Dans un volumineux dossier consacré au secteur financier luxembourgeois, le Luxemburger Wort, dans son édition du 4 juin 2014, a interrogé le ministre des Finances, Pierre Gramegna, sur les évolutions récentes en matière d’échange automatique d’informations (EAI) dans le domaine fiscal ainsi que sur l’Union bancaires et leurs implications pour la place financière nationale.
Le ministre des Finances y rappelle d’abord qu’en ce qui concerne l’échange automatique d’informations en matière fiscale, la volonté du gouvernement luxembourgeois d’aller de l’avant s’est faite "de manière graduelle". Malgré l’annonce de l’ancien Premier ministre, Jean-Claude Juncker, selon lequel le Luxembourg allait s’engager dans cette voie, Pierre Gramegna relève ensuite "un certain blocage" dans sa mise en œuvre que le nouveau gouvernement "a dû débloquer"
Après avoir endossé la position du gouvernement sortant (volonté d’imposer un "level playing field", soit l’application de règles similaires entre les places financières) lors du premier Conseil Ecofin auquel il a pris part, le ministre dit avoir tenu compte des opinions exprimées par le secteur financier ainsi que des évolutions du dossier à l’échelle mondiale ce qui a poussé le gouvernement à "assumer complètement ce virage". Un changement de cap qui selon Pierre Gramegna, "va changer durablement l’image de marque de notre place financière et faciliter la promotion de ses autres piliers".
L’analyse du secteur au cours de ce processus aurait permis de constater que si le secret bancaire était utile pour la banque privée, il l’était beaucoup moins pour les autres secteurs de la place, selon le ministre, qui souligne que ces banques ont pu anticiper. Ainsi les dépôts des personnes physiques et les dépôts des entreprises auprès des banques seraient relativement stables depuis un an même si cette stabilité apparente "cache peut-être une réalité plus complexe", à savoir une diminution des clients de petite taille et de proximité au profit de "clients plus importants, d’origine plus lointaine qui s’installent et qui ont besoin de produits plus sophistiqués", affirme le ministre des Finances.
La disparition programmée du secret bancaire "oblige" par ailleurs "les banques à être plus compétitives" en inventant de nouveaux produits et services et en utilisant au mieux tous les outils qu’offre la place financière. Le gouvernement continue d’ailleurs à miser sur la place et à la diversifier, assure le ministre. Et de citer notamment le projet de fondation patrimoniale et une "revitalisation" du haut comité pour la place financière, doté d’une douzaine de groupes de travail chargés de réfléchir à la manière d’"enrichir la gamme des instruments" existants.
Sur la question des règles du jeu similaires entre les places financières ("level playing field"), Pierre Gramegna estime que le Luxembourg est arrivé bien au-delà des attentes initiales qui visaient à ce que cinq pays européens hors UE - y compris la Suisse – adoptent les mêmes règles. Or, l’accélération des négociations sur un modèle mondial d’échange automatique depuis fin 2013 au niveau de l’OCDE, dont le standard a été accepté par tous les pays membres de l’organisation et au-delà avec Singapour et la Chine, permettrait à ces règles de s’élargir "à l’échelle planétaire" bien plus rapidement qu’attendu. La position initiale du Luxembourg, consistant à refuser des normes qui s’appliquent uniquement en Europe au risque de nuire à l’attractivité de l’UE était donc "tout à fait juste", selon le ministre des Finances.
L’application de l’EAI permettra ainsi de mettre en place "un contribuable totalement transparent" précise le ministre, qui relève "la volonté affichée" de tous les Etats "d’éradiquer la fraude fiscale pour engranger le plus possible de taxes". Un objectif que Pierre Gramegna juge "tout à fait normal" qui se traduit par du passage "d’une certaine tolérance, plus ou moins acceptée, à une tolérance zéro". Pour le ministre, cette évolution procède d’un modèle de société qui collecte énormément de données sur les individus vers "une société de transparence extrême", celui-ci relevant néanmoins "heureusement" la tendance, au sein de l’UE à défendre la protection des données qui concernent la personne privée. "Nous avons donc deux pôles qui doivent s’équilibrer et, au Luxembourg, nous garderons une notion de confidentialité qui est tout à fait légale et qui correspond aux besoins des résidents comme des non-résidents", dit-il.
