Dans l’émission "10 vir 1" du 16 avril 2013, la radio RTL Lëtzebuerg a organisé une table ronde, en direct du Parlement européen à Strasbourg, avec les eurodéputés Frank Engel (CSV), Charles Goerens (DP) et Claude Turmes (Déi Gréng) pour recueillir leur avis au sujet du passage à l'échange automatique d'informations en 2015, annoncé le 10 avril 2013 par le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, lors de sa déclaration sur l’Etat de la nation. La journaliste Danièle Weber a replacé le débat dans le cadre de la pression exercée par les partenaires européens du Luxembourg et sur la mauvaise réputation dont le Grand-Duché jouirait en raison de son secteur financier.
Premier interrogé, et ce au sujet de la présence de membres du Parti populaire européen parmi les politiciens qui dénigrent le Luxembourg pour sa place financière, l’eurodéputé CSV, Frank Engel, a constaté qu’"un grand nombre de politiciens européens, également dans la famille du parti populaire européen, ne sont pas extraordinairement ouvert au secret bancaire et à la place financière luxembourgeoise". Néanmoins, il juge que cette tendance "s’est un peu tassée", notamment parce que la position luxembourgeoise s’était modifiée. "Depuis de longues années, nous étions en fait sur la voie au bout de laquelle nous sommes aujourd’hui arrivés", dit-il en effet.
Néanmoins, Frank Engel estime que le secret bancaire luxembourgeois n’est pas un problème puisqu’il "n’est pas le secret bancaire tel qu’on le pratique sur les petites îles des Caraïbes". Et si la tendance à l’amalgame est revenue, c’est "parce qu’un politicien français de haut rang a menti à son peuple, à son Président, et avait des comptes en Suisse", pense-t-il.
Selon lui, il a fallu beaucoup de temps pour pouvoir céder sur l’abolition du secret bancaire car il fallait que la place financière ait le temps de se préparer. Or, "ce qui s’est passé sur notre place financière il y a 40, 30 et 20 ans, ne se passe plus forcément encore aujourd’hui et n’est plus forcément toujours désirable", fait-il remarquer.
L’eurodéputé vert, Claude Turmes, indique d’emblée que l’évasion fiscale, à l’origine des revendications en faveur de l’échange automatique d’informations bancaires et estimée à mille milliards d’euros dans l’UE, ne peut pas continuer. "Dans une période de crise, nous avons besoin d’argent pour remettre notre économie à flots", explique-t-il. "Et nous avons besoin aussi d’argent pour financer nos systèmes sociaux, chose dont nous devons être fiers en tant que Luxembourgeois et Européens."
Pour Claude Turmes, c’est aussi une question d’équilibre entre la taxation du travail et celle du capital. La livraison d’informations à un Etat membre concernant les revenus de l’épargne d’un de ses ressortissants se justifie par la nécessité de ne pas taxer uniquement le travail mais aussi le capital. Ce procédé est semblable à celui qui voit l’employeur remettre à l’employé le récapitulatif des revenus perçus en une année et que ce dernier doit remettre ensuite à l’administration fiscale. Si seul le travail doit être imposé et qu’il doit l’être de manière démesurée, "le chômage au final augmente", poursuit Claude Turmes. La taxation du capital apporte des rentrées d’argent utiles pour investir dans l’économie.
Claude Turmes est ainsi ravi que le Luxembourg, en abandonnant son secret bancaire, se donne la possibilité de participer aux négociations sur le futur paysage fiscal. Il regrette néanmoins le timing. "Le gouvernement a bougé relativement tard pour abandonner un point qui n’est pas si important et qui nous a pendant des années apporté une réputation extrêmement mauvaise", dit-il. Or, la place financière luxembourgeoise est, selon lui, "importante pour l’Europe". Pour cause, "c’est la plus internationale de la zone euro et c’est une des plus grandes places du monde pour les fonds d’investissement."
Charles Goerens, à l’instar de Frank Engel, trouve "très grave qu’on pointe toujours le Luxembourg du doigt". "En France, quand l’un crie Cahuzac, l’autre crie Luxembourg. C’est un peu un réflexe pavlovien. Ce n’est pas un signe d’intelligence, ça vient automatiquement. C’est pourquoi il ne faut pas se laisser trop impressionner", a-t-il déclaré. Or, l’affaire Cahuzac ne justifie pas l’abandon du secret bancaire. Les moyens de coopérations entre pays existent déjà et sont d’ailleurs la preuve que le secret bancaire "est déjà mort depuis longtemps". "Le cas Cahuzac aurait pu être réglé tranquillement avec l’entraide judiciaire. Le Luxembourg aurait donné suite, si une commission rogatoire lui avait été envoyée. Le Luxembourg aurait même pu, dans le cadre de la coopération administrative sur demande, livrer des informations aux autorités françaises", pense ainsi Charles Goerens.
La comparaison entre Chypre et Luxembourg, Etats membres qui auraient pour point commun un secteur bancaire surdimensionné, ne lui plaît pas plus. Elle lui cause même des "soucis terribles" puisqu’elle repose sur "un amalgame entre une petite place financière, qui a mal fonctionné, et d’autres places financières qui ont bien fonctionné". "Dans le même souffle, on nomme Chypre, Malte et Luxembourg. Le Luxembourg a une tout autre situation. Et là on a vraiment l’impression que les mérites d’une place financière sont fixés en fonction de la superficie du pays", estime l’eurodéputé libéral avant de rappeler un principe fondamental de l’Union européenne. "Nous avons un marché intérieur européen, dans lequel le capital peut circuler librement. Le capital se déplace alors sur les places où il est le mieux géré." Or, le succès du Luxembourg comme port d’attache de ce capital expliquerait justement le traitement qu’on lui réserve. "Le Luxembourg a une réputation d’excellence, qui cherche encore son égal au-delà des frontières européennes. Et pour cela, on doit mettre un terme à des discussions telles que celle sur une 'surbancarisation', qui ne sont pas réfléchies et qui, au fond, se nourrissent uniquement d’amalgames."