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Emploi et politique sociale - Justice, liberté, sécurité et immigration
Les syndicats européens s’inquiètent des négociations en trilogue en cours sur le projet de directive "Détachement intragroupe"
11-02-2014


Le logo de la Confédération européenne des syndicats (CES / ETUC)Le 7 février 2014, l’OGBL a diffusé un communiqué de la Confédération européenne des syndicats (CES) dans lequel cette dernière dit s’opposer à la Directive sur le détachement intragroupe.

Pour la CES, qui précise son approche, "le détachement de travailleurs de pays tiers est inacceptable s’il n’est pas assorti de garanties leur assurant la pleine égalité de traitement".

Dans son communiqué, la CES affirme que "le Conseil fait pression sur le Parlement européen pour qu’il accepte une directive sur les détachements intragroupes sans dispositions garantissant la pleine égalité de traitement en faveur des ressortissants de pays tiers travaillant dans un État membre".

Et de continuer : "Cela signifierait que les travailleurs employés dans un État membre seraient soumis aux conditions de travail et de protection définies par la législation de leur pays d’origine !" Dans ce cas, prévient la CES, "le marché du travail européen deviendrait une jungle".

La CES précise sa revendication et pose une question : "L’UE doit garantir un traitement juste aux ressortissants de pays tiers employés dans l’UE. Ce principe a été confirmé par la Directive sur les travailleurs saisonniers (adoptée par le Parlement européen le 5 février 2014, ndlr), mais le Conseil veut faire une entorse à celui-ci, exposant ainsi les ressortissants de pays tiers à plus d’insécurité et au risque de se faire exploiter. Mais au profit de qui ?"

Qu’en est-il de ce détachement intra-groupe ? Pourquoi cette inquiétude de la part des syndicats ?

La proposition de la Commission européenne de juillet 2010

Commission européenneLe 15 juillet 2010, la Commission européenne avait proposé une nouvelle directive visant à simplifier, pour les sociétés multinationales, le transfert temporaire de travailleurs qualifiés, ressortissants de pays tiers, d'une société ayant son siège en dehors de l'Union vers des succursales ou filiales établies dans les États membres de l'Union.

La Commission européenne avait estimé en 2010 à 16 500 le nombre annuel total de détachements intragroupes au sein de l'UE, ce qui représentait à ce moment-là, selon elle, 4 % des travailleurs migrants temporaires.

La Commission avait souligné que les salariés transférés au sein d'une même société constituaient une catégorie de travailleurs extrêmement importante pour l'économie européenne, mais avait relevé que de nombreux obstacles à ces migrations temporaires subsistaient également. Elle citait le fait que les sociétés établies hors de l'UE se heurtaient à une multitude de règles et procédures différentes lorsqu'elles souhaitaient envoyer leur personnel spécialisé dans leurs filiales situées dans les différents États membres de l'Union, mais aussi le fait que les procédures d'obtention de permis de travail dans certains pays de l'Union étaient jugées lentes et complexes.

La Commission avait alors proposé d'élaborer un corpus commun de règles instaurant une nouvelle procédure accélérée d'entrée sur le territoire de l'UE (délai de 30 jours, permis combiné de travail et de séjour) dont bénéficierait un groupe ciblé de travailleurs hautement qualifiés ("cadres", "spécialistes" et "stagiaires diplômés de l'enseignement supérieur") issus de pays tiers. Mais sa proposition visait également à définir des conditions de séjour plus attrayantes en faveur de ces travailleurs et de leurs familles, et à mettre en place un système plus simple pour les salariés transférés, ressortissants d'États tiers, afin d'accroître leur mobilité au sein de l'UE. Et puis elle ajoutait au conditionnel : "Ces mesures seraient complétées par un statut juridique clair prévoyant des conditions de travail identiques à celles des salariés détachés par une société ayant son siège sur le territoire de l'Union."

C’est ici que semble se cacher la pomme de discorde.

Au Conseil, le projet a été deux fois à l’ordre du jour en octobre et décembre 2010

ConseilLe texte de la Commission a été discuté le 7 octobre 2010, au Conseil JAI, et le 6 décembre 2010, au Conseil EPSCO.

Au Conseil JAI du 7 octobre 2010, le seul où il y a eu un véritable débat, plusieurs ministres ont, selon un résumé publié par le Parlement européen, rappelé le droit des États membres à fixer le nombre de ressortissants de pays tiers autorisés à séjourner sur leur territoire. À cet égard, ils ont souligné qu'il convenait de prendre en compte l'impact sur les marchés nationaux du travail.

Plusieurs ministres ont également insisté sur la nécessité de prévoir une plus grande flexibilité, par exemple en ce qui concerne la durée de séjour proposée ou les délais dans lesquels une décision doit être signifiée aux demandeurs.

Un autre point soulevé par plusieurs ministres a porté sur la question de savoir si les droits accordés aux ressortissants de pays tiers devaient être équivalents à ceux des ressortissants de l'État membre d'accueil, en particulier pour ce qui est des prestations de sécurité sociale.

La Commission a souligné que la proposition avait pour objectif principal de faire en sorte que, lorsque les États membres décident qu'ils ont besoin d'immigrants légaux, ceux qui sont autorisés à séjourner sur l'ensemble du territoire de l'UE bénéficient de l'égalité de traitement. En ce qui concerne la proposition relative au détachement intragroupe, des conditions favorables sont nécessaires pour atteindre le but principal poursuivi: attirer le personnel qualifié dont le marché du travail européen a besoin.

