Le 14 octobre 2013 a eu lieu à Luxembourg, à la veille des réunions ECOFIN et EPSCO du Conseil de l’UE, la première réunion conjointe des ministres socialistes et sociaux-démocrates des Finances et du Travail et des Affaires sociales. Cette réunion a été co-présidée par le ministre Nicolas Schmit, en sa qualité de président du groupe des ministres socialistes et sociaux-démocrates du Conseil EPSCO, et par Jutta Urpilainen, ministre finlandaise des Finances, en sa qualité de présidente du groupe des ministres socialistes et sociaux-démocrates du Conseil ECOFIN. Les ministres avaient discuté du renforcement de la dimension sociale au sein de l’Union économique et monétaire (UEM) et ont adopté une déclaration présentant cinq lignes directrices en vue d’une Europe sociale. La secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats, Bernadette Ségol, avait, elle aussi, participé à l’événement, afin qu’il soit clair, a expliqué Nicolas Schmit, que le dialogue social n’est pas pour les sociaux-démocrates, un exercice de pure formalité, comme il l’est devenu entre-temps avant les Conseils européens de printemps et d’automne.
La déclaration adoptée la veille a été ensuite évoquée le 15 octobre en marge du Conseil "Emploi, Politique sociale, Santé et Consommateurs" (EPSCO), lors d’un point de presse au cours duquel Nicolas Schmit et Mars Di Bartolomeo, ministre luxembourgeois de la Santé et de la Sécurité sociale, sont intervenus de concert avec le ministre français du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, Michel Sapin, la ministre belge du Travail, Monica De Coninck et le ministre délégué roumain au Budget, Liviu Voinea. Là aussi, les principaux sujets ont été le renforcement de la dimension sociale dans le cadre de l’Union économique et monétaire (UEM) et les résultats de la réunion de la veille, mais aussi le renforcement de la directive dite "détachement des travailleurs" et l’emploi des jeunes.
Nicolas Schmit a fait état du débat d'orientation que le Conseil EPSCO a consacré à la dimension sociale de l'UEM en partant de la communication que la Commission européenne vient de mettre sur la table le 2 octobre 2013. "Pour les ministres sociaux-démocrates, il n’y a pas d’opposition entre l’économique et le social", a-t-il expliqué, avant de décliner les cinq lignes directrices du texte adopté par les ministres socialistes et sociaux-démocrates.
Les politiques européennes devraient davantage contribuer à une croissance durable et créatrice d’emplois afin que le niveau de vie des citoyens de l’UE soit amélioré.
Il faut ensuite arriver à réduire plus rapidement le chômage des jeunes. Il a rappelé sur ce second point le rôle des sociaux-démocrates et du commissaire européen en charge des affaires sociales Laszlo Andor pour que la Garantie Jeunesse soit adoptée, une chose qui s’est faite selon Nicolas Schmit dans des conditions difficiles, notamment au sein de la Commission.
Il faut aussi renforcer la dimension sociale au sein de l’Union économique et monétaire en luttant contre les inégalités, le dumping social, en réduisant le nombre des "travailleurs pauvres" en misant sur plus de dialogue social et le renforcement des normes sociales. Procéder ainsi serait par ailleurs bénéfique à la relance de la demande interne. D’où l’importance aussi d’entamer le dialogue sur la communication de la Commission qu’il faudrait encore renforcer sur certains points.
La mise en place d’un système financier régulé qui draine l’argent vers l’économie réelle est un autre objectif des ministres sociaux-démocrates.
Finalement, les ministres sociaux-démocrates ont plaidé pour des budgets durables, qui, tout en respectant les règles du Pacte de stabilité et de croissance, permettent des investissements dans l’économie et le social en se basant sur une politique fiscale qui met un frein aux inégalités et aux spéculations, par exemple en recourant à une taxe sur les transactions financières (TTF).
