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Concurrence - Marché intérieur - Transports
Table-ronde de la FNCTTFEL-Landesverband sur le 4e paquet ferroviaire : Syndicats et employeurs luxembourgeois d’accord pour rejeter l’idée des appels d’offres et de la séparation entre la roue et le rail
08-10-2013


La Commission a mis sur la table le quatrième paquet ferroviaire le 30 janvier 2013Le syndicat FNCTTFEL-Landesverband avait invité le 8 octobre 2013 à une table ronde sur le 4e paquet ferroviaire à la veille d’une journée d’action européenne contre un certain nombre de mesures proposées dans ce paquet législatif.

Ce qui inquiète le syndicat FNCTTFEL-Landesverband selon son président, Guy Greivelding, dans ce 4e paquet ferroviaire, présenté en janvier 2013 par la Commission, c’est qu’il constitue non seulement "un nouveau pas vers la libéralisation en Europe", mais qu’il prévoit également l’introduction de l’obligation de passer des appels d’offres dans les services de transport ferroviaire de passagers, la libéralisation de tous les services nationaux aux passagers, ainsi que la séparation totale entre gestion des infrastructures et activités de transport. Pour le syndicat FNCTTFEL-Landesverband, la mise en œuvre de ces points aura pour conséquence "une fragmentation supplémentaire des entreprises de chemins de fer historiques et intégrées", ce qui aura de nouveau un impact direct sur l’emploi, le marché du travail intérieur, la sécurité et la qualité des prestations sur le rail pour cause de délocalisations et de recours à des ressources extérieures ("outsourcing").

LandesverbandLe syndicat FNCTTFEL-Landesverband avait réuni autour de la table Alex Kremer, directeur général des CFL, Raymond Hencks, membre du Conseil économique et social européen, Sabine Trier, secrétaire générale adjointe de l’ETF, la fédération européenne des travailleurs des transports, René Birgen, représentant de l’AÖT, l’action en faveur des transports publics. Le débat était animé par Michelle Cloos, journaliste au Tageblatt.

Les effets du 4e paquet ferroviaire sur les CFL

Alex Kremer, directeur général des CFL, à la table-ronde de la FNCTTFEL-Landesverband sur le 4e paquet ferroviaire, le 8 octobre 2013Dans son intervention, le directeur général des CFL, Alex Kremer, a émis dans un premier temps ses doutes que l’Agence ferroviaire européenne sera à même d’émettre seule les autorisations pour les véhicules et les certificats de sécurité. Quant à la séparation entre infrastructures et activités de transporteurs, il estime que "ce sera une chose difficile", car la séparation suppose la création de métiers différents et une filialisation des grandes entreprises intégrées, alors que les infrastructures doivent être conçues selon les besoins du transport des personnes sur le rail. Pour le directeur général de la compagnie nationale historique et intégrée, le transport et les infrastructures "forment un tout". Même les fonctionnaires européens qui ont scruté la situation au Luxembourg sont selon lui d’avis que l’on serait bien avisé de ne pas aboutir à trop de fragmentation au Grand-Duché. Néanmoins, la libéralisation pourrait rendre la coordination avec les réseaux allemand, belge et français de plus en plus difficile. D’ores et déjà, c’est la coordination qui est devenue, avec le nombre croissant des intervenants, la tâche la plus compliquée de la profession, et cela d’autant plus que la fragmentation conduit les acteurs des différentes composantes des chemins de fer à "fonctionner avec des œillères", n’ayant plus en tête que l’intérêt et la rentabilité de leur propre entreprise. Si donc les appels d’offres devaient devenir la règle sur un marché où les marchés de gré à gré étaient autorisés, et si les CFL devaient perdre un tel marché, "c’en serait fini des CFL".

