La création d’un Fonds de résolution unique ("FRU") dans le cadre de l’Union bancaire aura été au cœur de deux journées de débats et de négociations à l’occasion des réunions de l’Eurogroupe, du Conseil Ecofin, et d'une réunion ministérielle extraordinaire les 17 et 18 février 2014, sans toutefois que ne soient engrangées de décisions concrètes sur les nombreux points toujours en suspens.
Au menu de l’Eurogroupe le 17 février, les ministres de la zone euro ont notamment tenu un débat relatif à l’instrument de recapitalisation directe des banques dont est doté le mécanisme européen de stabilité (MES) et dressé un état des lieux sur les programmes d'ajustement économique à Chypre et en Grèce. Les vingt-huit se sont ensuite retrouvés pour une réunion ministérielle extraordinaire destinée à faire le point sur les progrès accomplis sur la voie d'un accord intergouvernemental relatif au FRU. Enfin, le 18 février, le Conseil Ecofin a fait le point sur les négociations avec le Parlement européen sur le mécanisme de résolution unique des défaillances bancaires, en vue d'ajuster sa position pour permettre de nouveaux progrès dans les négociations.
Les ministres des Finances européens se sont retrouvés en session extraordinaire, le 17 février, pour débattre de l’accord intergouvernemental sur lequel reposera en partie le fonds de résolution unique des défaillances bancaires ("FRU" ou "SRF") dans le contexte de la mise en place d’un mécanisme unique de résolution bancaire ("MRU" ou "SRM").
En décembre 2013, le conseil Ecofin avait marqué un accord politique de principe sur ce sujet, retenant une orientation générale comprenant à la fois un projet de règlement relatif au MRU - qui fait l’objet de négociations interinstitutionnelles avec le Parlement européen - et un engagement de négocier, d'ici le 1er mars, un accord intergouvernemental sur le fonctionnement du FRU. Cette base intergouvernementale pour la création du Fonds relève d’une concession obtenue par l’Allemagne, qui en est le premier contributeur.
La question de la durée de mutualisation des compartiments nationaux du FRU a notamment été débattue par les ministres. Plusieurs Etats membres, dont le Luxembourg, se sont montrés prêts à ce qu’elle se déroule en cinq ans au lieu de dix ans, comme le défend d’ailleurs le Parlement européen et ainsi que l’a suggéré le président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi.
"Nous pensons que raccourcir cette période à cinq ans est faisable et que c’est une bonne idée car cela ajoute de la crédibilité au Fonds et c’est un signal positif pour rassurer les marchés", a déclaré le ministre luxembourgeois des Finances, Pierre Gramegna, lors des débats.
"Il faut une part mutualisée dès le début, et que cette part augmente aussi vite que possible", a convenu le ministre français des Finances, Pierre Moscovici, selon des propos rapportés par l’AFP, son homologue espagnol, Luis De Guindos, estimant que cela enverrait "un signal positif aux marchés" en renforçant la crédibilité de ce fonds. L’AFP relève cependant que l'Allemagne ne serait favorable à une telle accélération du calendrier qu’à la condition que le Fonds dispose des 55 milliards d’euros de contribution de l’industrie en cinq ans également, ce que d'autres pays jugeraient impossible pour le secteur bancaire. La présidence grecque a pour sa part estimé qu’une durée de sept ans pourrait être un compromis.
Pour mémoire, l’orientation générale dégagée par le Conseil prévoit qu’un fonds de résolution unique, alimenté par des contributions du secteur bancaire, sera mis en place à partir de 2016. Il sera initialement structuré en compartiments nationaux qui seront progressivement mutualisés, pendant une période transitoire de dix ans, pour atteindre un fonds de résolution unique, qui à l'issue de la phase de mutualisation dans le champ communautaire serait doté d'environ 55-60 milliards d'euros.
Le Parlement européen de son côté rejette catégoriquement la voie intergouvernementale qui le dépossède de ses prérogatives de contrôle de ce mécanisme, qui serait de fait hors de sa portée pendant dix ans. Dans un communiqué diffusé en amont du Conseil par la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, les eurodéputés rappellent d'ailleurs une nouvelle fois l'ensemble de leurs revendications pour la réussite des négociations.
Le 18 février, les ministres des Finances de l'UE se sont penchés au Conseil ECOFIN sur le projet de règlement communautaire instaurant le mécanisme unique de résolution bancaire (MRU) mais ont à leur tour engrangé peu de résultats concrets. Ainsi, si la présidence grecque a sondé les délégations nationales afin d'obtenir un mandat modifié de négociation avec le Parlement européen en vue d'une négociation en trilogue le 19 février, ses espoirs ont été déçus.
