En mai 2013, alors que le Parlement européen venait de préciser la date des élections européennes de 2014, l’Alliance 2013, groupement d’une vingtaine d'associations, de syndicats, de communautés religieuses et d’institutions, constitué dans le cadre de l’Année européenne des citoyens, avait interrogé les six eurodéputés luxembourgeois sur leur éventuel souhait que les élections nationales et européennes soient organisées à des dates distinctes. Tous sans exception s’étaient clairement prononcés en faveur du principe de dates distinctes pour les élections européennes et nationales à Luxembourg.
L’Alliance est revenue à la charge en juillet 2013, à la faveur des élections anticipées du 20 octobre 2013 qui ont de fait exaucé leurs attentes. L’Alliance voulait savoir si cette situation devait désormais faire l’objet d’une garantie supplémentaire et si les eurodéputés allaient insister auprès de leur parti respectif pour inscrire dans leurs programmes la séparation des dates pour le scrutin national et le scrutin européen.
Les réponses des eurodéputés à cette question, ainsi qu’à deux autres ayant trait à la participation des citoyens étrangers au scrutin, sont désormais toutes disponibles en ligne sur le site de l’Alliance 2013.
Concernant la première question, les eurodéputés se montrent convaincus que la séparation définitive des échéances électorales nationale et européenne est quasiment acquise.
L’eurodéputé S & D, Robert Goebbels estime ainsi qu’il y aura désormais "rupture définitive entre les doubles élections nationales et européennes" au Luxembourg. "Sauf accident improbable en début de législature, les élections nationales suivantes auront lieu en octobre 2018 et les européennes en juin 2019."
Pour l’écologiste Claude Turmes, il n’y a pas lieu d’inscrire cette revendication au programme électoral puisqu’ "une séparation sera la règle dès à présent".
Le libéral, Charles Goerens, est l’eurodéputé qui s’étend le plus sur cette question, afin de rappeler l’engagement de son parti, le DP, en faveur de la séparation des élections nationale et européennes, dont les dates coïncident depuis 1979. Cette simultanéité a pour inconvénient que "les thèmes européens se trouvent éclipsés par des sujets nationaux", rappelle-t-il. Déjà, en 1999, son parti a rédigé une proposition de loi afin de décaler la date des élections législatives par rapport à celles des élections européennes. Il a réitéré sa position à la suite du referendum sur le Traité constitutionnel en 2005, et "du constat subsistant de la nécessité de donner à l’Europe la place qu’elle mérite dans le débat politique".
Charles Goerens constate qu’il y a eu certes un premier progrès par la réalisation de deux listes de candidats distinctes aux élections de 2009, mais que "l’attention se focalise encore majoritairement sur les élections nationales". "Les élections européennes représentent à nos yeux un rendez-vous politique fixé tous les cinq ans trop important pour qu’il sombre dans l’indifférence nationale", déclare encore Charles Goerens, qui voit dans le décalage survenant pour les prochaines échéances une "opportunité pour envisager la séparation des dates ». Le DP a rappelé sa position dans son programme électoral pour les élections nationales du 20 octobre 2013, signale-t-il.
Du côté du CSV, Georges Bach déplore que son parti, le CSV, n’en ait pas fait autant. "Malheureusement", constate-t-il, "cette idée n’est pas reflétée dans le programme électoral national du CSV". Sa colistière, Astrid Lulling n’a rien contre un engagement électoral pour la séparation des deux dates puisque c’est pour elle "une excellente nouvelle". C’est "un des mérites de la crise gouvernementale de juillet 2013", dit-elle, affirmant "ne pas [voir] très bien comment les deux dates pourraient coïncider à nouveau". Pour Frank Engel, un engagement électoral n’est pas nécessaire puisque "ce sont la Constitution et les lois du pays qui gouvernent les dates des élections, et les membres de la Chambre des Députés sont élus pour cinq ans". "La séparation des dates de ces élections et de celles des membres du Parlement européen est dès lors acquise, le Parlement européen lui-même ne pouvant être dissous avant terme. Je me félicite du fait que nous aurons désormais deux dates différentes pour les deux élections, ce qui permet des campagnes distinctes autour des enjeux politiques respectifs de des élections", explique-t-il.