Mais Alex Kremer se refuse à être trop pessimiste. Il a fait travailler l’entreprise qu’il dirige sur deux scénarios : un marché où il y aurait des appels d’offres et un marché qui continuerait à fonctionner comme actuellement, cela pour ne pas être surpris par les décisions politiques possibles. La situation est d’ores et déjà techniquement difficile pour le Luxembourg, puisqu’il est confronté à différentes formes de courants et de normes de sécurité, et s’il devait y avoir des appels d’offre par ligne, "ce serait catastrophique". Le temps qu’il faudrait pour homologuer les nouveaux tenants d’un marché, notamment en prolongation de ligne sur les réseaux des voisins, risquerait d’être très long, ce dont la clientèle pâtirait. Pour lui, "il faut donc éviter par tous les moyens le recours aux appels d’offres qui compromettrait le transport des personnes".

Critique de la méthode de la Commission européenne et éloge des clauses sur les services économiques d’intérêt général dans les traités

Raymond Hencks, membre du Conseil économique et social européen, à la table-ronde de la FNCTTFEL-Landesverband sur le 4e paquet ferroviaire, le 8 octobre 2013Raymond Hencks, membre luxembourgeois du Conseil économique et social européen, a d’abord critiqué, en se référant à un avis du CESE sur le 4e paquet ferroviaire adressé à la Commission européenne et auquel cette dernière doit répondre, la manière de procéder de l’exécutif européen. Elle y a inclus des éléments "positifs", comme les questions de sécurité et d’interopérabilité, mais les a couplés avec des mesures « plus problématiques » qui ont déjà été évoquées. En cela, la Commission « a outrepassé ses droits », estime Raymond Hencks, car elle ne devrait pas prédéfinir les méthodes de travail des chemins de fer. Le mieux serait que le Parlement européen fasse la part des choses et vote d’abord sur les directives du paquet qui ne posent pas problème.

Il est important pour Raymond Hencks que l’on mette en avant la dimension "service public" du transport des personnes sur le rail, la dimension aussi de services économiques d’intérêt général, telle qu’elle est définie dans les traités (cf. TFUE 106.2 qui dit que « les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. ») Or, la Commission ignore selon lui délibérément cette dimension.

Reste une autre question qu’il faut poser selon le membre du CESE : "A qui cela sert-il ?" Les prix du transport des personnes doivent rester abordables. Il faut donc un modèle d’affaires qui ne dépasse pas un certain seuil de coûts. C’est pourquoi la Commission voudrait que le cas échéant, l’Etat mette à la disposition de l’entreprise qui remporterait un appel d’offres le matériel roulant dont ce nouveau concessionnaire ne disposerait pas. Comment cela peut-il fonctionner, se demande-t-il. Au Royaume-Uni, l’Etat a dû recourir à une compagnie de leasing monopolistique qui a exigé des prix découlant de sa position dominante sur le marché. Mais que faire aussi du matériel après expiration d’une concession, limitée dans le temps ?

Où en sommes-nous dans la procédure législative au Conseil et au Parlement européen?

Michelle Cloos, journaliste du Tageblatt, et Sabine Trier, SG adjointe de l'ETF, à la table-ronde de la FNCTTFEL-Landesverband sur le 4e paquet ferroviaire, le 8 octobre 2013Sabine Trier, la secrétaire générale adjointe de l’ETF, a fait le point sur la procédure en cours chez les deux colégislateurs européens, le Conseil et le Parlement européen.

Le Conseil ne s’occupe que du dossier technique, c’est-à-dire les questions de sécurité, d’interopérabilité et ayant trait à l’AFE, qui sera abordé au cours du Conseil Transports du 10 octobre 2013 à Luxembourg. Aucune des dernières présidences tournantes n’a mis la question à l’ordre du jour. L’Irlande ne l’a pas voulu, la Lituanie actuellement ne le veut pas non plus, la Grèce ne le voudra certainement pas, et ce pourrait être l’Italie, au premier semestre 2014 qui voudrait le faire, car elle veut continuer sur le chemin de la libéralisation. Il y a néanmoins l’écueil des élections européennes du 25 mai 2014 qui incite les politiques à la prudence, estime-t-elle.        

