Fin 2011, quelques semaines avant l’entrée en vigueur du "six-pack", le fameux paquet sur la gouvernance économique, la Commission européenne mettait sur la table deux nouveaux projets de règlements visant à renforcer la coordination et la surveillance budgétaire au sein de la zone euro.
Le 13 juin 2012, le Parlement européen, réuni en plénière s’est prononcé sur ces deux textes.
Les rapporteurs pour ces deux règlements, Jean-Paul Gauzès (PPE) et Elisa Ferreira (S&D), n’ont pas manqué de faire des propositions modifiant le texte de la Commission.
Ils insistent en effet sur la nécessité d’orienter les prochaines législations sur la gouvernance économique sur la croissance, et ils veillent à ce que les nouveaux pouvoirs de la Commission en matière d’évaluation des budgets des pays de la zone euro soient soumis à un meilleur contrôle démocratique. Mais les parlementaires ont aussi proposé une coordination de l'émission de la dette et une protection juridique pour les pays risquant le défaut de paiement.
Leurs rapports respectifs ont été adoptés, offrant au Parlement européen une position à défendre lors des négociations qui vont pouvoir commencer avec le Conseil.Le rapport de Jean-Paul Gauzès a été adopté par 471 voix pour, 97 voix contre et 78 abstentions et le rapport d’Elisa Ferreira a été adopté par 501 voix pour, 138 voix contre, et 36 abstentions.
Le premier règlement proposé par la Commission vise à renforcer la surveillance des politiques budgétaires dans les États membres de la zone euro en leur demandant de présenter leurs projets de budget à la même période chaque année et en conférant à la Commission le droit de les analyser et, le cas échéant, d'émettre un avis à leur sujet. La Commission pourrait demander leur révision au cas où elle estimerait qu'ils manquent gravement aux obligations politiques fixées par le pacte de stabilité et de croissance. Ces initiatives seraient portées à la connaissance du grand public de manière à garantir une parfaite transparence. Les États membres de la zone euro seraient également tenus de mettre en place des conseils budgétaires indépendants et de fonder leurs budgets sur des prévisions indépendantes.
Cette procédure préventive permettrait à la Commission et aux autres Etats membres de la zone euro d’évaluer les projets de budget avant que les lois budgétaires ne soient votées et de donner son avis à leur sujet.
Le règlement propose aussi un suivi plus étroit et des obligations d'information pour les pays de la zone euro soumis à une procédure pour déficit excessif, à appliquer de manière continue tout au long du cycle budgétaire. Ce suivi permettrait à la Commission, en cas de risque de non-respect des délais donnés pour corriger un déficit excessif, d’adresser à l’Etat membre concerné une recommandation, qui, une fois suivie de sa réponse par l’Etat membre, permettrait d’évaluer si un Etat membre a bien pris les mesures effectives prévues.
Dans le rapport élaboré par Elisa Ferreira et soumis au vote des parlementaires, l’accent est mis sur les principes démocratiques dans le processus budgétaire, l’intention du Parlement européen étant de tracer des limites aux pouvoirs qu’exercerait la Commission par le biais d'"actes délégués".
Le texte voté vise ainsi à créer un environnement de coopération entre la Commission européenne et les parlements nationaux, ainsi que d'encourager l'implication des partenaires sociaux nationaux et des organisations de la société civile.
Plusieurs amendements à la proposition originale de la Commission protègent de manière spécifique les pratiques de formation des salaires et les institutions. En outre, les députés ont introduit des critères plus rigoureux avant que la Commission ne puisse donner son veto et ont ajouté la possibilité pour les parties de s'engager dans des dialogues économiques sur les points de discorde prévus dans le cadre du six-pack.
Elisa Ferreira a par ailleurs souhaité inscrire ce texte dans un contexte politique plus large. "La discipline budgétaire ne peut pas être l'alpha et l'oméga de notre stratégie. Nous devons rééquilibrer nos objectifs à court terme en vue d'agir également sur la croissance et le cercle vicieux des taux d'intérêts élevés pour le financement de la dette", a-t-elle expliqué.
Du point de vue du Parlement européen, il est clair que les pouvoirs accrus de supervision budgétaire de la Commission ne devraient pas être utilisés pour entraver la croissance économique. Les évaluations de la Commission pays par pays devraient, par conséquent, être plus globales, afin d'assurer que les coupes budgétaires ne sont pas réalisées au détriment des investissements dans le potentiel de croissance.
En outre, pour les pays invités à entreprendre des coupes significatives, ces efforts ne doivent pas faire obstacle aux investissements dans l'éducation et les soins de santé. Les États membres seraient également contraints de détailler les investissements qui ont engendré un potentiel de croissance et d'emplois, et le calendrier relatif à la réduction du déficit serait appliqué de manière plus souple dans des circonstances exceptionnelles ou lors d'une grave récession économique.