L’Alliance 2013 a également interrogé les six eurodéputés sur leur éventuelle volonté de faciliter au Luxembourg le droit de vote des citoyens de l’UE et des ressortissants de pays tiers aux élections européennes. Sur ces deux questions, une semblable césure s’opère entre les six eurodéputés luxembourgeois.
D’un côté, Robert Goebbels juge la législation européenne actuelle "suffisante" pour ce qui est de la participation des citoyens de l’UE aux élections européennes au Luxembourg, conditionnée à une durée de résidence de deux années. "Je ne crois pas en la nécessité d’assurer une sorte de 'portabilité' du droit de vote des Européens", dit-il. La condition de résidence fait sens car "seul un citoyen intégré dans une communauté est à même d’influer sur cette dernière par son vote politique", poursuit-il en mettant en garde contre le "tourisme électoral".
Pour Charles Goerens, la contrainte d’une durée minimale de résidence de deux années est "tout à fait légitime". "Le citoyen européen, avant de passer aux urnes, et donc d’influer sur les politiques de son pays d’adoption par son vote, est censé d’abord apprendre à connaître non seulement les candidats, mais également le paysage politique du pays dans lequel il réside", dit-il, tout en faisant remarquer que celui qui ne remplit pas cette condition ne perd de toute façon pas son droit de vote dans son pays de provenance.
Dans la veine de la remarque des deux eurodéputés précédents, Astrid Lulling confie qu’elle "demeure un peu sceptique, car il faut connaître un minimum la scène politique du pays où l’on réside pour pouvoir faire son choix en connaissance de cause". Elle estime néanmoins qu’ "il ne s’agit pas pour [elle] d’un point essentiel".
A l’inverse, les écologistes sont "contre toute condition de résidence minimale", souligne, lapidaire, Claude Turmes. L’eurodéputé PPE, Frank Engel, n’aurait même pas de problème à voir un citoyen européen voter deux fois, une fois au Luxembourg et une fois dans son pays de provenance. "Je préfère largement cela à un citoyen qui ignore les élections et ne se sent aucunement concerné par elles", dit-il. Frank Engel est favorable comme Claude Turmes, à l’absence de conditions de résidence et affirme : "Je considère que quelqu’un qui est citoyen de l’Union doit pouvoir voter aux élections européennes, peu importe où il se trouve au moment des élections des membres du Parlement européen, et pour combien de temps il s’y est trouvé". Georges Bach tient une position similaire, se disant personnellement "en faveur de rendre le droit de vote aux élections européennes le plus facile possible pour les Européens".
Les réponses à l’éventualité d’une participation des ressortissants de pays tiers aux élections européens partage les eurodéputés en deux camps similaires à ceux créés par la question de la participation facilitée des citoyens de l’UE.
Le socialiste Robert Goebbels dit "ne pas être un adepte" de cette perspective. S’ils veulent participer à la vie politique nationale ou européenne, les ressortissants de pays tiers doivent "opter pour la nationalité luxembourgeoise ou celle d’un autre pays membre", dit-il, faisant remarquer que l’acquisition de la nationalité est désormais facilitée par la double nationalité.
Pour Charles Goerens, il faut passer par l’obtention de la nationalité d’au moins un pays membre de l’Union européenne. Il n’y a "pas de raison pour modifier cette situation juridique", dit-il. Astrid Lulling se dit une nouvelle fois "sceptique". "Je ne vois pas pourquoi le Parlement européen qui représente les peuples de l’Union devrait également être élu par les ressortissants des pays tiers", pense-t-elle, considérant que "la citoyenneté de résidence ne veut pas dire grand-chose".
En revanche, l’eurodéputé Frank Engel n’est "pas opposé" à cette perspective mais précise qu’il y aurait lieu, en pareil cas, d' "entamer une réflexion d’ensemble sur le droit de vote, la résidence et l’intégration". "Il faudrait que nous nous assurions que cette personne sache vaguement de quoi il s’agit lors des élections en cause", dit-il, plaidant pour des " conditions spécifiques » à l’exercice de ce droit de vote. Georges Bach est d’accord pour accorder cette possibilité dès lors que le ressortissant d’un pays tiers réside légalement sur le territoire et ce, depuis "une durée pertinente". L’écologiste Claude Turmes se dit lui aussi favorable, tout en faisant remarquer que cette possibilité est bloquée par la législation européenne.