Principaux portails publics  |     | 

Economie, finances et monnaie
Sur le plateau de la chaîne de télévision France 24, Frank Engel rend les réformes structurelles responsables de la perte de croissance dans la zone euro
07-12-2013


Frank Engel et Jean-Paul GauzèsLe 7 décembre 2013, l’eurodéputé luxembourgeois Frank Engel (PPE) était, en compagnie de l’eurodéputé français du même groupe politique, Jean-Paul Gauzès, l’invité de l’émission "Ici l’Europe", de la chaîne de télé France 24, pour débattre de divers sujets économiques européens. Membre de la commission des Affaires économiques et financières (ECON), Jean-Paul Gauzès a notamment été rapporteur du two-pack et de la directive AIFM.

Une politique européenne "qui, à la fin du compte, a détruit les pays du pourtour méditerranéen"

Il y a été d’abord question de la reprise économique qui devrait se confirmer en 2014. L’animatrice de l’émission, Caroline de Camaret, a souligné que ce sont principalement des pays hors zone euro qui en sont les moteurs. Frank Engel ne s’est pas montré surpris par cette remarque. "C’est exactement ça le problème qu’on a depuis très longtemps. Il faudra se rendre à l’évidence que l’eurozone continue de stagner (…) parce que, en son propre sein, il y a trop de pays qui ne sont pas capables de redécoller", a-t-il déclaré. L’eurodéputé l’explique "en partie en raison des politiques que l’Europe les a forcés de suivre, pour procéder à ce qu’on appelle généralement des réformes structurelles, des regains de compétitivité".  Il dit n’avoir pas "cru une seconde" en cette politique "qui, à la fin du compte, a détruit les pays du pourtour méditerranéen".

Le second invité de l’émission, Jean-Paul Gauzès, a pour sa part jugé que les réformes des systèmes de retraite ou d’amélioration de la compétitivité étaient nécessaires mais qu’il fallait aussi redonner "de l’énergie" à l’économie en levant les incertitudes sur le traitement fiscal des investisseurs et en facilitant l’accès des PME au crédit.

Interrogé sur la responsabilité de la gouvernance économique européenne dans cette reprise, Frank Engel a jugé qu’elle n’avait  rien à voir avec la croissance. "Et je proteste contre cette façon de faire ‘comme si’", a-t-il expliqué. "Le simple fait qu’une institution comme la Commission européenne vérifie une fois par an qu’il n’y a pas de déficit n’a rien à voir avec la croissance."

"La croissance a lieu quand il y a consommation et confiance", a-t-il poursuivi pour aborder ensuite la question du chômage. "Comment voulez-vous avoir confiance si vous êtes un Grec, un Espagnol, un Portugais au chômage. Comment des sociétés qui continuent de languir à des taux de chômage de 15, 20, 30 % sont-elles supposées participer à une quelconque reprise ? Cela n’est pas possible. Nous le savons tous mais nous faisons comme si la discipline budgétaire suffisait pour gommer cela", s’est-il offusqué.

Jean-Paul Gauzès a souligné que la solidarité européenne avait joué pour les pays du Sud, et que si le traitement infligé fut dur, "il était à certains égards appropriés". En tout cas, il serait la conséquence de l’inconvénient de ne pas avoir eu les dispositifs, tels que le two-pack et le six-pack, pour faire face à la crise.

Le second sujet de l’émission concernait le triple A, alors qu’il ne reste plus que trois pays européens qui en sont dotés (Allemagne, Finlande et Luxembourg) depuis la dégradation de la note des Pays-Bas. Pour Frank Engel, qui ne croit pas en la pertinence de ces notations par des sociétés privées et regrette que la création d’une agence de notation européenne soit restée lettre morte, le Luxembourg devrait suivre les Pays-Bas d’ici "quelques années". "A mon humble avis, ce n’est qu’une question de temps jusqu’à ce que les agences de notation réalisent que s’il y a un pays dans l’UE, dont la dette implicite représentée par la promesse des retraites, est tellement effrayante que ça mériterait le retrait du triple A", il s’agit du Luxembourg, a-t-il dit.

L’Union bancaire, son utilité et le blocage de l’Allemagne

Interrogé sur l’Union bancaire, Frank Engel pense qu’il s’agit d’un "développement logique et conséquent" mais qu’il ne résoudra à lui seul que peu de problèmes. "Ça ne va surtout pas résoudre les problèmes d’une économie financière qui reste détachée de l’économie réelle ni l’absence totale de budget européen digne de ce nom, qui, seul, parce qu’il permettrait les redistributions nécessaires et requises en cas de crise, pourrait alléger des phénomènes comme ceux qu’on a connus sur le pourtour méditerranéen", a-t-il dit. Jean-Paul Gauzès a pour sa part souligné que l’Union bancaire était un premier volet de supervision, que doivent suivre le volet de la garantie des dépôts puis la création d’une autorité européenne de résolution des crises.

Au sujet du blocage de l’Allemagne sur ce système, Frank Engel a estimé que "l’Allemagne souffre d’un mal qui nous a souvent fait mal sur tout le continent, c’est qu’elle croit toujours faire et savoir mieux et la même chose est vraie pour la gestion des banques". Néanmoins, il pense qu’elle finira par céder en raison d’une inflation "substantielle".

Le secret bancaire "protège des affaires qui autrement quitteront tout bonnement le continent" 

Questionné sur les conséquences de l’abandon prochain du secret bancaire par le Luxembourg, Frank Engel a souligné que le pays avait "anticipé cela depuis belle lurette, (…) ce qui fait que nous n’allons pas en mourir". Il a néanmoins souhaité rappeler qu’avec le secret bancaire, "il ne s’agit pas seulement de quelque chose qui cache les affaires sales mais que c’est également quelque chose qui protège des affaires qui autrement quitteront tout bonnement le continent, ce dont personne ne profitera." A la suite de l’eurodéputé luxembourgeois, Jean-Paul Gauzès a estimé que, sur la route qui mène jusqu’à l’échange automatique d’informations, il fallait placer "le curseur là où on ne met pas en péril l’existence de financements en Europe". "Il faut dire à n’importe quel menuisier français (…) que pour n’importe quel emprunt qu’il doit faire pour son entreprise, s’il n’y a plus de dépôts en Europe, il deviendra plus cher s’il faut aller le chercher à Singapour", a poursuivi Frank Engel.

Pour finir, la discussion s’est portée sur la correction des déséquilibres de compétitivité, notamment entre l’Allemagne et les autres Etats membres, que la Commission européenne a constatée avec contentement en 2013. Jean-Paul Gauzès a jugé que c’était un "état de fait", difficilement attribuable à une quelconque action politique.

"Ce qui arrive à l’Allemagne est simplement un amoindrissement de la demande pour ce qu’elle a à offrir, aussi parce que le Sud européen ne peut plus se le permettre", a pour sa part déclaré Frank Engel, qui a par ailleurs précisé qu’il jugeait "débile" de mesurer "la compétitivité d’un pays européen contre un autre". "Ce n’est pas comme cela que nous avancerons, que l’Union en tant que telle sera un tant soit peu compétitive par rapport aux autres grands blocs", a-t-il déclaré.