Le projet de texte met par ailleurs sur pied un fonds européen d'amortissement (FEA) pour toutes les dettes nationales dépassant 60 % du PIB du pays (à l'heure actuelle elles s'élèveraient à environ 2300 milliards d'euros). Cette partie de la dette serait remboursée dans un délai de 25 ans, allégeant dans l'immédiat le fardeau des pays concernés en termes de refinancement de la dette et réduisant l'intérêt moyen payé pour refinancer la dette.
La dette d'un pays sous le seuil de 60 % de son PIB continuerait d'être financée de manière individuelle par l'État membre en question. Ensemble, les critères mènent à une responsabilité conjointe d'une partie des dettes de la zone euro.
Le texte appelle également la Commission à proposer un instrument de croissance qui mobiliserait environ 1 % du PIB de l'UE (environ 100 milliards d'euros) par an sur une période de 10 ans pour les investissements dans les infrastructures, ainsi qu'une une feuille de route pour les euro-obligations.
Le second règlement vise à renforcer la surveillance économique et budgétaire des pays de la zone euro confrontés à une instabilité financière grave ou gravement menacés de l’être. Il offre ainsi un cadre commun et graduel aux exigences de surveillance. Selon la proposition, la Commission serait à même de décider si un État membre confronté à de graves difficultés quant à sa stabilité financière devrait ou non faire l'objet d'une surveillance renforcée. Le Conseil, quant à lui, serait en mesure d'adopter une recommandation invitant cet État membre à solliciter une assistance financière. Ce règlement introduit une procédure applicable pour la préparation et l’adoption des futures procédures d’ajustement macro-économique et il fixe un cadre conforme au traité pour les aides financières venant d’un cadre autre que celui de l’UE, par exemple l’EFSF et le FMI. Ce cadre nouveau devrait remplacer les dispositions existantes : la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance, de la procédure de déficit excessif et du semestre européen sera adaptée de façon à éviter la duplication des obligations de reporting.
Jean-Paul Gauzès a tenu à conserver dans son texte l'esprit de la proposition de la Commission, qui prévoit une surveillance accrue permettant à l'exécutif de l'UE de travailler avec les États membres en vue de préparer un plan d'ajustement macroéconomique et, si nécessaire, de recommander que le pays cherche une aide financière extérieure. A ses yeux en effet, "si de telles règles avaient été en place il y a deux ans, nous aurions évité les problèmes rencontrés à l'heure actuelle par certains États membres, étant donné que des actions claires et précoces auraient été prises".
Mais son rapport propose aussi d'introduire un mécanisme institutionnalisé en vue d'autoriser un défaut de paiement national. Le texte donne à la Commission des pouvoirs semblables à ceux du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites, qui lui permettraient de donner une protection juridique à tout État membre qui risque un défaut de paiement.
Selon le texte adopté, les clauses de "compensation avec déchéance du terme" ou des dispositions relatives à un "événement de crédit" ne seraient pas possibles et les taux d'intérêts de la dette du pays seraient gelés. En échange, l'État membre serait contraint de soumettre un plan de rétablissement de la dette pour approbation à la Commission, et l'ensemble des créanciers de l'État membre devraient se faire connaître auprès de la Commission dans un délai de deux mois ou abandonner leur réclamation.
Les eurodéputés ont également renforcé les pouvoirs de la Commission européenne en comparaison avec la proposition originale, notamment en prévoyant une utilisation plus large des règles de la "majorité qualifiée inversée" lors des votes au Conseil. Par exemple, cette règle s'appliquerait lorsque la Commission recommande que des mesures correctives soient prises par un pays ou lorsqu'elle exige que de nouveaux plans de réduction de la dette soient soumis. De telles décisions seraient considérées comme adoptées à moins que le Conseil ne les rejette catégoriquement.
Au cours du débat qui s’est tenu à la veille du vote, Charles Goerens (ALDE) et Astrid Lulling (PPE) ont pu s’exprimer dans l’hémicycle.
Charles Goerens, qui dénonce les écarts de taux auxquels sont soumis les pays de la zone euro pour emprunter de l’argent, s’est prononcé en faveur d’une mutualisation de la partie de la dette dépassant les 60 % de rigueur. Ce qui permettrait selon lui de respecter l’équivalent du principe de pollueur-payeur.
Astrid Lulling a pour sa part dénoncé "le double langage de certains dirigeants européens" qui ne cessent de plaider pour un renforcement de la discipline européenne, mais refusent chez eux toute injonction venant de Bruxelles à mener des réformes nécessaires. Elle s’insurge contre "ces messieurs" qui, une fois "bien installés chez eux", "croient malin de décrier les recommandations équilibrées émanant de la Commission, de s'affranchir de certains engagements ou dans le pire des cas de monter l'opinion publique contre ces oukazes de Bruxelles!". Une attitude que l’eurodéputée juge irresponsable et désinvolte. "La discipline européenne doit jouer pour tous, sans exception, même pour le Grand-Duché de Luxembourg", a-t-elle conclu, ciblant de la sorte de façon plus précise et directe encore les commentaires que Jean-Claude Juncker a pu faire au Luxembourg au sujet des recommandations de la Commission.