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Santé
La Chambre transpose à l’unanimité la directive sur l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers
17-06-2014


Chambre des DéputésLa Chambre des députés a adopté le 17 juin 2014 à l’unanimité le projet de loi 6554 qui transpose la directive de 2011 sur l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers.

Historique

Le 19 janvier 2011, les députés européens avaient approuvé à une large majorité un compromis avec le Conseil sur le projet de directive sur les droits des patients dans les soins de santé transfrontaliers qui était discuté depuis juillet 2008. Ce compromis créait selon l’eurodéputé vert Claude Turmes "un bon équilibre entre les droits des patients d’une part et la protection des systèmes nationaux de santé d’autre part". Il avait cependant conseillé aux citoyens de bien se renseigner avant de faire valoir ce nouveau droit et qui appelait le gouvernement luxembourgeois à livrer une information claire sur les soins qui seront pris en charge.

Les nouvelles règles précisaient en effet que les citoyens européens pourraient être remboursés pour des soins reçus dans un autre État membre, dans la mesure où le type de traitement et les coûts auraient normalement été couverts dans leur propre pays. Mais les autorités pourraient exiger que les patients demandent une autorisation préalable pour les traitements nécessitant un séjour de nuit à l'hôpital ou des soins de santé spécialisés.

Pour l’eurodéputé socialiste Robert Goebbels, qui s’était comme les sociaux-démocrates européens opposé en 2009 à "une totale liberté, qui ne laisserait à chaque Etat que l'obligation de payer", ce compromis était devenu "acceptable", dans la mesure où il reconnaissait aux Etats membres le droit de prendre des mesures sauvegardant l’équilibre financier de leur système de sécurité sociale. Quant aux eurodéputés CSV  Georges Bach et Astrid Lulling, ils voyaient dans ’adoption du texte un "pas en avant pour la mobilité des patients", mais aussi une avancée "vers une Europe de la santé".

Dans la directive, les soins de santé transfrontaliers sont définis comme étant des soins dispensés ou prescrits au profit d'un patient dans un Etat membre autre que celui où il est affilié. Ils ne constituent pas des services comme les autres, notamment en raison de l'intervention de l'Etat comme troisième partie dans le cadre de leur prestation. Ils ne peuvent donc pas être assimilés aux autres services marchands et, partant, ont été exclus de la Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, communément appelée "Directive Services".

La directive sur l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers a pour but de mettre en place un cadre communautaire spécifique visant à faciliter l'accès à des "soins de santé transfrontaliers sûrs, efficaces et d'excellente qualité et à garantir la mobilité des patients".

Qu’est-ce qui change ?

La transposition de la directive implique une refonte de l’article 20 du Code de la Sécurité sociale qui comporte les règles concernant la prise en charge des soins dans un Etat membre de l'Union européenne, en Suisse ou dans un pays de l'EEE, pour les personnes affiliées au Luxembourg.

Le principe du remboursement sans autorisation préalable

Le remboursement des soins transfrontaliers pourra se faire en principe sans autorisation préalable et la prise en charge se fait en vertu du Code de la Sécurité sociale. L'autorisation préalable devient ainsi l'exception et se limite à ce qui est nécessaire et proportionné à l'objectif poursuivi par l'autorisation.

Les exceptions

L'exigence d'une autorisation préalable de la Caisse nationale de santé (CNS) est maintenue lorsque les soins de santé transfrontaliers :

  •  impliquent le séjour du patient à l'hôpital pour au moins une nuit,
  • impliquent le recours à des infrastructures ou des équipements médicaux hautement spécialisés et coûteux soumis à planification.

Dans ces hypothèses, la prise en charge par la Sécurité sociale est soumise à l'obtention d'une autorisation préalable de la CNS, sur avis motivé du Contrôle médical de la Sécurité sociale. L'application du nouvel article 20 du Code la Sécurité sociale se fera sans préjudice de l'application d'autres instruments de droit international d'application directe, en particulier du Règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

Tout comme la directive, le projet prévoit deux hypothèses dans lesquelles une autorisation préalable ne peut être refusée:

  • si la demande porte sur des prestations qui, bien que disponibles sur le territoire national, ne sont pas accessibles dans un délai acceptable sur le plan médical ;
  • si la demande porte sur des soins de santé qui ne sont pas prévus par la législation luxembourgeoise, mais sont indispensables sur le plan médical.

Les soins de santé à l’étranger qui ne tombent pas dans le champ d’application de la directive

Un article 20bis nouveau introduit dans le Code la Sécurité sociale vise la prise en charge de prestations de soins de santé à l'étranger qui ne tombent pas dans le champ d'application de la Directive 2011/24/UE, c'est-à-dire celles dispensées dans un pays qui n'est pas un Etat membre de l'Union européenne, la Suisse ou un pays de l'EEE et délivrées en dehors de l'application d'une convention bilatérale en matière d'assurance maladie liant le Luxembourg.

Ce texte comporte pratiquement le statu quo actuel, c'est-à-dire que la prise en charge est effectuée en cas d'urgence ou dans l'hypothèse où les prestations sont autorisées par la CNS, sur avis motivé du Contrôle médical de la Sécurité sociale.

