"S’il est un secteur dans lequel la libéralisation prônée par la Commission européenne a du mal à passer, c’est bien celui du rail. Les dogmes de la concurrence et de la compétition mis en avant par l’exécutif bruxellois (…) y sont de plus en plus mal vécus, non seulement par les syndicats, mais aussi par les hommes politiques", lit-on dans un article publié par la Chambre des députés sur son site internet, à l’issue de la réunion de la commission parlementaire du Développement durable, le 27 février 2013.
La Chambre des députés rapporte que l’analyse du 4e "paquet ferroviaire" par les députés de la commission parlementaire "a déclenché une incompréhension quasi générale", à laquelle le ministre des Transports, Claude Wiseler, a joint sa voix.
Présenté en janvier, ce paquet ferroviaire contient trois volets principaux : la certification et l’uniformisation des matériels ferroviaires, une séparation totale des activités de gestion des infrastructures et d’exploitation commerciale des lignes et enfin la libéralisation du transport domestique des voyageurs à partir de 2019.
De la même manière que l’eurodéputé Georges Bach, qui s’était notamment exprimé à ce sujet le 19 février 2013, les propositions sur l’uniformisation et la certification des matériels ferroviaires furent bien accueillis par les députés et le ministre des Transports Claude Wiseler. Par contre, ces derniers ont désapprouvés les deux autres volets "qui mettraient en effet l’Etat et la société des Chemins de fer luxembourgeois (CFL) devant d’énormes difficultés".
La séparation totale impliquerait de créer "ex-nihilo", à partir de l’opérateur historique que sont les Chemins de fer luxembourgeois (CFL),"un gestionnaire d’infrastructure de toutes les lignes ferroviaires parcourant le Grand-Duché, dont les dirigeants et personnel administratif feraient bande à part".
De surcroît, le fait que les CFL devraient garantir à toute entreprise de transport ferroviaire étrangère "un accès effectif et non-discriminatoire" au matériel ferroviaire existant et l’obligation pour l’Etat d’organiser de véritables appels d’offres pour l’exploitation de chaque ligne, ne seraient pas mieux acceptés. "Cela signifierait non seulement une baisse dramatique de la qualité des services offerts par les transports publics, mais aussi l’arrêt de mort de l’opérateur historique ne disposant pas des moyens financiers et logistiques des grands opérateurs ferroviaires européens", lit-on encore.
Face aux risques encourus, la commission parlementaire estime ainsi que la Chambre des députés devrait adopter "dans les meilleurs délais" un avis politique ou un avis préventif dans le cadre du contrôle du principe de subsidiarité, afin de contester les propositions de la Commission européenne.
Dans le monde syndical, le projet de la Commission européenne n’est évidemment pas mieux accueilli. "C’est de la foutaise", a jugé pour sa part, le président de la FNCTTFEL, Guy Greivelding, au micro de RTL Radio Lëtzebuerg le 26 février 2013. Le transport national de personnes est un service public et devrait ainsi rester dans le giron public afin d’"offrir une garantie en termes de qualité, de sécurité et de qualification, qui soient acceptables pour tous".
La libéralisation ne serait pas capable d’apporter de telles garanties. "Si demain un privé arrive sur le réseau, je peux m’imaginer qu’il fera uniquement du cherry picking, c'est-à-dire qu’ils roulera là où il y a de l’argent à gagner, et que là où il n’y aura pas d’argent à gagner, et que le service sera tout autre."
Dans un éditorial du magazine Signal de la FNCTTFEL, publié le 18 février 2013, Guy Greivelding s’était attardé plus amplement, mais non moins sévèrement, sur ce 4e paquet ferroviaire.
"Pour la Commission, seul l’accès libre aux infrastructures pour les nouvelles entreprises ferroviaires compte. De bons services publics avec un caractère social dans la main du public, des emplois assurés, la qualité et la sécurité sont devenus des corps étrangers pour ces Messieurs-Dames de Bruxelles", avait-il écrit, soulignant l’"insolence" dont elle avait fait preuve, lors de la présentation du paquet, en affirmant que l’ouverture aurait conduit à des "emplois meilleurs et plus sûrs" dans les pays qui l’ont pratiquée.
