Le 25 février 2014, alors que la Commission européenne présentait ses prévisions d'hiver, le Parlement européen a débattu pendant trois heures du Semestre Européen 2014 et ont adopté trois rapports au sujet de ce mécanisme de gouvernance économique.
Durant le débat auxquels assistaient les commissaires européennes en charge des affaires économiques et financières Olli Rehn, les groupes politiques se sont divisés sur le bilan des politiques d’austérité et leur efficacité en termes de création d’emplois, ainsi que sur les conséquences sociales de ces politiques et la suffisance de leur prise en compte dans le processus de gouvernance.
L’eurodéputé Hannes Swoboda, a, au nom du groupe S&D, dénoncé les conséquences des réformes structurelles sur les dépenses d’éducation, en baisse de 20 % dans 20 États membres. "La croissance est de retour, oui, mais aussi la dette, le chômage, les inégalités, les maladies infantiles", a pour sa part critiqué Philippe Lamberts (Verts/ALE), selon des propos rapportés par l’Agence Europe. Ce dernier a aussi dénoncé l'accent mis sur la réduction des dépenses publiques et des coûts du travail dans le cadre du 'Semestre européen'.
Les eurodéputés membres du PPE ont plutôt souligné, malgré les souffrances, la nécessité de poursuivre les efforts.
Les libéraux se sont notamment distingués en soulignant le manque de contrôle démocratique du Parlement européen sur les décisions économiques en Europe tout en demandant, eux aussi, que la priorité soit porté sur la poursuite des efforts budgétaires. "Nous devons poursuivre nos programmes de réformes afin de stimuler une reprise encore trop fragile. Nous ne devons pas céder à la tentation de construire un paradis social sur un cimetière économique", a d’ailleurs déclaré l’eurodéputé libéral Philippe De Backer dans un communiqué de presse de son groupe politique (l'ADLE).
Philippe De Backer est l’auteur d’un des trois rapports adoptés par le Parlement européen le 25 février 2014. Par 545 voix pour, 120 contre et dix abstentions, les eurodéputés ont adopté son rapport sur l’examen annuel de la croissance de l’eurodéputé libéral, présenté au nom des commissions Budgets et "Affaires économiques et monétaires".
Prenant acte du lent retour à la croissance du PIB réel et l’impossibilité d’atteindre la plupart des objectifs de la stratégie "Europe 2020", signifiés par la Commission européenne lors de son Examen actuel de la croissance en novembre 2013, les eurodéputés y préconisent "d'engager ou de poursuivre un processus de réforme structurelle durable et approfondi pour garantir une stabilité à moyen et à long termes". Le rapport suggère d’ailleurs des réformes telles que la réduction des impôts et des cotisations de sécurité sociale, notamment pour les revenus faibles et moyens, le déplacement de la charge fiscale pesant sur le travail vers la consommation et les activités néfastes pour l'environnement. Les eurodéputés soulignent la nécessité d’investir encore davantage dans la recherche, l'innovation et le développement, l'éducation et les compétences, ainsi que dans l'utilisation efficace des ressources, aux niveaux tant national qu'européen. Le rapport souligne aussi la nécessité de proposer davantage de solutions de remplacement au financement bancaire des PME.
Les eurodéputés suggèrent l’adoption d’un acte législatif instituant des "orientations en matière de convergence", en fixant un nombre très limité d'objectifs pour les mesures de réforme les plus urgentes, qui seraient repris dans les programmes nationaux de réforme. Ils proposent que les Etats membres puissent nouer un "partenariat pour la convergence" avec les institutions de l'Union qui leur offrirait la possibilité d'un financement conditionnel pour conduire les réformes.
Le rapport met aussi l’accent sur le renforcement du contrôle démocratique du Parlement européen qui devrait être associé à toutes les étapes de la procédure du semestre européen (élaboration et approbation de l'examen annuel de la croissance, des orientations de politique économique et des lignes directrices pour l'emploi) afin d'accroître la légitimité démocratique des décisions prises.
Enfin, le rapport comporte un volet sur le budget de l’Union. Les eurodéputés regrettent que "les États membres persistent à considérer que leur contribution au budget de l'Union est une variable d'ajustement de leurs efforts d'assainissement", donnant lieu à "une réduction artificielle du volume de paiements disponible dans le budget de l'Union". Ils considèrent que la situation budgétaire des États membres peut s'améliorer grâce "à la mise en place d'un nouveau système de ressources propres" pour le financement du budget de l'Union qui entraînerait la réduction des contributions RNB. Ils se réjouissent en conséquence de la création du nouveau groupe de haut niveau sur les ressources propres, à la tête duquel figure Mario Monti, comme l’a indiqué un communiqué de presse du Parlement européen diffusé le même jour.
Le Parlement européen a aussi adopté, par 607 voix pour, 64 contre et 9 abstentions, le rapport sur la gouvernance du marché unique dans le cadre du semestre européen 2014 de Sergio Gaetano Cofferati (S&D), présenté au nom de la commission Marché Intérieur et qui formule une réponse au premier rapport sur l'état de l'intégration du marché unique présenté par la Commission européenne dans le cadre de l'examen de croissance 2013 en novembre 2012.