La mise en place de points de contact nationaux

Un volet important de la directive concerne la mise en place de points de contact nationaux dont la mission consiste à offrir aux citoyens européens une information de qualité quant à leurs droits en matière de soins de santé transfrontaliers.

Le débat

Le rapporteur Georges Engel (LSAP) a salué une règlementation européenne que le Luxembourg transpose avec presqu’un an de retard, mais qui "va dans le sens des intérêts du patient". Il a rappelé les longues discussions que la première mouture de la Commission avait suscitées dès 2008 et les nombreux amendements qui ont abouti à un compromis et rétabli les équilibres, mettant l’accent sur la   subsidiarité et créant des garde-fous pour enrayer la crainte que le texte ne donne lieu à l’émergence d’une "médecine à deux vitesses" qui favoriserait les gens qui ont contracté une assurance-maladie complémentaire.

Serge Wilmes (CSV)  a parlé d’un projet important qui illustre les tensions entre le marché unique de l’UE avec ses droits et libertés et la tentative d’arriver à un système plus harmonisé dans les prestations de santé qui ne relèvent pas simplement du marché. Il fallait donc un compromis dans la mesure où les systèmes d’assurance-maladie publics interviennent dans le secteur de la santé. Le député qui a parlé au nom du plus grand parti de l’opposition a salué la création de points d’information et appelé à ce que la  nomenclature de la profession médicale conventionnée qui sert de base au système de remboursement par l’assurance-maladie soit revue, dans la mesure où les nomenclatures dans les autres pays où les patients luxembourgeois seront soignés s’avère souvent plus différenciées. Le CSV a apporté son accord au projet de loi, comme le feront par la suite tous les partis de la majorité comme de l’opposition.

Edy Mertens (DP) a parlé comme député et médecin. Il a écarté l’idée que l’UE serait trop éloignée des citoyens. Ce préjugé est selon lui dû au fait que de nombreuses libertés que les citoyens exercent sont considérées comme évidentes. Un des avantages de la nouvelle règlementation sur les soins transfrontaliers est, estime-t-il, qu’elle évitera à des patients d’aller en justice pour obtenir leurs droits. D’une manière ou d’une autre, il aurait donc fallu légiférer. Si le Luxembourg s’était au début du débat sur cette législation opposé à la démarche de la Commission qui voulait communautariser les compétences des Etats membres en matière de santé et aussi évoqué le "spectre de la médecine de classe", il n’y plus maintenant de raison de craindre quoique ce soit, la directive renforçant les droits des patients. Il néanmoins en tant que médecin mis en garde contre les pièges tarifaires dans certains pays où les patients pourront se faire soigner comme la Suisse et l’Allemagne et insisté sur une bonne information. Il a néanmoins demandé à ce que le gouvernement s’efforce d’élucider l’impact budgétaire de la nouvelle loi qui n’est pas encore connu, une critique implicite du gouvernement précédent qui avait assumé un impact budgétaire neutre. Il a finalement salué le fait que le texte soumis au vote allait renforcer la sécurité juridique de toutes les parties du système de santé.

José Lorsché (Déi Gréng) considère que la nouvelle loi confère aux patients des droits qui ne peuvent qu’être perçus comme positifs du point de vue individuel, même s’il y aura immanquablement des différences dans la manière d’en jouir en fonction du capital culturel ou des capacités économiques des patients, par exemple s’il y a des avances à verser. C’est pourquoi, a estimé la députée verte, le point de contact national aura un rôle important à jouer pour éclaircir en amont avec des patients des questions comme la qualité des soins transfrontaliers, les frais réels d’un traitement à l’étranger, les conditions de remboursement par l’assurance-maladie ou les questions de responsabilité civile en cas de problèmes. Elle a souhaité que le matériel d’information soit édité en de nombreuses langues pour que tous les résidents aient accès à leurs droits, et suggéré une meilleure coopération avec les pays voisins en matière de soins d’urgence

Fernand Kartheiser (ADR) a rappelé qu’avant la nouvelle règlementation, les soins transfrontaliers avaient déjà été réglementés de manière intergouvernemental et dans l’intérêt des citoyens et des Etats. La compétence partagée entre l’UE et ses Etats membres ne dérange pas le député du parti souverainiste, "car c’est dans l’intérêt des gens". Mais il estime que la Chambre des députés est lésée dans ses compétences budgétaires. La question de l’impact budgétaire et la question de savoir qui profitera de la nouvelle loi doit donc être thématisée,  car elle entre dans les compétences de l’Etat national.

Le parti Déi Lénk n’a pas pris la parole mais a donné son accord au projet de loi.

Intervenant à la fin du débat au nom du Gouvernement, le ministre de la Sécurité sociale, Romain Schneider a marqué son accord pour qu’une nomenclature plus différenciée soit élaborée, car cela servira à renforcer la sécurité en matière de planification dans le secteur. Il a aussi réitéré l’engagement du gouvernement qu’il n’y aura pas de médicine à plusieurs vitesses ou de classes au Luxembourg. L’information des patients sera effectivement importante, et se déclinera de manière directe et à travers des dépliants dans les langues les plus usitées par les résidents du Luxembourg, y compris le bosniaque. De même les frais occasionnés par les nouvelles règles et leur impact budgétaire seront évalués.