Alors qu’Athènes était d'avis que les positions pourraient évoluer sur plusieurs éléments, comme le mettait en évidence un document préparatoire de la présidence adressé au Conseil, le ministre grec des Finances, Yannis Stournaras, a reconnu, à l'issue de la réunion, que "la présidence grecque n'a[vait] pas officiellement de nouveau mandat" pour négocier avec le Parlement.
Les conclusions du Conseil Ecofin précisent néanmoins que "tout en ne s’écartant pas des éléments clés de l’orientation générale, les ministres ont reconnu la nécessité de donner la présidence une certaine souplesse pour explorer diverses idées afin d'identifier les options possibles qui pourraient conduire à un accord" avec le Parlement européen.
Les conclusions listent les éléments sur lesquels davantage de "souplesse" des Etats membres serait possible:
Le commissaire en charge du marché intérieur, Michel Barnier, avait d’ailleurs plaidé dans le sens du compromis, appelant le Conseil, lors de son intervention devant les ministres Ecofin, à "donner à la Présidence grecque les marges de manœuvre nécessaires" pour négocier avec le Parlement européen.
"Le Parlement est dans un état d'esprit constructif mais il a des demandes claires sur un certain nombre de points. Cette approche était partagée par la totalité des groupes il y a dix jours à Strasbourg en séance plénière, c'est un point très important", a-t-il souligné.
Le Conseil s’est de son côté dit "déterminé à parvenir à un accord acceptable pour toutes les parties dans le délai fixé par le Conseil européen, en permettant au Parlement de voter à ce sujet avant la fin de sa législature actuelle en avril".
"Je suis sûr que nous arriverons à un accord parce que c'est très important pour le secteur bancaire en Europe d'y parvenir avant les élections européennes", a notamment déclaré lors des débats le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, selon lequel les ministres devront faire preuve de compromis. Néanmoins le débat du Conseil a montré qu’une majorité d’Etats membres étaient contre une remise en cause du compromis obtenu en décembre 2013.
Le président de l’Eurogroupe a notamment estimé que "le Fonds devrait pouvoir emprunter sur les marchés" en écho à la BCE, une ligne également défendue par la France et qui a été accueillie favorablement par le Luxembourg. Pierre Gramegna a ainsi jugé que le fait de "fournir des capacités supplémentaires" au FRU donnerait "la crédibilité supplémentaire dont nous avons besoin". Une capacité d'emprunt qui ne devrait pas manquer de faire débat car elle nécessiterait, selon Jeroen Dijsselbloem, l'octroi de "garanties nationales" durant la phase transitoire de constitution du FRU.
De même, sur la question du processus de décision, plusieurs Etats membres dont le Luxembourg ont plaidé comme le Parlement européen pour une simplification et un raccourcissement du processus de prise de décision du FRU, sans qu’un nouveau mandat de négociation pour la présidence grecque n’ait pu être dégagé.
Enfin, sur le thème des contributions nationales, le ministre luxembourgeois des Finances a plaidé dont la méthode de calcul "devrait éviter les distorsions", a-t-il dit.
Du côté du Parlement européen, son président, le socialiste Martin Schulz, a laissé entendre dans les colonnes du quotidien allemand Die Welt du 18 février que le Parlement serait prêt à accepter l’accord intergouvernemental si le Conseil faisait des concessions sur d’autres points de discorde, notamment l’inscription d’une clause de "transfert" du FRU dans le droit communautaire. Une ouverture qui a fortement déplu à deux membres de l’équipe des rapporteurs, l’Allemand Sven Giegold (Verts) et la Française Sylvie Goulard (ADLE), qui ont pris position dans un communiqué commun.
Les deux eurodéputés dénoncent le fait que "Martin Schulz dispose à sa guise des droits démocratiques du Parlement européen: jusqu’à présent, le Conseil des ministres n’a toujours pas fourni d’expertise juridique à l’appui de sa revendication de signer un accord intergouvernemental dans une matière qui relève de la co-décision […]. Dans cette situation, il appartient au Président du Parlement de défendre les droits démocratiques des députés élus au suffrage universel direct, au lieu de se mêler de considérations tactiques", appuient-ils.
En outre, ils jugent que "le Conseil des ministres a proposé un mécanisme de résolution bancaire qui n’est ni efficace, ni équitable envers tous les acteurs du secteur. A ce jour, il n’a pas bougé d’un pouce bien que la Banque centrale européenne, la Commission européenne ainsi que des experts indépendants et la plupart des Etats membres soutiennent la proposition adoptée par le Parlement européen, à une majorité large, englobant tous les groupes politiques modérés".
