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Développement et aide humanitaire
L’Aide publique au développement doit rester une priorité de l’UE selon l’eurodéputé libéral Charles Goerens qui plaide dans le même temps pour une responsabilisation de tous les acteurs, en particulier les pays "émergés"
10-02-2014


goerens-developpementAvec près de 50 milliards d’euros annuels consacrés à la politique de la coopération au développement, l’Union européenne, qui assure ainsi à elle seule plus de 50 % de l’aide mondiale est le plus grand donateur d’aide publique au développement (APD) dans le monde. La cohérence de l’ensemble des politiques de l’UE avec ses objectifs en matière de développement reste néanmoins un défi d’importance pour l’Union et ses Etats membres, alors que l’objectif central des Objectifs du millénaire (OMD), soit la réduction de la pauvreté dans le monde de 50 % entre 2000 et 2015, ne sera pas atteint et que la fragilité économique de l’Europe pousse des voix toujours plus nombreuses à questionner le principe même de l’APD.

Membre de la commission Développement du Parlement européen, Charles Goerens (ALDE) fut le rapporteur en 2012 du projet portant sur l'avenir de la politique de développement de l'UE (le Programme pour le changement). Invité par le Bureau d’information du Parlement européen au Luxembourg, le 10 février 2014, à une conférence publique sur le sujet, l’eurodéputé libéral a dressé le portrait d’un domaine qui met la lutte contre la pauvreté au centre des préoccupations.

Celui qui fut aussi ministre pour la coopération au développement entre 1999 et 2004 a tout d’abord rappelé que le Programme pour le changement présenté par la Commission européenne en 2011 s’inspirait du socle doctrinal de l’UE. Ainsi il repose sur le "Consensus européen de développement", négocié entre les trois piliers institutionnels de l'Union ainsi que sur le traité de Lisbonne qui insiste sur la nécessité d’une meilleure coordination entre les 28 États membres et la Commission.

Responsabilisation et émancipation

L’un des principes centraux du futur agenda européen est la différenciation de l’aide: les fonds pour lutter contre la pauvreté devront être concentrés vers les  pays qui n’ont pas de ressources propres pour la combattre, ce qui ne serait plus le cas de certains pays dits émergents "qui en réalité ont déjà émergé". "Plus question notamment d’aider la Chine ou le Brésil au titre de l’APD puisqu’ils dégagent suffisamment de moyens pour arriver à une redistribution des richesses susceptible d’éradiquer la pauvreté à l’intérieur de leurs frontières", a-t-il expliqué.

Notant que la majorité des pauvres se trouvent dans les pays émergents, Charles Goerens considère donc que la responsabilisation de l’ensemble des acteurs est primordiale. "Les OMD ne seront malheureusement pas atteints en 2015 mais il y a des progrès. Il faut continuer de tendre vers ces objectifs mais on ne peut pas espérer le faire en augmentant encore le niveau de l’APD", poursuit l’eurodéputé qui souligne qu’alors que l’écart entre pays riches et pauvres a eu tendance à se réduire, les inégalités internes ont en revanche explosé.

"C’est un phénomène qui interpelle à la fois la solidarité internationale et surtout la solidarité nationale. Lors des prochaines conférences traitant des OMD, il faudra demander à chacun comment il entendra assumer ses responsabilités. Si d’autres assument leurs responsabilités, tant mieux, sinon ce n’est pas une raison pour nous de baisser la garde. Nous devons tenir le cap et rester exemplaires de ce point de vue pour le reste du monde".

Le député libéral a par ailleurs salué le principe que l’APD européenne ne soit pas liée à la recherche d’un retour sur investissement dans le pays bénéficiaire, contrairement à la politique menée par d’autres acteurs, notamment la Chine en Afrique. "Je suis heureux que l’UE n’appartienne plus à ce club de boulangers qui roule les autres dans la farine", a-t-il appuyé. "Mais les Chinois sont nos concurrents en Afrique, donc nous avons le besoin incontesté de travailler à l’émancipation de ces pays. Ce n’est pas nous qui développons, ce sont eux qui se développent".