Sur le risque de multiplication des normes (FATCA, directive révisée sur la fiscalité de l’épargne et OCDE), le ministre rappelle qu’une des demandes du Luxembourg était l’alignement sur un seul standard, car dans le cas contraire, cela pénaliserait les consommateurs, les banques et les Etats. Pierre Gramegna estime néanmoins que les prochains mois seront l’occasion pour les Etats de chercher "un dénominateur commun parmi ces normes. Il va donc y avoir une période de quelques mois pour savoir comment l’UE va s’adapter".
L’administration des contributions directes travaille en tout cas "d’arrache-pied" et "sera prête pour l’échéance du 1er janvier 2015", affirme encore le ministre qui souligne qu’elle travaille en parallèle avec les USA sur FATCA alors que pour ce qui concerne l’OCDE, "les textes ne sont pas en vigueur". Selon lui, "il est clair" que ces évolutions impliqueront "des coûts importants, tant en ressources humaines qu’en informatique".
Pour ce qui est de l’Union bancaire, qui prendra forme par étape entre novembre 2014 et le 1er janvier 2016, elle est considérée comme "un résultat majeur de la zone euro" face aux menaces récurrentes sur la viabilité de la monnaie unique. Cela "réjouit particulièrement" Pierre Gramegna pour la "grande place financière internationale" du Luxembourg "naturellement très exposée lors d’une crise financière". L’union bancaire offre désormais "des réponses standardisées" et un éventail de protection pour le pays, le contribuable et les épargnants. Désormais, en cas de recapitalisation d’une grande banque, on évitera de recourir aux fonds des Etats, et donc aux contribuables.
Pierre Gramegna estime néanmoins que le nouveau système ne permet pas d’exclure que les banques connaissent "encore des week-ends difficiles dans les 100 prochaines années" comme lors des sauvetages de 2008 qui avaient imposé une réaction en quelques jours. Mais désormais l’UE dispose d’un cadre de résolution, qui offre un schéma pour résoudre la crise de la banque, avec un fonds de 55 milliards d’euros (qui sera abondé en 8 ans) et une répartition des rôles clairement délimitée, souligne le ministre.
Le calcul de la participation des banques luxembourgeoises à ce fonds n’est cependant pas encore déterminé, Pierre Gramegna rappelant que la Commission "s’est engagée à faire des propositions sur les contributions nationales pour cet été". Le ministre des Finances estime pour sa part que "compte tenu de l’importance de la place financière luxembourgeoise sur l’échiquier européen, il est clair que la contribution luxembourgeoise sera relativement importante". En outre, il juge que l’union bancaire sera déjà une réalité concrète "dès la fin de cette année car le système de supervision sera mis en place et, dans les 18 prochains mois, les deux autres piliers [le] seront".
La question de la garantie des dépôts bancaires, qui prévoit la protection des déposant jusqu’à 100 000 euros (comme c’est déjà le cas au Luxembourg), nécessitera par ailleurs du côté luxembourgeois un changement de l’actuel système de fonctionnement de I’AGDL (Association pour la garantie des dépôts Luxembourg), précise Pierre Gramegna. Le système, qui repose sur un financement ex post devra ainsi évoluer vers un financement anticipatif.
Pour ce qui est du transfert de la compétence nationale de supervision vers l’UE via le MSU, le ministre considère qu’il s’agit d’un "enrichissement tout à fait fondamental parce que la supervision européenne sera centralisée. La moitié des banques situées au Luxembourg sera contrôlée directement par la Banque centrale européenne (BCE) et l’autre moitié par la CSSF". Selon le ministre, on ne pourra dès lors "pas soupçonner le Luxembourg, si jamais ces soupçons ont existé, que notre supervision n’est pas la bonne, ce sera la même pour tous les pays".
Quant à l’amélioration de l’image du Luxembourg, Pierre Gramegna la considère "en phase de démarrage", estimant "compréhensible qu’une réputation, fondée ou infondée, ne pourra pas être contrecarrée en quelques semaines ou par un changement d’attitude important mais que le grand public ne suit que de loin". Selon le ministre des Finances, qui promet d’y travailler avec "beaucoup d’endurance et d’assiduité dans les prochaines années", il faudra du temps : "On ne changera pas d’image en un clin d’œil", assure-t-il.
Enfin, Pierre Gramegna rejette le discours selon lequel la place luxembourgeoise serait disproportionnée. Il souligne être à son sens "déjà dans une zone européenne unique" et que le discours tenu depuis toujours sur la taille de la place financière est qu’elle "sert surtout le marché unique européen et la zone euro. Il faut donc mesurer la taille de la place financière par rapport à son potentiel de clients qui est européen", plaide le ministre des Finances.