Le ministre français, Michel Sapin, a lui aussi basé ses propos sur l’axiome que l’économique et le social ne sont pas des sphères séparées, mais que l’économie doit servir à créer de l’emploi. Pour lui, même le dernier G20 a adopté un texte "très équilibré" dans le sens où il parle d’emplois correctement payés et protégés. "L’Europe sociale est de retour !", s’est-il exclamé, "y compris grâce au commissaire Laszlo Andor". (Laszlo Andor est un des rares commissaires sociaux-démocrates. Le Hongrois a été nommé à son poste en 2009, avant la prise de pouvoir en Hongrie par le gouvernement de droite de Viktor Orban en 2010. Ndlr) Pour Michel Sapin, il est important de tenir compte des indicateurs proposés par la communication de la Commission, comme le niveau du chômage et son évolution, le taux de jeunes ne travaillant pas, ne suivant pas d’études ni de formation et le taux de chômage des jeunes, le revenu disponible brut réel des ménages, le taux de risque de pauvreté chez les personnes en âge de travailler et les inégalités à partir du ratio S80/S20.
Michel Sapin a pointé la discussion sur la révision de directive "détachement des travailleurs" qui doit être respectée. Pour lui, ce qui compte, ce n’est pas de changer les textes en soi, mais d’instaurer des contrôles qui puissent imposer le respect des règles communes. Car dans la pratique, le détachement des travailleurs est source de dumping social et de concurrence déloyale, a estimé Michel Sapin, de sorte que le statu quo n’est plus souhaitable. Il a expliqué que la discussion se focalise sur l’art. 12 de la proposition discutée, où il s’agit de savoir s’il sera possible de responsabiliser les donneurs d’ordre d’une mission où interviennent un grand nombre de sous-traitants, afin que les responsabilités en cas d’infraction restent traçables et deviennent de ce fait un facteur de respect des règles. Il a par ailleurs exprimé toute sa compréhension pour les nouveaux Etats membres sceptiques à l’égard d’une réforme de la directive, parce qu’ils craignent qu’elle serve de frein à la libre circulation des travailleurs tout en se disant convaincu qu’à force d’efforts de persuasion, les choses étaient en train d’évoluer.
C’est pourquoi "l’Europe sociale est une bonne chose" pour Michel Sapin, et qu’il faut en parler, notamment en vue des élections européennes de 2014, car "si les peuples européens ne se sentent pas protégés, le réveil sera difficile le lendemain des élections".
"Cette situation est utilisée par les populistes pour attaquer le projet européen", a rajouté Nicolas Schmit. Pour lui, le Conseil est à la recherche d’un "compromis difficile". La discussion sur le détachement des travailleurs "touche la question sociale dans toute sa profondeur", a-t-il expliqué, en ajoutant : "Même au Luxembourg, le dumping social menace certaines entreprises. Il faut donc des règles pour le détachement des travailleurs qui ne menacent pas le modèle social européen." Et de conclure : "Nous sommes en faveur de la libre circulation des travailleurs, mais dans le respect des règles ! C’est ici également une occasion de prouver que l’Europe est un projet pour les citoyens, mais il faut se donner les moyens de le faire correctement."
La ministre belge du Travail, Monica De Coninck, a elle aussi évoqué les très mauvaises conditions dans lesquelles travaillent en Belgique les travailleurs détachés. Les entreprises qui sont de bonne foi et qui veillent aux conditions de rémunération et de travail de leurs salariés sont alors victimes du dumping social. "On perd ainsi les bonnes entreprises", a-t-elle conclu, en soulignant la nécessité de cette coopération entre sociaux-démocrates sur une base internationale.
Le ministre luxembourgeois de la Sécurité sociale, Mars Di Bartolomeo, a quant à lui relaté les efforts au sein du Conseil EPSCO pour se réapproprier la dimension sociale de la politique économique et monétaire de l’UE que les ministres des Finances avaient complètement accaparée. Désormais, les ministres de l’EPSCO veulent également parler de certaines implications des politiques liées au semestre européen et à la procédure sur les déséquilibres macroéconomiques. Il faut, pour le ministre, que la question sociale devienne une priorité pour les Conseils ECOFIN et EPSCO et au Conseil européen. "L’UE s’est appuyée sur une seule jambe, la jambe économique et financière, et cela a créé beaucoup de misère", a dit Mars Di Bartolomeo, qui pense qu’il est "urgent de changer d’orientation".
"Nous avons besoin d’une Union européenne puissante au niveau économique, mais nous avons tout autant besoin d’un modèle social fort", a-t-il lancé.