Le 13 mai 2014, la Chambre des députés a voté en faveur de la transposition de la directive 2008/8/CE en ce qui concerne le lieu des prestations de services, et ce en l’intégrant dans la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée.
Il s’agit selon le rapporteur du texte, le député libéral Guy Arendt, d’une loi qui aura un fort impact sur les recettes fiscales du Luxembourg prélevées sur les opérations de commerce électronique d’entreprises qui ont leur siège au Luxembourg.
La loi votée avec 57 voix contre 3, celles de l’ADR, modifie, à partir du 1er janvier 2015, les règles déterminant le lieu des prestations de services de télécommunication, de radiodiffusion et de télévision ainsi que des services fournis par voie électronique par des assujettis établis dans l’Union européenne à des personnes non assujetties établies dans Union européenne.
Alors que jusqu’à présent, ces prestations de services étaient imposables au lieu d’établissement du prestataire, le texte modifié prévoit que le lieu des prestations de services mentionnées fournies à une personne non assujettie est le lieu où cette personne est établie ou a son domicile ou sa résidence habituelle. Ce changement est en ligne avec les efforts européens visant à appliquer le principe de destination lors de l’imposition de services, a souligné le rapporteur.
Néanmoins, afin de simplifier les obligations qui incombent aux entreprises ayant des activités dans des Etats membres où elles ne sont pas établies, un système sera mis en place qui leur permettra de se faire identifier à la TVA et de déposer leurs déclarations périodiques par l’intermédiaire d’un seul point de contact électronique. Ce régime s’inspire de celui qui est déjà prévu en faveur des opérateurs établis en dehors de l’Union européenne et qui permet à ceux-ci de ne s’inscrire que dans un seul Etat membre pour tous les services électroniques effectués à l’intérieur de l’Union européenne à des personnes non assujetties à la TVA. De plus, les obligations déclaratives en lien avec ce régime particulier sont harmonisées au niveau communautaire. Le projet de loi met donc en place le cadre légal qui régit le régime particulier destiné aux assujettis établis dans l’Union européenne, alors que des règlements communautaires, directement applicables, établissent les modalités qui doivent assurer le fonctionnement du régime d’un point de vue pratique.
Vu que certaines de ces modifications concernant le lieu des prestations des services sont susceptibles d’avoir un impact sur le budget des Etats, l’application du texte de la directive 2008/8/CE du Conseil du 12 février 2008 prévoit qu’elle soit étalée sur une durée de 4 années.
En effet, si une entreprise passe par le guichet unique dans un Etat membre, en l’occurrence au Luxembourg (appelé "mini one-stop shop" à partir de 2015), alors celui-ci pourra garder en 2015 et 2016 30 % des recettes TVA générées par les prestations de services fournies aux utilisateurs situés dans un autre pays de l’UE, puis 15 % en 2017 et 2018, avant de passer à 0 % à partir de 2019.
Dans son intervention, Guy Arendt, qui se basait sur une note de l’Administration de l’Enregistrement, a estimé la baisse des recettes de TVA venant du commerce électronique à un minimum de 628 millions d’euros en 2015, et ce dans l’hypothèse où les grandes entreprises du commerce électronique devaient opter pour le régime du guichet unique transitoire, à 737 millions d’euros en 2016 et plus d’un milliard en 2017 et 2018. Mais comme nul ne sait comment se développeront les recettes TVA de l’e-commerce, parce que nul ne sait combien d’entreprises opteront pour le guichet unique, il ne s’agit que d’une hypothèse.
Une des critiques de Guy Arendt a été que le Luxembourg n’a pas abordé la question "de manière suffisamment proactive", dans la mesure où la décision a été prise fin 2007 et que la directive date de 2008.
Gilles Roth du CSV a parlé d’une "loi très technique" qui comporte "une chance pour le Luxembourg", ce guichet unique qui permet en théorie de garder encore 30 % des recettes en 2015 et 2016 et 15 % des recettes jusqu’en 2018. Il pense que les grandes entreprises de l’e-commerce opteront pour le guichet unique, le Luxembourg disposant de bonnes infrastructures de communication. Par ailleurs, il a estimé que la perte des recettes fiscales venant de l’e-commerce ne pourra pas être compensée par les seules économies budgétaires que le gouvernement projette. Il faudra des hausses d’impôts, dont la hausse de 15 à 17 % de la TVA, mais une hausse qui ne devrait pas être appliquée au logement locatif, car ce serait contreproductif en termes de politique du logement. Pour lui, le gouvernement devrait dans les mois à venir non pas présenter les grandes lignes de la réforme fiscale qu’il projette, mais répondre à certaines questions cruciales comme le taux marginal en matière d’impôt sur le revenu, comment il entend réduire la "bosse des classes moyennes" dans le barème des impôts et comment il envisage de taxer le logement locatif en termes de TVA.
Pour le député libéral et rapporteur du budget 2014, Eugène Berger, l’intégration de la nouvelle règlementation européenne sur la TVA sur le commerce électronique dans la législation nationale est "hyper explosive du point de vue politique".
Le chef de file des socialistes, Alex Bodry, a mis en avant le fait que sur plusieurs années, la TVA sur le commerce électronique avait rapporté 5,4 milliards d’euros au budget. Mais il s’est demandé "si cette manne a conduit à la création de vraies compétences qui feront que ces entreprises resteront au Luxembourg". Il a lui aussi trouvé que le texte de loi qui transpose la directive est arrivé bien tard, puisque la directive date de 2008.