La Justice européenne pourrait toutefois apporter de l’eau au moulin des opposants au 4e paquet ferroviaire. En tout cas, dans plusieurs arrêts rendus le 28 février 2013, suite à des recours en manquement portés par la Commission contre des Etats membres dans leur application du premier paquet ferroviaire, la CJUE s’est intéressée aux obligations de séparation entre gestionnaire de réseau et opérateur historique, déjà contenue dans la directive de 2001.
Dans son 4e paquet, la Commission avançait qu’il y avait lieu de séparer la gestion des voies de l’exploitation des trains, en invoquant de nombreuses plaintes d’utilisateurs et des preuves de discrimination dont elle dispose. Elle estime que les gestionnaires de l’infrastructure devraient jouir d’une indépendance opérationnelle et financière par rapport aux exploitants de services de transport ferroviaire, quels qu’ils soient, afin de limiter les conflits d’intérêts potentiels et assurer à toutes les entreprises un accès non discriminatoire aux voies.
Afin d‘assurer un accès équitable, les fonctions considérées comme essentielles (la délivrance de licences aux entreprises ferroviaires donnant accès au réseau ferroviaire, l’allocation des sillons et la détermination de la redevance) ne peuvent plus être assurées par les entreprises ferroviaires historiques des États membres, mais doivent être confiées à des gestionnaires indépendants,
Concernant un recours en manquement contre la Hongrie, la Cour de justice considère que "la gestion du trafic ne saurait être considérée comme une fonction essentielle et peut donc être confiée, comme en Hongrie, à des entreprises ferroviaires". Elle explique aussi que "le simple recouvrement de la redevance et sa facturation peuvent être confiés aux opérateurs historiques".
La Cour a par ailleurs rejeté dans leur intégralité les recours introduits par la Commission à l’encontre de l’Autriche et de l’Allemagne.
Les directives ne permettant pas aux États membres d’intégrer le gestionnaire indépendant dans le cadre d’une société holding détenant également des entreprises ferroviaires, sauf si des mesures supplémentaires étaient prévues pour garantir l’indépendance de la gestion, la Commission avançait que l’Autriche et l’Allemagne n’auraient pas adopté de telles mesures lorsque ces deux États ont intégré leur gestionnaire d’infrastructure – respectivement ÖBB-Infrastruktur et Deutsche Bahn Netz – dans une société holding.
Selon la Cour, il s’avère que ces deux sociétés disposent d’une personnalité juridique distincte et d’organes ainsi que de ressources propres différents de ceux de leur société holding respective. Par ailleurs, la Cour constate que les mesures supplémentaires invoquées par la Commission ne sont pas mentionnées dans les directives citées, de sorte que leur adoption ne peut être exigée des États membres. La Cour rejette également l’argumentation de la Commission selon laquelle l’Allemagne aurait manqué à ses obligations en matière de tarification et de mise en place d’un mécanisme visant à limiter les coûts liés au service d’infrastructure et à réduire le niveau des redevances d’accès.
Le Luxembourg est concerné par cette série de recours en manquement introduits par la Commission en 2010 et en 2011 et portant sur l’application par les États membres des directives 91/440 et 2001/14, dont l’objet principal est d’assurer l’accès équitable et non discriminatoire des entreprises ferroviaires à l’infrastructure, à savoir au réseau ferroviaire. Après les conclusions rendues par l'avocat général en septembre 2012, qui ont servi de base aux arrêts de la Cour du 28 février 2013, les conclusions portant sur l'affaire qui oppose la Commission au Luxembourg, mais aussi à la Pologne, à la République tchèque, à la France et à la Slovénie, avaient été rendues le 13 décembre 2012. Mais il convient de souligner que l'avocat général propose à la CJUE de constater que le Luxembourg a enfreint l'exigence d’indépendance d'une entité prestataire de services de transport ferroviaire.