Le Conseil EPSCO, par contre, a seulement été informé sur le dossier par la présidence belge.

Il a néanmoins été insisté sur le fait que la proposition législative sur le détachement intragroupe faisait partie du paquet sur l'immigration légale, tout comme la directive sur les travailleurs saisonniers, votée le 5 février 2014 au Parlement européen après un accord avec le Conseil. Ces propositions complètent la directive européenne sur la carte bleue (adoptée par le Conseil en mai 2009 et transposée par la Chambre des Députés en novembre 2011) et la directive sur le permis unique (conclue par le Parlement et le Conseil, et adoptée par le Parlement en décembre 2011).

Dans son avis de mai 2011 sur le détachement intragroupe des ressortissants de pays tiers, le CESE demande une égalité de traitement avec les travailleurs du pays hôte en matière de salaires et de conditions de travail en général

Comité économique et social européenLe 4 mai 2011, le Comité économique et social européen (CESE) a en tout cas approuvé un rapport sur le projet de directive "Détachement intragroupe" dans lequel il « émet (…) de sérieuses réserves en ce qui concerne certains aspects du contenu de la proposition de directive, ainsi que l'approche adoptée par la Commission européenne vis-à-vis des partenaires sociaux européens en amont de la proposition à l'étude ».

Le CESE aurait préféré que la directive eût seulement porté sur les cadres supérieurs, mais étant donné que la directive s’applique également aux experts et stagiaires diplômés,  il estime qu’il « est d'autant plus important de faire respecter, pour tous les travailleurs concernés par la directive, le principe d'égalité de traitement et de non-discrimination en ce qui concerne les salaires et les conditions de travail, et d'exclure toute application abusive de la directive ». La conséquence tirée par ce constat est la suivante : "Le CESE propose dès lors que l'on prévoie, pour les travailleurs faisant l'objet d'un détachement intragroupe, une égalité de traitement avec les travailleurs du pays hôte ou le personnel permanent de l'entreprise, non seulement en matière de salaires mais aussi de conditions de travail en général."

Le CESE, conscient du fait que "les travailleurs concernés seront également détachés depuis des pays tiers où le niveau des salaires et de la protection sociale reste bien inférieur à celui de l'UE", estime aussi qu’il "est dès lors nécessaire de prévoir un contrôle effectif du respect de la directive, tout en veillant à éviter de faire peser une charge administrative superflue sur les entreprises".

Le travail au Parlement européen : trilogue en cours et pierres d’achoppement

Parlement européenLe rapporteur sur la directive Détachement intragroupe est le même que pour celle sur les travailleurs saisonniers, l’eurodéputé italien PPE Salvatore Iacolino, membre de la commission LIBE.

Il existe une fiche de procédure qui documente de nombreux amendements, déposés jusqu’en juillet 2011, dont certains abordent la question de la rémunération, soit en exigeant une rémunération « qui devrait correspondre au niveau de rétribution prévu pour des activités analogues dans l'État membre hôte », soit en voulant supprimer cet aspect-là des choses.

Le 26 janvier 2012, le site du Parlement européen a publié un communiqué qui explique que la commission LIBE a approuvé par 42 voix pour, 5 voix contre et 3 abstentions, des modifications du projet "en vue de faciliter le déplacement des travailleurs transférés entre les États membres de l'UE et de permettre à leur famille de travailler dans leur pays d'accueil". De ce vote et de ce texte voté en commission LIBE, nulle trace sur la fiche de procédure.

Le texte du communiqué précise néanmoins, au-delà des règles communes qui serviraient à faciliter le transfert du personnel clé d'une entreprise située en dehors de l'UE à ses agences au sein de l'UE, que les candidats retenus en tireraient avantage, car ils pourraient obtenir un permis de séjour et de travail unique dans un État membre, et auraient droit à une rémunération et des conditions de travail similaires à celles octroyées aux travailleurs nationaux.

Le trilogue en cours

Néanmoins, les négociations avec le Conseil et la Commission ont commencé en trilogue et sont en cours actuellement. L’objectif du rapporteur Iacolino est de faire passer le texte avant la fin de la législature.

Le texte a subi, depuis son premier passage à la commission LIBE, des modifications qui ne sont pas publiées. La question de l’égalité de traitement et de rémunération figure parmi les pierres d’achoppement. Les responsables qui négocient sont également confrontés à la question comment accorder le détachement intra-groupe avec les règles du détachement des travailleurs au sein de l’UE. Il se trouve que les règles d’application de cette directive sont elles aussi en train d’être négociées, et le Parlement européen doit encore statuer après le compromis au Conseil EPSCO du 9 décembre 2013 sur la révision de la directive Détachement. Comme l’a relevé le ministre luxembourgeois du Travail et de l’Emploi, lors de son déplacement au Parlement européen le 4 février 2014, ce compromis suscite également encore de nombreuses interrogations parmi les députés européens.

Ce sont précisément de ces négociations en coulisses dont les syndicats européens se sont fait l’écho lorsqu’ils ont communiqué leurs inquiétudes quant au fait que "le Conseil fait pression sur le Parlement européen pour qu’il accepte une directive sur les détachements intragroupe sans dispositions garantissant la pleine égalité de traitement en faveur des ressortissants de pays tiers travaillant dans un État membre".