Le 2 décembre 2013, le tribunal administratif de Luxembourg a rendu son second jugement dans le dossier concernant les aides pour études supérieures. Il a décidé d’annuler les décisions du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ayant refusé à des étudiants étrangers, enfants de parents frontaliers n’ayant pas travaillé de manière ininterrompue durant les cinq années précédant la demande, une aide financière pour études supérieures.
Les refus ainsi annulés avaient été opposés à la demande faite le 15 novembre 2012 par un étudiant français en première année de génie industriel et maintenance, dont la mère était employée au Luxembourg "depuis le 1er septembre 2011, sinon depuis 2010", à la demande introduite le 21 octobre 2010 par une étudiante belge en 2e année de médecine dont le père travaillait depuis le 1er septembre 2007 au Grand-Duché ainsi qu’ à la demande faite fin 2010 par une étudiante en pharmacie résidant en Belgique, dont le père était employé par une société établie au Grand-Duché de Luxembourg, alors qu’il est capitaine au long cours et travaille sur des navires maritimes battant pavillon luxembourgeois. Pour justifier ce dernier refus, l’Etat opposait le fait que le parent du demandeur n’avait tout simplement jamais travaillé au Luxembourg.
Dans un premier jugement, rendu le 14 octobre 2013, concernant des enfants dont l’un des parents a travaillé en tant que travailleur frontalier depuis plus de 5 ans au Grand-Duché au moment de l’introduction de leur demande d’aides pour études supérieures, le tribunal administratif avait suivi l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne en date du 20 juin 2013, à laquelle il avait adressé une question préjudicielle, et annulé les décisions du ministère. Le tribunal avait en effet jugé que la loi du 26 juillet 2010, en imposant une clause de résidence pour l’octroi d’une bourse d’études, est "contraire au principe communautaire de non-discrimination en raison de la nationalité".
Dans son jugement, le tribunal administratif expliquait qu’il jugeait nécessaire de consacrer un second jugement au cas des enfants dont l’un des parents a travaillé en tant que travailleur frontalier depuis moins de 5 ans de manière ininterrompue au Grand-Duché, au moment de la demande. "Il y a lieu de disjoindre les différents recours, afin de permettre au tribunal de tenir compte notamment de leurs différences procédurales", disait-il.
Déjà, le 17 juillet 2013, dans sa réponse à une question parlementaire du député Déi Lénk, Serge Urbany, la ministre de l’Enseignement supérieur, Martine Hansen, avait fait savoir qu’elle entendait appliquer rétroactivement, aux dossiers pendants devant le tribunal administratif, le délai de cinq ans de travail ininterrompus au Luxembourg introduit le 9 juillet 2013 dans la réforme de la loi du 26 juillet 2010, à la suite de la publication de l’arrêt rendu le 20 juin 2013 par la Cour de justice de l’UE.
Dans son jugement du 2 décembre 2013, le tribunal administratif rappelle, comme dans celui du 14 octobre précédent, qu’aux termes de l’arrêt de la CJUE, "la clause de résidence, considérée seule, c’est-à-dire à l’exclusion de la prise en compte d’autres critères de rattachement ("dans la mesure où elle fait obstacle à la prise en compte d’autres éléments potentiellement représentatifs du degré réel de rattachement du demandeur de ladite aide financière à la société ou au marché du travail de l’Etat membre concerné") constitue une discrimination indirecte entre les personnes qui résident dans l’Etat membre concerné et celles qui, sans résider dans cet Etat membre, sont des enfants de travailleurs frontaliers exerçant une activité dans ledit Etat membre, contraire au principe communautaire de non-discrimination en raison de la nationalité".
Ainsi, dit le jugement du 2 décembre, "le ministre n’a partant pas pu valablement se baser sur l’article 2 de la loi du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, tel que modifié par la loi du 26 juillet 2010, lequel impose comme seule condition une condition de résidence", puisque cette loi est non-conforme.
Durant les plaidoiries qui se sont déroulées le 18 novembre 2013, l’Etat avait fait valoir que l’arrêt de la CJUE a jugé que la loi incriminée formulait une condition de résidence qui excédait "ce qui est nécessaire aux fins d’atteindre l’objectif qu’elle poursuit, dans la mesure où elle fait obstacle à la prise en compte d’autres éléments potentiellement représentatifs du degré réel de rattachement du demandeur de ladite aide financière à la société ou au marché du travail de l’État membre concerné, tels que le fait que l’un des parents, qui continue de pourvoir à l’entretien de l’étudiant, est un travailleur frontalier, qui occupe un emploi durable dans cet État membre et a déjà travaillé dans ce dernier depuis une durée significative".