La situation est différente au Parlement européen qui s’est saisi du paquet dans son entier, tant des directives techniques que des directives politiques. Les rapports sont sur la table depuis début juillet 2013, et plus d’un millier d’amendements sont en cours de traduction, sur seulement deux textes, pour être discutés lors d’une réunion de la commission TRAN (transports) du Parlement européen en octobre 2013. Parmi ces amendements, dont aucun n’exige le retrait pur et simple des propositions politiques, il y en a, selon Sabine Trier, qui posent clairement la question du service public ou recommandent le recours au  règlement 1370/2007 sur les services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route que l’on a négocié pendant sept ans et qui n’est censé entrer en vigueur complètement que sur dix ans, c’est-à-dire entre 2009 et 2019, un règlement qui prévoit la possibilité générale de l'attribution directe de contrats de service public dans le transport des personnes par chemin de fer.

Les effets de la libéralisation des chemins de fer

Guy Greivelding, président de la FNCTTFEL-Landesverband, à la table-ronde sur le 4e paquet ferroviaire, le 8 octobre 2013Guy Greivelding a ensuite parlé des effets des paquets ferroviaires et de la libéralisation au Luxembourg. Pour lui, le Luxembourg a souffert de la libéralisation du transport des marchandises, qui a conduit à la création de sociétés séparées des CFL où le personnel ne travaille plus sous les mêmes conditions. Le trafic international des passagers est lui aussi devenu plus difficile, notamment vers la Suisse et l’Allemagne avec le système de concession des lignes. La libéralisation des chemins de fer en Europe a coûté 800 000 emplois. La mise en œuvre des trois premiers paquets ferroviaires n’a pas encore été évaluée. "Cela n’a pas été, un succès", estime Guy Greivelding, car le rail n’a pas transporté plus de marchandises qu’il y a 20 ans. La séparation visée par le 4e paquet ferroviaire "entre la roue et le rail" risque maintenant de détruire les entreprises intégrées, où "roue et rail sont un". La qualité et la sécurité du transport des passagers en souffriront, et la multiplication des entreprises et des structures ne pourra pas être économiquement payante. Bref, le 4e paquet menace les CFL, dont les lignes profitables susciteront les convoitises de nouveaux opérateurs, mais sans souci de la coordination au sein du réseau, ce qui ne sera guère favorable à la clientèle. D’où un intérêt partagé des syndicats du secteur et des employeurs actuels.

Les perspectives 

Au cours d’un deuxième tour de table consacré aux perspectives, Alex Kremer, le directeur général des CFL, a confirmé que les appels d’offre par ligne risquent de mettre à mal le réseau coordonné du moment. Les CFL et les syndicats peuvent tout à fait s’unir sur la question de la libéralisation du transport des voyageurs. Mais Alex Kremer était moins d’accord  avec Guy Greivelding sur la question de la libéralisation du transport des marchandises. Ne pas l’accepter n’aurait pas fait de sens. Les CFL ont même pu développer leurs propres activités avec des trains transfrontaliers et n’ont jamais transporté autant de tonnes par kilomètre (t/km). Du côté transport des voyageurs, le TGV a été une aubaine aussi. La rupture des liaisons avec les ICE allemands a pu être compensée par des trains qui se rendent maintenant toutes les heures à Coblence, où la liaison avec les ICE peut se faire. Les lignes vers la Belgique sont voulues politiquement et les Etats paient, faute de quoi ces lignes ne fonctionneraient plus. Pour Alex Kremer, « la situation n’est donc pas trop mauvaise en dépit de la libéralisation ».

Raymond Hencks s’est dit optimiste pour ce qui est du traitement réservé au 4e paquet ferroviaire au Conseil. Il a par ailleurs souligné le risque que les appels d’offres recèlent et qui ferait entre autres d’une CFL, qui ne roulerait plus sur les lignes rentables, le bouche-trou pour desservir les lignes qui ne le seraient pas.

Guy Greivelding a, tout comme sa collègue Sabine Trier, insisté sur la nécessité d’informer le public sur une question compliquée et d’agir sur les décideurs. Il a clairement signalé que son syndicat n’acceptera pas de nouvelles filialisations qui affecteraient négativement les activités des CFL. "Le service public doit rester dans la main publique !" Il a plaidé pour que l’on s’en tienne au règlement 1370 qui permet les marchés de gré à gré et à la subsidiarité, à l’instar de la Chambre des députés. La sortie du transport des voyageurs des activités des CFL entraînerait selon lui le recours à tous les registres de la lutte syndicale.