Dans un article publié le 29 avril 2013 par le Financial Times sur "le Grand-Duché confiant que la levée du secret bancaire ne portera pas atteinte au secteur bancaire", une phrase du ministre des Finances, Luc Frieden, citée par le journaliste James Fontanella-Khan a suscité de nombreuses questions dans la presse nationale et internationale : "Le Luxembourg est à l'aise avec l'idée de partager les informations sur les multinationales, comme pour les particuliers."
Lors du débat "Out of Paradise?" du 23 avril 2013, le ministre avait déjà averti le public que l’évolution plus que probable du champ d’application de la directive sur la fiscalité de l’épargne allait toucher d’autres produits financiers. En effet, la directive ne touche pas encore les personnes morales, et au Financial Times, l’on pense que son champ d'application pourrait aller au-delà des personnes physiques et s’appliquer à d’autres types de revenus financiers que les intérêts. Il faut savoir que la proposition de modification de la Commission européenne de 2008 vise à inclure de nouveaux produits financiers, et à appliquer la directive aussi aux bénéficiaires de certaines personnes morales ou constructions juridiques intercalées, notamment les fondations et les trusts. Par ailleurs, elle prévoit d'étendre le champ d'application de la directive aux revenus équivalents à des intérêts et provenant d'investissements effectués dans divers produits financiers innovants ainsi que dans certains produits d’assurance-vie.
Dans la foulée, Luc Frieden a aussi évoqué chez PaperJam l’intention du Luxembourg de participer à un projet-pilote international signé en avril par la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et le Royaume-Uni sur l'échange automatique d'informations entre les cinq pays. Or, cet accord va au-delà de la fiscalité des personnes physiques et s’applique aussi aux structures d'optimisation fiscale.
PaperJam a creusé la question auprès du ministre qui a tenu à différencier les choses. Il a d’abord expliqué que le Luxembourg allait accepter une extension de la directive sur la fiscalité de l’épargne sur les trusts, tout en insistant "sur la nécessité d’instaurer un level playing field international, comme cela a été suggéré par le G20 la semaine dernière au cours de ses réunions de printemps". Ce dernier aspect revient constamment dans les propos du ministre des Finances.
L’autre volet de la question est "la discussion, souvent désignée sous le sigle BEPS (pour base erosion and profit shifting, ou érosion de la base imposable et transfert de bénéfices) à laquelle le Luxembourg participe activement et qui a trait à la taxation des firmes multinationales", dit-il, cité par PaperJam qui commente : "Le ministère milite ainsi pour un système permettant une taxation effective, c’est-à-dire des conventions en matière fiscale qui empêchent une double taxation sans permettre d’échapper à toute taxation." Il s’agira d’abord de définir "des critères sur lesquels seront taxés les groupes internationaux", et "ceux-ci permettront de connaître le niveau de substance attendu par les autorités fiscales étrangères", explique le magazine. Mais rien n’est décidé, et selon PaperJam, "le gouvernement s’attend à ce que les critères et mesures décidés s’appliquent à l’ensemble des centres financiers internationaux." De nouveau, en filigrane, la question du level playing field.
Le premier parti politique à réagir aux propos du ministre des Finances a été l’ADR qui a tenu le 3 mai 2013 une conférence de presse au cours de laquelle sont intervenus les députés Fernand Kartheiser et Gast Gibéryen pour parler des évolutions en cours sur la place financière et de leur impact sur les finances de l’Etat.
Fernand Kartheiser a mis en avant le recul du nombre des banques, de leur somme bilantaire et de leurs revenus nets, ce qui n’est pas resté sans impact sur le budget de l’Etat. Avec l’évolution en cours, il craint un nouveau fort recul du nombre des banques, avec pertes en termes d’emploi, de savoir-faire, de recettes fiscales et un effet négatif sur la performance économique du pays.