L’Etat pensait pouvoir en déduire que les refus qu’il avait opposés aux demandes provenant d’étudiants qui ne remplissaient pas "la condition de rattachement à la société ou au marché de travail luxembourgeois, c’est-à-dire qu’il rapporte la preuve qu’il est réellement l’enfant d’un travailleur au Grand-Duché de Luxembourg et que ce travailleur travaille effectivement au Grand-Duché de Luxembourg depuis 5 ans au moins", étaient ainsi justifiées.
La discrimination indirecte en raison de la nationalité n’aurait alors pas pu être invoquée, selon l’Etat, puisque l’arrêt de la CJUE avait admis "explicitement sinon implicitement" la légalité de la condition de l’existence d’un degré suffisant de rattachement, au vu du "risque de voir apparaître un 'tourisme des bourses d’études' que l’Etat luxembourgeois serait autorisé à combattre". Pour l’Etat, la loi du 22 juin 2000 telle qu’elle a été modifiée par la loi du 26 juillet 2010, n’aurait ainsi « pas été frappée de nullité" mais "resterait au contraire en vigueur dans toute la mesure où le droit européen ne donnerait pas au demandeur déterminé des droits qui ne lui reviennent pas en vertu de la loi nationale".
Mais le tribunal administratif a rejeté dans le détail ces arguments. La partie étatique a tort de "tirer de l’arrêt la consécration d’une condition d’intégration ou de rattachement, basée sur la durée du travail ininterrompue des parents de l’étudiant au Grand-Duché de Luxembourg", et que la loi "ne serait pas frappée de nullité", souligne le tribunal.
La CJUE a stipulé que la clause de résidence, considérée seule, comme dans la loi du 26 juillet 2010, est "une entrave à la libre circulation des ressortissants communautaires" et qu’il convient donc d’annuler "purement et simplement" la décision. Surtout, le tribunal administratif a d’abord fait savoir qu’il ne peut pas tenir compte de conditions qui n’ont pas figuré dans la loi au moment de la prise des décisions attaquée. Le tribunal administratif doit rappeler qu’il siège en l’espèce en tant que juge de l’annulation, appelé à apprécier la légalité d’une décision administrative en considération de la seule situation de droit et de fait au jour où elle a été prise. Or, la condition d’intégration qu’aurait consacrée la CJUE n’a pas figuré dans la loi applicable alors. Il n’existe donc pas "de motifs légaux, c’est-à-dire effectivement prévus par la loi", qui puissent remplacer les motifs avancés dans un premier temps, lors de la procédure devant le tribunal administratif.
Le tribunal fait également une mise au point sur la portée et le sens de la suggestion faite par la CJUE. "En émettant cette suggestion, [elle] n’a pas entendu encadrer l’œuvre du juge national", dit-il. En fait, elle "a indiqué au législateur luxembourgeois, dans le respect de sa souveraineté, de possibles solutions (…) lui permettant d’éviter le risque de voir apparaître un ‘tourisme des bourses d’études". Ce faisant, elle "n’a ni consacré cette condition d’emploi durable en tant que condition exclusive, ni consacré une durée de cinq ans comme seul critère admissible", fait remarquer le tribunal.
Le jour du jugement, l’OGBL a réagi par un communiqué de presse qui souligne qu’au vu de ce jugement, "tous les étudiants de travailleurs frontaliers, résidant à l’étranger, ont droit à l’intégralité de l’aide financière pour tous les semestres depuis l’année académique 2010/11 et jusqu’à l’année académique 2012/13, s’ils réunissent par ailleurs les autres conditions de cette aide".
Néanmoins, seuls sont concernés ceux qui ont déposé un recours en annulation devant le tribunal administratif pour un refus essuyé sous le régime de la loi du 16 juillet 2010. C’est pourquoi l’OGBL, dans son communiqué a lancé également un appel au nouveau gouvernement. Il souhaite que "toutes les demandes ayant été introduites pendant cette période, et n’ayant pas encore abouti à un résultat positif, soient maintenant revues et traitées dans les mêmes conditions que celles des étudiants résidents, indépendamment du fait qu’un recours ait été jusqu’à présent introduit ou non".