Principaux portails publics  |     | 

Entreprises et industrie - Agriculture, Viticulture et Développement rural - Environnement - Protection des consommateurs
L’ancien ambassadeur luxembourgeois auprès des Nations Unies à Genève, Jean Feyder, est d’avis que le TTIP menace les agriculteurs et les consommateurs européens
03-05-2014


pac-ong-feyderDans une tribune publiée par le Tageblatt, le 3 mai 2014 et intitulée "Le TTIP menace les agriculteurs et les consommateurs européens", l’ancien ambassadeur du Luxembourg auprès des Nations Unies à Genève et membre du conseil d’administration de l’ONG Action Solidarité Tiers Monde, Jean Feyder, met en garde contre les dangers d’une adoption du TTIP dans les termes présentés par la Commission européenne. Une telle issue constituerait "une victoire de l’industrie agro-alimentaire sur les petits agriculteurs", prévient-il.

Il rappelle que si les USA et l’UE sont tous deux les plus importants producteurs de produits agricoles et alimentaires dans le monde, ce n’est pas en suivant la même recette, mais malgré une "agriculture organisée très différemment". Ainsi, aux USA, ce sont de véritables entreprises agro-industrielles qui dominent, notamment pour la production de viande. Une exploitation s’étend en moyenne sur 169 hectares, soit une superficie 14 fois supérieure à la moyenne européenne, rappelle-t-il.

Si les barrières commerciales étaient levées, "le danger est grand" que le modèle agro-industriel, nuisible à l’environnement, connaisse de nouveaux développements en Europe, prévient l’ancien ambassadeur, qui reproche à la Commission européenne de s’être "à peine" préoccupée "des conséquences possibles du TTIP, avant d’entamer les négociations avec les USA". "Cela rend désormais sa communication peu crédible", observe-t-il d’ailleurs.

Les études d’impact auraient dû être prêtes avant même le début des négociations et leurs enseignement être intégrés au mandat de négociation. La Commission a certes ordonné la réalisation d’une telle étude mais les travaux ne seront achevés qu’en novembre 2014, alors que les négociations sont déjà commencées depuis des mois, de telle sorte que, "probablement, en novembre, on ne pourra pas verser tous les éléments dans les négociations".

Jean Feyder, auteur en 2010 du livre "La Faim tue", pense que cette étude d’impact, si elle est "indépendante et sérieuse", devrait absolument partir du fait qu’entre 40 et 50 % des émissions mondiales de CO2 provient de l’agriculture, lorsqu’on prend en compte le transport et la commercialisation des aliments ainsi que les défrichements des terres pour la production de plantes fourragères. De là, il y aurait lieu de se poser deux questions : "Comment pouvons-nous organiser plus écologiquement notre agriculture ?  En passant par quelle transition ?"

"Le traité TTIP devrait engager les plus grands producteurs agricoles à atteindre l’objectif d’une agriculture écologique et coordonner la transition", estime celui qui, avec la plate-forme d’ONG "meng Landwirtschaft", a appelé, le 28 janvier 2014, à une réorientation de la politique agricole de manière écologique et durable économiquement.

"Il est connu que la Commission a su utiliser, ces dernières années, la désunion au sein du Conseil des ministres pour autoriser la commercialisation de maïs OGM"

Pour autant, Jean Feyder estime que son vœu a peu de chances d’être exaucé. Il partage le scepticisme de l’opinion publique, en rappelant quelques exemples qui soulignent les incertitudes entourant le projet.

Concernant l’importation de viande aux hormones et de poulet au chlore, le commissaire européen en charge du commerce a certes dit, entre-temps, qu’il n’y aurait pas de négociation à ce sujet, toutefois, les questions demeurent : "Pourquoi la Commission ne l’a-t-elle pas clarifié plus tôt ? Pourquoi ne l’a-t-elle pas couché noir sur blanc dans le mandat de négociation ?", se demande Jean Feyder.

De surcroît, il existerait encore des zones d’ombre, concernant le traitement à réserver aux aliments issus d’animaux clonés ou dans le débat sur l’hormone de croissance nommée ractopamine, auquel recourt l’élevage porcin américain. Sur ces deux derniers points, le commissaire reste muet tandis que sa position sur les OGM n’est toujours pas claire. "Il est connu que  la Commission a su utiliser ces dernières années la désunion au sein du Conseil des ministres, pour autoriser la commercialisation de maïs OGM. Monsanto et le lobby agricole américain pousseront, à faciliter l’accès à l’UE  des semences génétiquement modifiées et des aliments produits par la technique génique", prévient-il.

tageblattOr, la suppression des barrières douanières pour les produits céréaliers, laitiers et les viandes pourraient avoir de graves conséquences sur le sort des agriculteurs européens. "Leurs exportations pourraient reculer fortement, tandis que les importations de soja et de blé génétiquement modifiés en provenance des USA pourraient fortement augmenter."  "L’agriculture continuerait à s’industrialiser, et la tendance à des exploitations toujours plus grandes se renforcerait. Encore davantage d’emplois disparaîtraient, et les contrées agricoles seraient en voie de désertification. Le dommage pour l’environnement et la biodiversité serait énorme », pronostique Jean Feyder.

"La Commission néglige également les intérêts légitimes des consommateurs. Un des objectifs du TTIP est d’aligner les standards européens et américains, par exemple dans les politiques environnementales et de santé, ou dans la sécurité des aliments", poursuit l’ancien ambassadeur.

Il serait ainsi à craindre que les standards les moins élevés s’imposent "dans l’intérêt des entreprises et des investisseurs financiers". En Europe, jusqu’à maintenant, le principe de précaution, qui conditionne la mise en circulation d’un produit à la preuve préalable de son innocuité pour le consommateur, prévaut, alors qu’il est inconnu aux USA. Ce principe devrait être "intouchable", afin d’empêcher un nivellement vers le bas des standards européens.

Les consommateurs devraient pouvoir garder la possibilité d’acheter des aliments sûrs de haute qualité et être dûment informés au sujet des ingrédients employés à sa fabrication et à sa production. De même, les standards utilisés doivent être connus, pense-t-il. Néanmoins, Jean Feyder craint aussi que ce soit le résultat inverse qui l’emporte, à savoir "une nouvelle dérégulation". Le remède résiderait dans la conduite "en toute transparence" des négociations. Au nom de ce principe, tous les documents devraient être accessibles au public et tous les Parlements et parties concernées devraient être régulièrement informés et consultés. "Malheureusement cela n’est pas le cas en ce moment. Cela laisse présager rien de bon", conclut-il.