Il a ensuite reproché au ministre des Finances sa manière de communiquer et de s’être de nouveau exprimé dans le cadre d’un entretien avec un grand journal international sur une question cruciale qui touche le secteur économique le plus important du pays avant de s’adresser à la Chambre des députés. Il faisait d’abord allusion à l’interview de Luc Frieden à la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung (FAS) du 7 avril 2013 dans laquelle ce dernier reconnaissait que "la tendance internationale va vers l’échange automatique d’informations" et que "nous n’y sommes plus strictement opposés", et qui avait déjà suscité des polémiques, et ensuite à l’entretien avec le Financial Times du 29 avril. Par ailleurs, Fernand Kartheiser est d’avis que "le Luxembourg s’est mis à genoux sous la pression d’autres pays" et cela "sans contrepartie", une façon de procéder qui domine selon lui la manière dont le pays est perçu. Finalement, le Luxembourg n’a pas informé "ses alliés objectifs", i.e. la Suisse et l’Autriche, lors de ses revirements, ce qui est "pénible".
Pour Fernand Kartheiser, tout a commencé avec le compromis de Feira de 2000, qui initie ce que l’ADR de l’époque a déjà critiqué comme "le début de la fin du secret bancaire". Le prélèvement d’un impôt libératoire à la source reversé aux pays d’origine des déposants non-résidents est pour l’ADR un "bon système". L’information à la demande instaurée en 2009 recueille aussi les suffrages de l’ADR. L’échange automatique d’informations à partir de 2015 annoncé début avril par contre est taxé "d’abandon d’un avantage", tout comme l’ouverture à l’imposition des multinationales que Luc Frieden a signalisée après l’entretien avec le Financial Times. Le député se demande où se positionne le Luxembourg, et ce d’autant qu’il craint aussi l’effet de la coopération renforcée sur la TTF – une taxe que l’ADR ne peut accepter que si elle est mondiale - et le recul prévu des recettes provenant de la TVA sur l’e-commerce. L’ADR voudrait en tout cas que le Luxembourg négocie d’éventuelles ouvertures, veille d’abord au level playing field, ce que le ministre des Finances, qui prône cette approche lui aussi, ne ferait pas dans la pratique.
Par ailleurs, l’ADR s’inquiète des délocalisations en cours. Elles seront renforcées par les nouvelles ouvertures fiscales et le sont déjà par le niveau élevé des salaires et des normes sociales au Luxembourg. D’où pour l’ADR la nécessité que les questions fiscales et sociales soient traitées de pair et que le Luxembourg s’engage pour une harmonisation des deux au niveau européen. Mais ce n’est pas le cas actuellement. Une ouverture sur la fiscalité des multinationales qui n’a pas été discutée avec la Chambre des députés ou les parties prenantes comme le Haut Comité pour l’industrie récemment créé, alors que le pays offre des conditions-cadre difficiles en matière d’autorisations et de coût salarial, rendra pour Fernand Kartheiser difficile la promotion du pays comme site industriel et financier, puisqu’il "supprime lui-même les piliers sur lesquels il est basé".
Du point de vue de l’ADR, la perte de 700 millions d’euros de recettes de l’e-commerce, la perte des 43 millions d’euros que rapporte l’impôt libératoire au fisc luxembourgeois et le déficit annuel qui tourne autour d’un milliard d’euros, sans compter d’autres pertes découlant des récentes ouvertures du gouvernement, ne pourront pas être compensés par la seule hausse de la TVA et la réforme fiscale. Bref, pour l’ADR, le Luxembourg aura des difficultés pour aller vers l’équilibre budgétaire et s’achemine plutôt vers un déficit structurel de 2 milliards d’euros par an et ne pourra plus respecter les critères de Maastricht. Il risquera alors, craint Fernand Kartheiser, la perte de son triple A, ce qui détournera les investisseurs, une mise en tutelle, des pertes de souveraineté, à l’instar de Chypre, "où l’UE a violé ses propres règles concernant la protection des comptes des déposants". Bref, "les décisions unilatérales du gouvernement mettent en question la stabilité économique qui annonçait son retour".