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Emploi et politique sociale - Justice, liberté, sécurité et immigration
Détachement intragroupe – Le Parlement européen, divisé, a donné son feu vert à un texte que la CSL juge "inacceptable"
15-04-2014


Le 7 avril 2014, la CSL a publié une prise de position portant sur le projet de directive "travailleurs détachés intragroupe".

Dans ce dossier sur lequel Europaforum.lu avait fait un récapitulatif en février 2014, au moment où les syndicats s’inquiétaient des négociations qui étaient en cours en trilogue, la Commission européenne avait mis une proposition sur la table en juillet 2010.

Entre temps, un accord provisoire a été trouvé entre Parlement européen et Conseil, ainsi que le stipule la fiche de procédure sur le site du Parlement européen. Les eurodéputés de la commission  des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) l’ont d’ailleurs validé en adoptant le rapport de Salvatore Iacolino (PPE) le 12 mars 2014.

L’objectif : simplifier le transfert de main-d’œuvre qualifiée à destination de l’UE au sein d’une entreprise transnationale

Comme le rappelle la CSL, ce texte a pour objectif de "simplifier et faciliter le transfert à l'intérieur d'une entreprise transnationale d'une main-d'œuvre qualifiée à destination de l'Union européenne" en visant les ressortissants de pays tiers qui ont un statut de cadre, expert ou stagiaire diplômé dans l’entreprise d’origine et qui doivent avoir, si l’Etat membre d’accueil l’exige, un contrat de travail avec l’entreprise détachante depuis au moins un an avant le transfert. La durée de leur séjour sera au maximum de trois ans pour ce qui est des cadres et experts et d’un an en ce qui concerne les stagiaires diplômés.

Le ressortissant du pays tiers qui se verra accorder le permis pour personne faisant l'objet d'un détachement intragroupe disposera des droits suivants durant son séjour :

  • Le droit d’entrée, de séjour et de libre accès sur tout le territoire de l’Etat membre d’accueil ayant donné le permis
  • Le droit d’exercer l’activité professionnelle spécifique autorisée par le permis
  • Le droit d’exercer sa mission sur les sites de clients des entités du groupe
  • Le droit au regroupement familial
  • Le droit de bénéficier des conditions de travail du pays d’accueil applicables aux travailleurs étant dans une situation analogue et prévus par les lois, les règlements ou les conventions collectives d’application générale

Ces travailleurs ont aussi droit à l’égalité de traitement par rapport aux travailleurs de l’Etat membre d’accueil quant :

  • à la liberté d’association, d’affiliation et d’engagement dans une organisation de travailleurs ou d’employeurs ou toute organisation professionnelle
  • à la reconnaissance des diplômes, certificats et autres titres professionnels, conformément aux procédures nationales de l’Etat membre d’accueil
  • aux dispositions nationales de la sécurité sociale
  • au paiement des droits acquis en matière de pension
  • à l’accès aux biens et aux services et obtention des biens et des services offerts au public, hormis l'accès au logement et les services de conseil proposés par les services d'aide à l’emploi.

Pour la CSL, "accorder pendant trois ans les seuls droits sociaux issus de la directive détachement est inacceptable"

Pour la CSL, cette proposition est "inacceptable" puisqu’elle "permet aux grands groupes internationaux de faire travailler leurs salariés les plus qualifiés pendant trois ans sur le territoire d’un autre Etat tout en maintenant les conditions de travail d’origine du salarié".

La CSL relève que seul un certain nombre de règles de droit du travail de l’Etat membre d’accueil devra être respecté, le salarié détaché intragroupe bénéficiant des mêmes droits que les salariés détachés endéans l’Union européenne sur base de la directive détachement 96/71.

"Le salarié, cadre ou expert, donc une personne à grandes qualifications et capacités professionnelles, peut ainsi intégrer pendant trois ans un autre marché du travail, au sein de l’Union européenne, et pendant tout ce temps quasiment rien ne change en termes de coût pour son employeur", commente la CSL qui déplore que, dans beaucoup de cas, cette proposition de directive profitera surtout aux grands groupes internationaux en leur fournissant un avantage de compétitivité supplémentaire comparé à leurs concurrents européens.

Pour la CSL, "accorder pendant trois ans les seuls droits sociaux issus de la directive détachement est inacceptable". Non seulement la directive détachement est insuffisante en termes de protection des salariés détachés, mais les salariés détachés intragroupe dépasseront de loin la durée d’un détachement, observe la CSL qui estime que leur situation n’est donc pas comparable à celle des travailleurs détachés.

Pour la CSL, "les salariés visés par la proposition de directive doivent tomber sous le droit du travail du pays d’accueil au cours du détachement intragroupe, sauf en ce qui concerne les dispositions plus favorables de leur droit national". "L’égalité de traitement doit être assurée face à un travailleur local effectuant le même travail ou un travail similaire, cela eu égard à la durée potentiellement longue du détachement intragroupe", estime encore la CSL.

La Chambre appelle par ailleurs à exclure les stagiaires du champ d’application. "Il sera facile d’abuser de cette notion de stagiaire, notion dont la définition laisse à désirer, et d’envoyer n’importe quelle personne qui dispose d’un diplôme d’enseignement supérieur pour un an dans un pays de l’Union européenne sur base d’un détachement intragroupe sans devoir la considérer comme un salarié", craint la CSL qui voit là "la porte ouverte à la concurrence déloyale".

Enfin, la CSL regrette l’absence de mesures de contrôle et de sanction, ce qui, craint-elle, mènera forcément à des abus.

Un accord finalement adopté par un Parlement européen divisé

Le rapport de Salvatore Iacolino a été soumis au vote du Parlement européen réuni en plénière le 15 avril 2014, et il a été adopté par 360 voix pour, 278 contre et 38 abstentions. C’est avec les voix des eurodéputés du PPE et de l’ALDE notamment que ce texte a pu obtenir le feu vert du Parlement européen réuni en plénière. Les parlementaires des groupes S&D et Verts s’y sont eux opposés.

Les socialistes et démocrates s’en sont expliqués par voie de communiqué. Ils ont rejeté un texte qui va permettre le détachement intragroupe sans assurer au personnel détaché dans l’UE l’égalité de traitement avec les travailleurs locaux.

"Le permis intragroupe aura une validité maximum de trois ans pour les managers et spécialistes et d'un an pour les stagiaires", explique le S&D dont les parlementaires déplorent le rejet, par les eurodéputés libéraux et conservateurs, d’un amendement qui visait à garantir l'égalité de traitement entre travailleurs détachés et leurs collègues locaux travaillant dans les mêmes bureaux. Pour les Socialistes & Démocrates européens, lorsqu’au sein de l’UE deux travailleurs partagent un bureau, ils doivent aussi partager les mêmes droits. "L’UE ne peut pas permettre la création d’un marché du travail à deux vitesses, ni l'inégalité de traitement des employés en fonction de leur pays d'origine", plaident le S&D.

Or, comme l’a formulé l’eurodéputée Liisa Jaakonsaari (S&D), qui a suivi le dossier au sein de la commission Emploi et affaires sociales, "les lois doivent protéger les travailleurs, non créer des lacunes permettant de les violer".