Principaux portails publics  |     | 

Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
Pas d’accord sur la directive "détachement des travailleurs" au Conseil EPSCO
15-10-2013


Le Conseil EPSCO, qui a réuni le 15 octobre 2013 les ministres européens de l’Emploi et des Affaires sociales à Luxembourg, n’a pas réussi à trouver un compromis sur la réforme de la directive "détachement des travailleurs". Il a par ailleurs fait le point sur les dernières initiatives en faveur de l’emploi des jeunes. Les ministres ont aussi tenu un débat sur la dimension sociale dans l’Union économique et monétaire (UEM) après la publication, par la Commission européenne, le 2 octobre 2013, d’une communication sur cette question. Ils ont finalement eu un échange de vues sur l’évaluation du semestre européen en termes de politiques sociales et de l’emploi.

Détachement des travailleurs

Il n’y a donc pas eu d’accord entre les ministres européens du Travail sur le projet de directive censé améliorer les conditions de travail des salariés provisoirement détachés dans un autre pays européen que le leur.

Le contexte

C onseil EPSCO du 15 octobre 2013: le ministre du Travail et de l'Emploi, Nicolas SchmitLe Conseil avait été invité à adopter une orientation générale sur la directive concernant le  détachement de travailleurs proposée en mars 2012 par la Commission, sur la base d'une proposition de compromis global de la présidence lituanienne.

Les divergences les plus fortes concernaient l'article 9 (exigences administratives et mesures de contrôle nationales) et l'article 12  (responsabilité solidaire). Le but est selon les mots du Conseil "de trouver un bon équilibre entre le fait de protéger les droits des travailleurs et celui de faciliter l'exercice des libertés économiques, y compris la libre prestation de services." Cette formulation est directement liée à l’origine de la proposition de directive en discussion qui répond au débat intense qui a suivi les décisions prises par la CJUE en 2007-2008  sur des questions relatives aux relations entre la libre prestation de services et la liberté d'établissement, d'une part, et la protection des droits des travailleurs, d'autre part.

Son objectif est de renforcer la surveillance et le respect des règles de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs qui réglemente les conditions d'emploi des travailleurs temporairement détachés dans un autre État membre dans le cadre de services transfrontières et prévoit que les pays d'accueil devrait veiller à ce que les travailleurs détachés sur leur territoire y bénéficient d'une  protection minimale (santé et sécurité, horaire de travail maximal, salaire minimum, etc.).

Il faut savoir que les travailleurs détachés ne sont pas entièrement intégrés dans les relations  industrielles de l'État d’accueil, et ne sont donc en pratique pas couverts par les mécanismes de supervision et de contrôle des conditions de travail dans cet État membre. Dans la pratique, ils ne sont pas non plus soumis à un contrôle strict par les mécanismes de contrôle dans l’État d’origine. De cette manière, relève-t-on à Bruxelles, il y a un risque de créer une zone de non droit en matière de travail irrégulier et non déclaré où ni les lois du travail de l’État d’accueil ni celles de l’État d’origine ne sont appliquées dans la pratique.

De l’autre côté, le détachement est essentiel pour permettre la prestation transfrontalière de services dans des  secteurs tels que ceux de la construction, de l'agriculture et des transports, ainsi que pour des  activités de service qui nécessitent une main-d'œuvre spécialisée et hautement qualifiée, comme dans le secteur de l'informatique. Il est également lié au rôle croissant des agences de travail temporaire. Il peut jouer un rôle pour remédier à des lacunes en matière d'offre de main-d'œuvre ou de compétences dans certains secteurs (comme la construction ou les transports).

Les désaccords

C'est sur les articles 9 et 12, ceux qui concernent respectivement les conditions d'application des mesures nationales de contrôle et sur les mesures spécifiques destinées à assurer le respect par les sous-traitants des conditions d'emploi pertinentes des travailleurs détachés, que les États membres ont buté.

Sur l’article 9, deux groupes d'États membres s’opposent. Le premier groupe d'États membres est en faveur d'une liste ouverte de mesures de contrôle nationales avec la possibilité d'en introduire de nouvelles, si nécessaire, en vue de combattre efficacement le dumping social et d'autres risques. Le deuxième groupe d'États membres - Espagne, France, Allemagne, Estonie - soutient que le recours à une liste fermée, comme le propose la Commission, garantit la sécurité juridique, le respect de la jurisprudence de la Cour européenne, la transparence et le fonctionnement du marché unique.

Mais c’est finalement sur l’article 12 qui parle de la responsabilité conjointe et solidaire que le compromis n’a pu se faire. Lors d’un point de presse, le ministre français du Travail, Michel Sapin, a exigé  "qu'il existe sur le territoire européen une vraie responsabilité conjointe entre les donneurs d'ordre, celui qui passe le marché, et l'ensemble des entreprises qui concourent à la mise en œuvre de ce marché", dans la mesure où "la grande méthode de fraude consiste à compliquer les circuits", avec une multiplication de sociétés ou d'"entreprises boîtes aux lettres".