Le rapport invite la Commission à faire de la gouvernance du marché unique un pilier spécifique du semestre européen, "en vue de couvrir un ensemble bien délimité de priorités liées à l'économie réelle". Cela nécessiterait en plus du rapport annuel sur l'intégration du marché unique accompagnant l'examen annuel de la croissance, que le tableau d'affichage du marché intérieur contienne des estimations quantitatives, comme c’est le cas actuellement, mais également des estimations qualitatives des mesures adoptées, Cela requerrait également des lignes directrices établies par le Conseil européen à l'intention des États membres, ainsi que des plans d'action nationaux visant à mettre en œuvre les orientations relatives au marché unique et des recommandations propres à chaque pays.
Les prochaines recommandations par pays du cycle 2014 du semestre européen devraient refléter "de façon plus marquée et plus stricte" les conclusions du rapport sur l'intégration du marché unique, estiment encore les eurodéputés qui enjoignent par ailleurs la Commission européenne à développer une véritable politique industrielle européenne, "qui devrait comprendre l'application des règles du marché unique, une stratégie globale applicable à la dimension externe du marché unique, et en particulier une politique systématique de protection des consommateurs et un meilleur accès au capital et aux infrastructures".
Le troisième rapport adopté, par 514 voix pour, 118 contre et 49 abstentions, est celui de l’eurodéputé socialiste, Sergio Gutiérrez Prieto, au nom de la commission de l'emploi et des affaires sociales. Ce rapport souligne que la nécessité de renforcer la dimension sociale de l'union économique et monétaire, pour atteindre la viabilité de l'économie et l'équilibre macroéconomique.
Les parlementaires y appellent les États membres à augmenter les investissements et à présenter des plans en faveur de l'emploi, en particulier l'emploi des jeunes, dans leurs programmes nationaux de réforme, alors que le chômage dans l'Union a atteint le "seuil alarmant" de 26,6 millions de personnes, que le taux de chômage des jeunes atteint la moyenne de 23 % dans l'UE et que 24,2 % de la population de l'Union est actuellement menacée de pauvreté ou d'exclusion sociale. Ils estiment d’ailleurs que le rapport conjoint sur l’emploi, qui analyse les évolutions sur le marché du travail et dans le domaine social ainsi que les mesures prises par les États membres pour y répondre, y compris le tableau d’affichage, devrait être voté au Conseil EPSCO.
Les eurodéputés regrettent, au sujet du chômage, qu’un grand nombre d'États membres n'aient pas présenté de plans nationaux pour l'emploi en général et l'emploi des jeunes dans leurs programmes nationaux de réforme pour 2013, comme l’a demandé itérativement le Parlement européen. Ils réclament l’augmentation du budget de la Garantie Jeunesse aux 21 milliards d'euros estimés nécessaires par les calculs de l'Organisation internationale du travail (OIT), pour mettre sur pied un programme efficace de lutte contre le chômage des jeunes, rien que dans la zone euro.
Les parlementaires demandent à la Commission et aux États membres d'évaluer la situation à la lumière des déséquilibres croissants en matière d'emploi et d'affaires sociales, par l’ajout d’indicateurs sociaux et de l'emploi supplémentaires dans le tableau de bord, dont le niveau de pauvreté des enfants, l'accès aux soins de santé, le sans-abrisme et le travail décent.
Ils souhaitent que la Commission européenne mette en place un plan afin d'aider les États membres à réaliser les investissements productifs nécessaires, notamment dans les domaines de l'éducation et de la recherche et du développement, compte tenu du potentiel de ces secteurs en matière de croissance et d'emplois.
Les députés réclament des mesures pour lutter contre les inégalités et garantir des salaires décents et invitent à lutter contre le phénomène des travailleurs pauvres, notamment en œuvrant à la diminution de la pression exercée sur les salaires dans le cadre de programmes de salaire minimal.
S’appuyant sur les remarques du FMI selon lequel il est possible de taxer mieux et de manière plus progressive, les députés soulignent de déplacer la charge fiscale du travail vers d'autres formes de fiscalité durable.
Ils souhaitent également que la Commission européenne adresse des recommandations, notamment à l'intention des États membres qui comptent le plus d'enfants âgés de moins de 18 ans exposés au risque de pauvreté ou d'exclusion sociale. Ils suggèrent des réformes visant à garantir la viabilité des systèmes de retraite, l’adaptation et le renforcement de l'efficacité des systèmes de protection sociale, "afin de s'assurer que ces systèmes continuent de faire office d'amortisseurs contre la pauvreté et l'exclusion sociale".
A l’issue des débats, en réponse à une remarque du président de la Commission européenne, l’eurodéputé socialiste Gutierrez Prieto a souligné que sa position consistait à "défendre non pas le déficit mais un autre rythme de consolidation budgétaire". "Quatre ans après, rien n’a permis de stabiliser l’économie et on n’a fait qu’aggraver les inégalités sociales", a-t-il déclaré dans l’hémicycle.