Viviane Loschetter a formulé au nom des Verts quelques remarques "critiques". Elle a estimé que le Luxembourg avait encaissé avec le commerce électronique "des recettes solides", mais que cet argent a été "gagné facilement et avec peu de travail", et qu’à partir de 2016, ce flux sera tari. Elle a tenu à souligner que le Luxembourg n’avait pas encaissé ces sommes en pratiquant une politique de niche fiscale nationale, mais que ces sommes importantes ont été le résultat de la concurrence fiscale dans l’UE. La directive y met fin, et cela est pour elle une bonne chose, car les Etats et leurs citoyens sont les grands perdants de la concurrence fiscale. La TVA est un impôt payé par les citoyens, a-t-elle souligné, et n’est pas un impôt prélevé sur les entreprises. Les grands de l’e-commerce en ont largement profité. Par ailleurs, "l’on savait dès 2008 que ces recettes allaient être perdues, mais ces recettes n’ont pas été neutralisées et maintenant, le gouvernement doit affronter un fort déficit budgétaire". Et de reprocher au CSV de se vanter de l’équilibre budgétaire pour l’exercice 2013, comme l’avait fait Gilles Roth au cours de son intervention.
Gast Gibéryen (ADR) a parlé de la loi en discussion comme d’une "projet important", voire du projet de loi "le plus cher jamais voté par la Chambre". Il a rappelé que le Luxembourg avait fait usage de son droit de veto jusqu’à novembre 2007, moment où le Premier ministre et ministre des Finances de l’époque avait déclaré le 13 novembre 2007, à l’issue d’un Conseil ECOFIN, qu’ "aucun ministre des Finances ne renoncerait à 1% de son PIB pour faire plaisir aux autres".
Le Luxembourg s'opposait effectivement en 2007 à la réforme des recettes TVA de l’e-commerce, parce que les recettes de TVA liés aux activités dans ce secteur lui rapportaient en 2007 l’équivalent d’un pourcent de son PIB, autour de 220 millions d’euros à ce moment-là. Mais en décembre 2007, le Luxembourg avait dit oui à une solution de compromis, et à la Chambre des députés, Jean-Claude Juncker avait expliqué que le Luxembourg voulait que la nouvelle règle sur le lieu de taxation de la TVA pour les services électroniques s’applique à partir de 2015, ce qu’il avait obtenu. Ensuite, le Luxembourg avait voulu une participation autour de 25 %. Pour Jean-Claude Juncker, le partage de la TVA étalé entre 2015 et 2018 s’était avéré meilleur que prévu avec 30 % pour le Luxembourg jusqu’à fin 2016, puis 15 % jusqu’à fin 2018 et durerait plus longtemps que prévu.
Pour l’ADR, il aurait fallu que le Luxembourg eût continué d’user de son droit de véto. Et Gast Gibéryen de se demander "ce que vaut encore la souveraineté nationale s’il faut transposer une directive telle quelle et ce que vaut la souveraineté de ce parlement". Pour le député ADR, il aurait fallu dire : "Nous sommes souverains, nous ne voterons pas cette directive!"
Le député de Déi Lénk, Justin Turpel, dont le parti a voté la loi, s’est interrogé sur le fonds du projet et ses conséquences. Sur le fonds, il a estimé qu’il est juste de payer la TVA là où l’on consomme. Mais la conséquence de cette règle, en soi juste, est la disparition de recettes dont l’Etat a besoin pour remplir ses missions dans l’intérêt de ceux qui ne peuvent pas tout se payer. Une hausse de la TVA est envisagée, à laquelle il faut trouver des alternatives, car la TVA est "l’impôt le plus injuste". Il a rappelé que la part des salariés du Luxembourg à la valeur ajoutée de l’économie était de 15 % inférieure à celle des pays voisins, une part qui équivaut à 6 milliards d’euros supplémentaires qui pourraient être versés aux salariés, des salariés qui seraient imposés pour ces revenus et contribueraient à la hausse des recettes de l’Etat que tous souhaitent. Tout cela est lié à la redistribution de plus en plus inégalitaire des revenus dans l’UE, où, depuis le début de la crise, les gros revenus sont devenus encore plus importants et les petits revenus ont de plus en plus diminué. Justin Turpel a aussi exigé que le mandat du gouvernement au Conseil de l’UE soit discuté à la Chambre, où selon lui, les transpositions de la législation européenne se font de manière "trop superficielle". Justin Turpel a présenté une motion pour inciter la Chambre à discuter sur des alternatives à la hausse de la TVA.
En réponse aux députés, le ministre des Finances, Pierre Gramegna, a déclaré ne pas vouloir faire de polémique, "car le sujet est assez grave en soi et la perte des recettes en question est de l’ordre du durable avec une niche qui disparaît". Il a confirmé que les pertes se situeront entre un minimum 600 millions en 2015 et 1,1 milliard en 2018, mais a aussi dit "ne pas être trop pessimiste quant à la perspective que les firmes du commerce électronique puissent quitter immédiatement". Le ministre a ensuite rejeté la motion de Justin Turpel, estimant qu’il n’y avait "pas d’alternative à la hausse de la TVA et aux réductions des dépenses", mais qu’il était certainement prêt à consulter les partenaires "en vue du budget nouvelle génération".