Le 17 février 2014, les organisateurs de l’Initiative citoyenne européenne (ICE) baptisée Right2Water ("L’eau est un droit humain" en français), la première du genre à avoir atteint les conditions fixées par le traité de Lisbonne pour être prise en compte, ont remis symboliquement au vice-président de la Commission européenne, Maroš Šefčovič, les 1 680 172 signatures valides qu’ils ont collectées. Cette ICE a dépassé à la fois le seuil d’un million de signatures dans l’UE et les seuils nationaux dans treize Etats membres, dont le Luxembourg, alors que la législation requiert qu’ils aient été atteints dans au moins sept pays. Comme l’a rappelé l’Agence Europe, cette ICE a notamment bénéficié des débats, survenus en pleine campagne de signatures, sur la proposition de directive Concessions, qui a poussé le commissaire européen en charge du marché intérieur, Michel Barnier, à exclure formellement, en juin 2013, l’approvisionnement en eau de sa proposition de directive sur les concessions.
L’initiative a fait l’objet le même jour d’une audition de ses promoteurs organisée par la commission Environnement, en coopération avec les commissions Développement, Marché Intérieur et Pétitions, en présence des eurodéputés de ces commissions et de Maroš Šefčovič. Y furent présentées et discutées les trois revendications de l’ICE, à savoir : la garantie d’un droit humain à l’eau et à l’assainissement dans toute l’UE, la garantie légale que les services de gestion et d’approvisionnement en eau resteront des services publics dans toute l’UE, en excluant l’eau potable des règles du marché intérieur et de toute tentative de libéralisation, ainsi que l’engagement de l’UE dans le monde en faveur d’un droit universel à l’eau et à l’assainissement.
La présidente du comité de citoyens Right2Water, Anne-Marie Perret, également présidente de la Fédération syndicale européenne des services publics (FSESP), a notamment souligné la dimension sociale de ces revendications. "Il est important que les citoyens soient en mesure de payer des tarifs raisonnables, en relation avec leurs besoins, et non de payer les tarifs des actionnaires des compagnies de distribution", qui aujourd’hui, "n’hésitent plus à couper l’eau des familles en difficulté", a-t-elle dit, selon le communiqué de presse diffusé par le Parlement européen. "Nous aimerions répéter ici que l’approvisionnement en eau et l’assainissement sont des services publics essentiels pour tous."
Les eurodéputés ont dans leur ensemble partagé l’idée que l’accès à l’eau est un droit humain de base, ainsi que le souligne le Parlement européen dans son communiqué. D’ailleurs, dans une résolution du 3 juillet 2012 sur la mise en œuvre de la législation européenne sur l’eau, le Parlement avait déjà reconnu que "l'eau est un bien commun de l'humanité, un bien public, et que l'accès à l'eau devrait être un droit fondamental et universel". Mais cette déclaration ne suffirait pas, comme l’estime le président de la commission Environnement, l’eurodéputé socialiste Matthias Groote (S&D), qui a affirmé que le Parlement européen doit "faire mieux pour favoriser la participation de tous les acteurs de notre société et assurer que la protection des ressources en eau, et en eau potable en particulier, est prise en compte dans l’ensemble de nos politiques".
Lors des débats, néanmoins, certains eurodéputés comme le PPE, Richard Seeber, ont estimé que « l’eau devrait être accessible à tous” mais que l’initiative devait en être laissée aux Etats membres.
D’autres ont voulu attirer attention sur d’autres types d’initiatives politiques qu’il y aurait lieu de surveiller. Ainsi, Evelyne Gebhardt (S&D) partage l’idée que l’eau ne devrait pas être régie par les règles du marché et exprime la crainte que les négociations en cours d’accords de libre-échange avec des pays tiers puissent mener à "la libéralisation par une porte dérobée".
Nikolaos Chountis (GUE/NGL) a pour sa part souligné que des recommandations de la troïka en Grèce vont dans le sens dénoncé par l’ICE Right2Water et des citoyens sur le terrain. Il a tout particulièrement mentionné l’opposition aux tentatives de privatisation de l’approvisionnement en eau à Athènes et Thessalonique.
L’eurodéputée PPE Michèle Striffler, de la Commission du développement, a constaté qu’"il reste un très long chemin à parcourir avant que l’on jouisse universellement du droit universel à l’eau et l’assainissement". Pour autant, la promotion de ce droit est juste à plus d’un titre dans les pays tiers. "Assurer un accès durable à l’eau potable sûre et à une installation sanitaire basique pour tous, est, parmi d’autres éléments, une bonne politique de prévention des conflits", a-t-elle souligné.
Le but des promoteurs de Right2Water n’était pas seulement de se faire entendre mais aussi que cette initiative "soit inscrite à l’agenda de la Commission européenne"ainsi que l’a souligné Anne-Marie Pierret aux eurodéputés. Le vice-président du comité de citoyens de l’ICE, Jan Willem Goudriaan , a réclamé "un engagement législatif clair que les services d’eau ne seront pas libéralisés dans l’UE". "Nous aurons une raison de fêter quand la Commission européenne aura agi et montré que l’ICE n’est pas quelque chose dont on peut simplement se débarrasser", a-t-il mis en garde.
"Aujourd’hui, nous sommes passés en mode écoute", a souligné l’eurodéputé vert Gerald Häfner, de la Commission des Pétitions. "La question qui se pose désormais est de définir comment nous pouvons mieux légiférer sur ce problème crucial." "Ecouter, c’est bien, prendre en compte c’est mieux", a déclaré Corinne Lepage (ADLE), en constatant que "nous vivons l’an Un de la démocratie citoyenne en Europe". "Les trois instituions devront passer à l'action. Il s'agira de trouver des règles concrètes. Le Conseil n'est pas présent mais devra écouter ce qui s'est dit"a souligné Matthias Groote (S&D), lors de la conférence de presse, selon des propos rapportés par l’Agence Europe.
Pour le moment, la Commission européenne a, par la voix de son vice-président, Maroš Šefčovič, salué le succès de l’ICE Right2Water et de l’instrument institutionnel qu’est l’ICE. "Les citoyens ont délivré une preuve très claire que cet instrument de démocratie participative fonctionne, qu’ils aimeraient avoir directement leur mot à dire et communiquer avec les institutions de l’UE sur la manière dont l’agenda doit être façonnée", a-t-il dit, lit-on dans le communiqué de presse du Parlement européen.
La Commission européenne doit désormais décider si elle va proposer des mesures et, si oui, lesquelles. Elle est tenue de fournir une réponse dans les trois mois suivant la remise de l’initiative. "Nous espérons que le débat débouchera sur des propositions concrètes. Nous serons à la hauteur de nos engagements légaux", a assuré Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne, en confiant que la Commission donnera sa réponse, sous la forme d’une communication, aux alentours du 20 mars 2014.