Le Premier ministre Jean-Claude Juncker a donnée au quotidien économique belge, "L’Echo", une interview publiée dans son numéro du 28 septembre 2013. Il y prend notamment position sur des questions d’ordre européen, comme l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales, l’enquête menée par la Commission sur la fiscalité avantageuse pour les entreprises du Luxembourg, la reprise économique en Europe, la différence entre politique de rigueur et politique d’austérité, la montée des partis europhobes, la dette grecque, les risques que court la reprise actuelle, le rôle du président de l’Eurogroupe et l’évolution de ce poste, et son ambition pour un autre poste européen.
Interrogé sur l’introduction de l’échange automatique d’informations annoncée en avril 2013, Jean-Claude Juncker met les choses au clair : "Je n'ai jamais été un chaud partisan du secret bancaire", déclare-t-il sans ambages. Il déclare avoir été "toujours gêné" par ces épargnants d’autres pays "qui n'aimaient pas se soumettre à leur obligation fiscale dans leur pays". Cette évolution, qui prend fin maintenant, "n'a pas servi l'image de marque et la réputation du Grand-Duché". Pour lui, le secteur financier a "mis en place un cortège d'autres spécialités bancaires diversifiées, qui nous permettent aujourd'hui de renoncer au secret bancaire sans faire encourir de trop grands risques au marché financier."
Le 12 septembre 2013, l’opinion publique a su que le Luxembourg était visé par une enquête de la Commission européenne, tout comme l’Irlande et les Pays-Bas, sur sa fiscalité avantageuse pour les entreprises. Les journalistes de l’Echo ont voulu savoir si Jean-Claude Juncker était "à l'aise avec cette enquête". Le Premier ministre ne se sent "nullement offusqué par la décision de la Commission" qui "fait son travail" et qui "surveille de près les régimes fiscaux et les règles particulières qui peuvent être mises en application". Il est "content que le Luxembourg ne soit pas le seul pays visé". Il sait aussi que d’autres pays, comme les Pays-Bas sont "autrement plus performants" que le Luxembourg en la matière. Prié par des investisseurs que le Luxembourg modifie ses règles et s’adapte à des systèmes plus avantageux que le sien, Jean-Claude Juncker dit qu’il ne le fera pas, "parce que je ne suis pas en faveur du moins disant fiscal." Ce qui l’étonne, c’est que "la Commission ne cible que trois pays alors qu[‘il] aurai[t] voulu que tous les pays de l'Union européenne soient soumis à la même vérification."
Jean-Claude Juncker pense en termes de reprise économique, que "sauf en ce qui concerne l'emploi, nous sommes sur la bonne voie mais nous n'avons pas encore dépassé la montagne qui est devant nous." Les politiques de consolidation budgétaire doivent donc continuer. Pour le Luxembourg, il refuse à recourir au terme "d’austérité", mais préfère parler de "politique de rigueur". Sa définition qui fait le distinguo: "La rigueur vise à consolider sans gêner le cycle conjoncturel, sur un échéancier de temps raisonnable. L'austérité est une rigueur aveugle, alors que la rigueur s'apparente à une austérité éclairée." Bref, pour que "pour que la reprise se pérennise, nous devons tous adopter un comportement vertueux". Concrètement, cela veut dire qu’il ne faut "pas compromettre les effets bénéfiques de la reprise en retournant aux politiques qui ont pu en partie expliquer la récession dont nous sortons" ; cela veut dire que l’on pourra "peut-être consolider les finances publiques sur un échéancier plus étiré", mais sans "ajouter des déficits aux déficits et de la dette à la dette".
Les journalistes ont voulu savoir au cours de l’interview si l’émergence de partis europhobes "un peu partout en Europe" ne lui faisait pas craindre "une dislocation politique de l'Europe". Ce qui inquiète beaucoup Jean-Claude Juncker, c’est "ce populisme de droite qui se fait jour dans plusieurs pays, notamment en Europe du Nord, dont on parle très peu chez nous." Mais même si l’Aktion für Deutschland a frôlé les 5 % et a failli entrer dans le Bundestag, il reste convaincu qu’ "en Allemagne, c'est différent." Il s’agit certes d’un mouvement qui a "fait une percée", mais aussi d’un "phénomène que l'on peut contenir".
Une des leçons à tir du scrutin allemand est pour le Premier ministre que "nous avons un déficit très réel d'explication de toutes les politiques européennes". Aussi faut-il défendre l’euro, qui a préservé l’Europe depuis 2001 d’une "guerre monétaire intra-européenne". Par ailleurs, Jean-Claude Juncker ne croit pas « que nous assisterons à un changement important de l'approche des problèmes de la zone euro », quel que soit le gouvernement allemand, car en Allemagne, il y a selon lui un consensus très clair qu’il ne peut y avoir de solidarité avec les pays en crise que si ces pays « font preuve de solidité ».
C’est pourquoi le Premier ministre s’est refusé à s’exprimer sur la question d’une deuxième restructuration de la dette grecque. Pour lui deux éléments sont à considérer : "le rapport de la troïka et l'engagement que nous avons pris d'être prêts à appuyer la Grèce et la stabilité financière au niveau de la zone euro tant que ce serait nécessaire." Ce qui adviendra en 2013, 2014 ou 2015, en Grèce et ailleurs », nul ne le sait. Un troisième programme grec ne sera donc discuté que "lorsque nous disposerons de toutes les informations dont nous avons besoin". Pour le reste, "il faut savoir silence garder."
Etre président de l’Eurogroupe, c’est pour Jean-Claude Juncker "un travail des plus ingrats et difficiles." Ses tâches : "garder le cap, faire en sorte que les politiques décidées soient effectivement appliquées, se doter d'un savoir millimétrique sur tous les pays de la zone euro..." Ensuite, "on ne peut pas lancer chaque jour des avertissements, parce que cela donnerait l'impression que le désordre est en train de s’instal1er. Or, le président de 1'Eurogroupe est un empêcheur de désordre." Comme il s’agit d’une "tâche qui exige une présence de tous les instants", Jean-Claude Juncker "plaide depuis trois ans pour transformer le poste de président de l'Eurogroupe en un poste permanent." Le problème : "Les autres présidents permanents de l'Union européenne n'aiment pas cette idée."
A la question de savoir si le Premier ministre se voit "occuper un jour un autre poste européen", ce dernier a répondu, après avoir passé en revue les dernières années : "Les trains passent mais je ne suis plus sur le quai."