L’APD est d’ailleurs devenue un sujet sensible en temps de crise. Dans les pays européens, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer le principe même de l’APD, regrette Charles Goerens, qui souligne que l’année européenne pour le développement, qui se déroulera en 2015, sera donc une année consacrée à la sensibilisation. "Donnons aux acteurs sur le terrain, notamment associatifs, les moyens de réaliser les objectifs. On ne va pas s’excuser d’offrir cette aide, nous le faisons parce que le développement est une fin en soi", ajoute l’eurodéputé. Le libéral a d’ailleurs proposé que l’année européenne soit intitulée "dignité pour tous", espérant susciter un "déclic" en vue d’une réflexion sur la finalité du développement.

Cohérence des politiques

Le député européen n’a par ailleurs pas manqué de souligner une certaine hypocrisie qu’il juge "inacceptable" des Etats membres en la matière. Lors de la négociation du cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020 de l’UE, ceux-ci ont refusé un budget supérieur à celui du précédent CFP tout en promettant d'essayer de faire un effort supplémentaire pour atteindre l’objectif selon lequel les Etats membres doivent allouer en moyenne 0,7 % de leur PIB à l’APD d’ici 2015. Un objectif que le Luxembourg, notamment, remplit.

Charles Goerens invite même certains pays "présentant des résultats économiques considérables et qui traînent des pieds sur leur effort en matière d’APD, tels l’Allemagne, à prendre exemple sur le Royaume-Uni, qui a coupé dans l’ensemble des postes budgétaires hormis celui du développement". Pour le député, il s’agit donc de durcir le ton sur les OMD, et notamment de recourir au principe du "naming and shaming". "Certains pays en grandes difficultés maintiennent le niveau de leur APD tandis que d’autres ne font rien".

Le député européen appelle enfin à une meilleure cohérence des politiques, principe gravé dans le traité de Lisbonne. Face aux intérêts contraires qui peuvent se faire jour au sein de l’UE ou d’un gouvernement (par exemple entre un ministre de l’Economie et un ministre du Développement) et donc aux incohérences des politiques qui peuvent en résulter, il plaide pour la mise en place d’arbitrages au plus haut niveau : la présidence de la Commission pour l’UE, le ministère d’Etat dans les Etats membres.

L’ancien ambassadeur du Luxembourg auprès des Nations Unies, Jean Feyder, présent dans le public, a néanmoins interpellé le député sur l’absence de cohérence entre politique de développement et politique agricole ou industrielle de l’UE. Notant que parmi les personnes les plus pauvres se trouvaient en particulier les petits paysans, celui qui est membre du conseil d’administration de l’ONG Action Solidarité Tiers Monde a rappelé que l’UE protégeait de manière très forte ses produits agricoles via ses tarifs douaniers. Cela tandis que, dans le même temps,  l’UE "avait totalement déshabillé" les agricultures des pays du Sud des instruments qui auraient pu les protéger et que les accords de partenariat économique (APE) qu’elle négociait avec ces pays étaient "un nouveau pas vers la libéralisation".

Selon Charles Goerens, "la libéralisation du commerce n’est pas une fin en soi". "D’un autre côté, s’il faut ouvrir l’économie d’un pays sur l’économie globale, cela n’a en soi rien de répréhensible. Mais il faut le faire de manière à donner au pays les moyens de résister à la concurrence brutale à laquelle l’exposera la globalisation".

Tout en reconnaissant l’incohérence entre les objectifs de développement et les politiques "qui contribuent à priver une partie du potentiel pour développer une agriculture vivrière", celui-ci appelle à trancher. Mais de souligner que les deux acteurs y avaient de toute façon été obligés par le droit international dans lequel la tendance pour le libre échange du commerce est codifiée et inscrite dans les traités.