n’ont pas été évaluées de manière approfondie par les institutions européennes compétentes dans le cas de la TTF envisagée, que ce soit par la Commission, le Conseil ou le Parlement européen.
L’ABBL indique que la Commission se réfère à l’art. 20 TUE qui dit que "les coopérations renforcées visent à favoriser la réalisation des objectifs de l'Union, à préserver ses intérêts et à renforcer son processus d'intégration". La Commission européenne avance l’argument qu’une TTF permettrait la coexistence de différents régimes fiscaux nationaux et agirait donc contre la fragmentation du marché. L’ABBL par contre est d’avis que "l’adoption d’une TTF par quelques Etats membres de l’UE seulement renforcerait la fragmentation en créant une ligne de fracture entre Etats membres, qui seraient ainsi divisés entre deux groupes avec des intérêts divergents, et cela entre autres à cause des éléments extraterritoriaux contenus dans la proposition, qui empiéterait inévitablement sur la souveraineté des Etats membres qui ne participent pas à la coopération renforcée."
Par ailleurs, l’ABBL ne voit pas en quoi la TTF proposée préserverait les intérêts de l’UE. Au contraire, la TTF préconisée risque plutôt de mener à des délocalisations de certaines activités économiques hors de l’UE. Par ailleurs, elle est d’avis que la TTF pourrait rendre l’établissement d’entreprises dans l’un ou l’autre Etat membre de l’UE plus ou moins attractif, ce qui pourrait être interprété comme une infraction à l’article 49 TFUE qui traite de la liberté d’établissement, qui est une des quatre grandes libertés économiques du marché unique de l’UE.
Et de citer ensuite l’article 326 TFUE qui dit que les coopérations renforcées "ne peuvent porter atteinte ni au marché intérieur ni à la cohésion économique, sociale et territoriale", et aussi qu’elles "ne peuvent constituer ni une entrave ni une discrimination aux échanges entre les États membres ni provoquer de distorsions de concurrence entre ceux-ci." Or, l’introduction d’une TTF par coopération renforcée conduira forcément à de telles distorsions, même si celles-ci pourraient, selon l’ABBL, "favoriser les Etats membres non-participants sous certains égards"..
L’ABBL cite ensuite l’article 327 TFUE qui dit que "les coopérations renforcées respectent les compétences, droits et obligations des États membres qui n'y participent pas. Ceux-ci n'entravent pas leur mise en œuvre par les États membres qui y participent." Or, l’ABBL part des règles fixant le lieu d’établissement à l’art. 4 de la proposition de directive de la Commission qui contient des éléments extraterritoriaux. Ainsi, lorsque les établissements concernés sont situés sur le territoire d'un État qui n'est pas un État membre participant, la transaction n'est pas soumise à la TTF dans un État membre participant, mais si l’une des parties à la transaction est établie dans un État membre participant, auquel cas l'établissement financier qui n'est pas établi dans un État membre participant sera également considéré comme étant établi dans l’État membre participant concerné et la transaction y devient imposable. Inévitablement, pense l’ABBL, les Etats non-participants seront impliqués dans la coopération renforcée, "par exemple quand il sera nécessaire d’évaluer le dû des diverses entités établies sur le territoire des Etats membres qui sont parties d’une transaction". S’y ajoute que le Conseil évolue dans cette direction, mais qu’il n’y est pas question de compensations pour les Etats non-participants pour leur implication de facto dans la TTF que les 11 pays veulent créer.
L’ABBL pense également que la TTF en coopération renforcée peut mener à un conflit avec "les principes qui prévalent en matière de droit fiscal international". Car il s’agit pour elle d’une extension de la juridiction fiscale des Etats participant à la coopération renforcée sur des entités établies en dehors de leurs territoires respectifs. Cela est contraire aux règles des traités de non-double imposition des revenus et du capital qui ont été signés sous l’égide des normes de l’OCDE, et qui excluent que les profits qui sont attribués à un établissement permanent dans un des Etats signataires d’un tel traité soient imposés dans l’autre Etat signataire.
L’article 4.3. de la proposition de la Commission, qui dit que "un établissement financier ou une personne autre qu’un établissement financier n'est pas considéré comme établi au sens desdits paragraphes (1et 2) dans le cas où le redevable de la TTF peut prouver qu'il n'y a pas de lien entre la réalité économique de la transaction et le territoire de l’État membre participant concerné", est considéré par l’ABBL comme positif, mais insuffisant. Il aurait fallu marquer plus fortement un principe de droit public international qui, s’il n’interdit pas en soi une taxe qui a un effet extraterritorial, interdit en tout cas que son exécution implique des actes souverains sur le territoire d’une autre juridiction. Or, l’idée de la Commission est que les Etats non-participants participent à l’évaluation de la taxe à percevoir et qu’ils la perçoivent pour les Etats participants.
Dans un dernier paragraphe de sa position, ajouté lorsque le recours britannique a été rendu public le 18 avril et a reçu le soutien du Luxembourg le 22 du même mois, l’ABBL, tout en disant clairement ne pas connaître la formulation de ce recours, avance quelques conjectures, se basant sur ses propres informations. Elle pense que le Royaume-Uni s’est basé sur l’article 263 TFUE. Cet article stipule que "la Cour de justice de l'Union européenne contrôle la légalité des actes législatifs, des actes du Conseil, de la Commission et de la Banque centrale européenne, autres que les recommandations et les avis, et des actes du Parlement européen et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l'égard des tiers", dont l’annulation peut être demandée endéans 2 mois après leur publication par le Journal officiel par une partie qualifiée. L’ABBL écrit aussi que le soutien du Luxembourg au Royaume-Uni "pourrait notamment prendre la forme d’une intervention dans les procédures devant la CJUE".