Et de conclure qu’"il n’y a donc pas de raison, pour le Parlement, de changer sa position".
Les ministres ont par ailleurs confirmé l’accord avec le Parlement européen sur une refonte des règles sur les systèmes de garantie des dépôts (SGD). Maintenant un niveau de couverture de 100 000 euros par dépôt, le projet de directive harmonise le cadre des SGD dans l'UE et renforce la protection des déposants, en simplifiant notamment la couverture et les modalités de versement.
Le Conseil a également adopté les conclusions de l’Examen annuel de croissance de la Commission, reconnaissant que les grandes priorités définies pour 2014 sont les mêmes que celles identifiées en 2013. Les conclusions soulignent ainsi que malgré des améliorations récentes, la reprise reste fragile alors que l'héritage de la crise, le chômage élevé et la fragmentation persistante dans le secteur financier sont susceptibles de continuer à peser sur la croissance économique.
A la veille du Conseil Ecofin, le 17 février 2014, les ministres des Finances de l’Eurogroupe s’étaient retrouvés afin de se pencher sur la finalisation des modalités opérationnelles de l’instrument de recapitalisation directe des banques solvables à travers le Mécanisme européen de stabilité (MES ou ESM).
Lors de la conférence de presse à l’issue de la réunion, le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a fait état d’un certain optimisme. "Nous avons fait des progrès en vue de résoudre les dernières questions en suspens et je suis convaincu que nous parviendrons à un accord politique à temps pour notre réunion de mars", a-t-il commenté à sa sortie.
Un optimisme qui serait toutefois à relativiser selon le ministre luxembourgeois des Finances, Pierre Gramegna, qui a relevé divers points toujours en suspens à l’issue de la réunion des ministres de la zone euro, selon le quotidien luxembourgeois Tageblatt, notamment sur le fonctionnement du mécanisme de renflouement interne des banques ("bail-in").
Selon le ministre, certains États membres, dont le Luxembourg, plaident pour un recours aux règles existantes en matière d’aides d’Etat, tandis que d'autres préconiseraient une approche plus stricte. Ainsi, l'Allemagne et d'autres pays du Nord de l’UE voudraient que le recours au MES soit aussi restrictif que possible. Des différences d’interprétations persisteraient également sur la question des garanties du MES.
Les ministres des Finances de la zone euro ont également fait le point lors de la réunion du 17 février sur la Grèce et sur Chypre, deux pays qui connaissent actuellement les programmes d’ajustement économique de la 'troïka' Commission-BCE-FMI.
Concernant la Grèce, le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a salué l’intention de la troïka de retourner à Athènes dans les prochains jours. "Nous nous félicitons de l'engagement des autorités grecques à adopter des réformes dans un certain nombre de domaines clés et les invitons à travailler en étroite collaboration afin que la mission puisse être conclue avec succès", a-t-il déclaré. Lors de son arrivée à Bruxelles, le ministre néerlandais des Finances avait par ailleurs convenu que "si le programme actuel et toutes les conditions sont remplies, alors de prochains décaissements pourront avoir lieu avant mai et financeront la Grèce jusqu'en août", selon des propos rapportés par l’Agence Europe.
En mai, la Grèce fera face à une nouvelle échéance de remboursement de quelque 11 milliards d'euros. Pour se voir octroyer une prochaine tranche d'aide, les autorités grecques doivent aboutir à un accord avec la troïka pour marquer la conclusion de sa quatrième mission de suivi, débutée en septembre 2013 et interrompue à trois reprises depuis. L’excédent budgétaire primaire (hors service de la dette) dégagé par le pays en 2013 et dont les chiffres seront publiés par Eurostat en avril devrait constituer la base des discussions sur une réduction potentielle de la dette grecque.
Il n'y a "aucune raison de se précipiter sur la base des chiffres d'Eurostat. En août, nous parlerons du futur", a encore précisé Jeroen Dijsselbloem. Le Premier ministre grec, Antonis Samaras, a réitéré le 15 février dans les colonnes du quotidien grec To Vima que l'ampleur de l'excédent budgétaire serait beaucoup plus importante qu’"initialement estimé", soit au-delà de 1,5 milliard d'euros.
Concernant Chypre, Jeroen Dijsselbloem s’est félicité des principales conclusions de la troisième mission d'examen de la troïka dans le pays selon lesquelles le programme restait sur la bonne voie. "Les données macro-économiques et budgétaires pour 2013 se sont avérées meilleures que prévu. En outre, il est bon de voir que le secteur financier se stabilise à Chypre, ce qui permettra à la deuxième phase de l'assouplissement progressif des restrictions de démarrer sous peu".