Or, l’introduction de cette responsabilité conjointe et solidaire qui deviendrait obligatoire a été bloquée par le Royaume-Uni, la Lituanie, la Lettonie, la Slovaquie, la République tchèque, l'Estonie, la Slovénie, la Croatie et la Pologne qui craignent, pour ce qui est des nouveaux Etats membres, qu'un renforcement des moyens de contrôle aille à l'encontre de la libre circulation des travailleurs, ou qui refusent, comme le Royaume-Uni, un surcroît de réglementation dans le domaine social.

Ils s’opposent ici à la France, à l'Allemagne, à l'Autriche, au Luxembourg, à la Finlande, aux Pays-Bas, à la Belgique, à l'Espagne et au Danemark, des pays qui ont mis en place un modèle social fortement structuré, et qui continuent d’être en faveur du caractère obligatoire de la responsabilité conjointe et solidaire et veulent renforcer la responsabilité des entreprises co-contractantes ainsi que des sous-traitants.

La discussion sur le détachement des travailleurs "touche la question sociale dans toute sa profondeur", a expliqué le ministre luxembourgeois du Travail et de l’Emploi, Nicolas Schmit lors d’un point de presse, en ajoutant : "Même au Luxembourg, le dumping social menace certaines entreprises. Il faut donc des règles pour le détachement des travailleurs qui ne menacent pas le modèle social européen." Et de conclure : "Nous sommes en faveur de la libre circulation des travailleurs, mais dans le respect des règles ! C’est ici également une occasion de prouver que l’Europe est un projet pour les citoyens, mais il faut se donner les moyens de le faire correctement."

La présidence lituanienne présentera un nouveau compromis lors du prochain Conseil EPSCO qui aura lieu les 9 et 10 décembre, une réunion présentée "une réunion de la dernière chance", car faute de compromis,  le détachement des travailleurs sera à nouveau abordé au niveau européen seulement dans deux ans.

La dimension sociale de l'UEM

Conseil EPSCO du 15 octobre 2013: le ministre des Affaires sociales, Mars Di BartolomeoLe Conseil EPSCO a tenu un débat d'orientation sur la dimension sociale de l'UEM dont les principaux éléments seront transmis au Conseil européen. Le Conseil européen de juin 2013 avait conclu qu'il convenait de renforcer la dimension sociale de l'UEM.

Le 2 octobre 2013, la Commission européenne avait adopté dans ce contexte sa communication intitulée "Renforcer la dimension sociale de l'Union économique et monétaire", qui s’articule autour de trois axes : assurer un meilleur suivi des défis qui se posent en matière sociale et d'emploi et intensifier la coordination des politiques dans le cadre du Semestre européen; accroître la solidarité et renforcer la mobilité des travailleurs et renforcer le dialogue social.

La Commission européenne avait proposé de créer un tableau de bord d'indicateurs pour suivre les principales  évolutions en matière sociale et d'emploi afin de mieux analyser et d'identifier plus rapidement les grands problèmes avant qu'ils n’apparaissent. Parmi ces indicateurs figureraient:

  • le niveau du chômage et son évolution ;
  • le taux de jeunes ne travaillant pas, ne suivant pas d’études ni de formation et le taux de chômage des jeunes;
  • le revenu disponible brut réel des ménages;
  • le taux de risque de pauvreté chez les personnes en âge de travailler;
  • les inégalités (ratio S80/S20).

La communication a aussi proposé d'intégrer un nombre limité d'autres indicateurs relatifs à l'emploi et à la situation sociale dans le rapport sur les mécanismes d'alerte de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques.

Au cours du débat, les ministres ont demandé à c

  • que la dimension sociale de l’UEM soit effectivement renforcée,
  • que le rôle des partenaires sociaux au niveau national soit respecté et qu’ils soient plus fortement impliqués dans l’élaboration des mesures prises dans le cadre de la stratégie Europe 2020,
  • que le rôle du sommet tripartite en amont de certaines réunions du Conseil européen soit renforcé,
  • qu’il y ait plus de cohérence entre les politiques budgétaires, économiques et sociales,
  • que les indicateurs économiques et sociaux soient correctement suivis,
  • que les indicateurs de ce tableau de bord économique et social soient affinés et analysés sur base des instruments couramment utilisés dans le cade du semestre européen, et
  • que ce tableau de bord soit appliqué à tous les Etats membres sans pour autant mener automatiquement à des recommandations.    

Lors de cette discussion sur le renforcement de la dimension sociale de l’Union économique et monétaire (UEM), les ministres luxembourgeois Mars Di Bartolomeo et Nicolas Schmit ont salué la communication de la Commission européenne. Pour eux, lit-on dans un communiqué, il s’agit "d’un premier pas vers une meilleure prise en compte des politiques de l’emploi et des affaires sociales dans le cadre de la politique européenne, mais qu’il faut approfondir davantage la question, afin d’amorcer une correction des déséquilibres entre les processus de coordination des différentes politiques au sein de l’Union européenne."