Quelle position adopter face aux négociations sur un accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne ? Afin de peser le pour et le contre d'un tel partenariat, la Commission des Affaires étrangères et européennes de la Chambre des députés a organisé une audition sur le TTIP qui s’est tenue toute la journée du 11 juillet 2014 en présence des députés de la commission, des eurodéputés luxembourgeois, de membres du gouvernement et de l’administration, mais aussi de représentants de la société civile, qu’ils soient membres d’ONG ou de d’organisations professionnelles.
Après l’introduction, les questions liées à la démocratie, aux droits des consommateurs, et à la protection des données, puis les questions liées aux effets du TTIP sur les relations Nord-Sud et les volets économique et social, ce furent l’environnement, l’agriculture et la sécurité alimentaire qui étaient à l’ordre du jour.
Avant qu’il ne quitte la salle, Marc Vanheukelen, le chef de cabinet du commissaire européen au commerce, Karl De Gucht, s’était vu adresser plusieurs remarques et questions.
Une première venait de Laurent Frantz des Lëtzeburger Jongbaueren qui mettait en exergue la grande différence entre les agricultures de l’UE et des USA et le risque que la réduction des tarifs douaniers et la concurrence plus directe qui en résulterait faisait courir à l’agriculture européenne. Il a aussi mis en garde contre la force des lobbies américains en faveur des OGM, alors que les citoyens européens sont opposés à ce type d’agriculture.
Bob Schmitz, de l’ULC, a lui insisté sur l’océan qui séparait les conceptions européennes et américaines de l’étiquetage alimentaire. Il a dit avoir été rassuré que l’on ne toucherait pas dans l’UE aux indications sur la traçabilité et la composition des aliments.
Marc Vanheukelen a tenu à préciser que le TTIP serait soumis à l’épreuve de la durabilité environnementale. Il a aussi expliqué que l’UE était offensive sur des produits comme le sucre, les produits laitiers, les jambons. Mais l’UE est vulnérable selon lui dans la mesure où ses prix à la production sont plus élevés, ce qui fait du secteur américain de la viande de volaille et bovine, qui est un secteur marqué par les OGM et les hormones, un rude concurrent. C’est pourquoi l’on ne changera pas la législation sur les OGM et les hormones et il n’y aura et pas d’importations de ces produits.
Les barrières non-tarifaires proviennent pour le haut fonctionnaire européen d’une divergence de réglementation des deux côtés et il s’agit donc de faire coopérer dans un "regulation cooperation council" les régulateurs européens et américains, notamment sur les nanotechnologies et les perturbateurs endocriniens, afin d’explorer la convergence d’idées et donc éviter des barrières non-tarifaires. Si on avait eu cette démarche auparavant, l’on aurait pu établir des convergences sur les ceintures de sécurité ou les airbags, et empêché que toute voiture européenne exportée vers les USA doive être modifiée.
Martina Holbach de Greenpeace, qui s‘est exprimée au nom de la Plate-forme des ONG, a exprimé ses craintes que plusieurs facteurs fassent reculer les normes européennes. Le premier facteur serait la peur des Etats de se voir confrontés, dans le cadre de du règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE), à une grande masse de procédures, ce qui les conduirait à reculer sur les normes. La cohérence des normes pourrait souffrir de la tendance à éliminer des barrières non-tarifaires comme les normes sanitaires et phytosanitaires dont la pertinence ne serait pas scientifiquement prouvée, comme le veut l’approche américaine du risque, alors que l’approche européenne est marquée par l’idée du principe de précaution. Tout cela serait particulièrement grave dans les domaines des pesticides, des OGM et des hormones, donc aussi de la protection de la santé. Un autre risque pourrait être la reconnaissance mutuelle des normes. La militante reconnaît que le ministre des Affaires étrangères a confirmé que l’on ne va pas s’attaquer aux normes, mais la reconnaissance mutuelle amène des problèmes et il y aura, selon elle, des pressions pour que des normes moins élevées soient reconnues. Il y aura "une harmonisation lente vers le bas" qui aura un impact sur la qualité des produits et des normes environnementales et sociales comme sur les modes de production et le recours aux ressources naturelles. Le RDIE est donc un danger pour la législation dans l’UE et ses normes environnementales.
Laurent Frantz des Jongbaueren a repris la parole pour dire qu’aux USA, la production agricole était dans la main de grandes firmes industrielles, pour lesquelles l’environnement joue un rôle secondaire, et, notamment dans le secteur de la viande, les hormones sont la norme. Alors que les USA ne connaissent plus que de grandes exploitations, l’agriculture européenne fonctionne encore largement sur une base familiale. La PAC a fait qu’avec ses normes phytosanitaires, la qualité des aliments de l’UE est devenue de plus en plus importante pour offrir la plus haute qualité dans le monde. Dans l’UE, un emploi sur six est indirectement lié à l’agriculture, a expliqué Laurent Frantz, puisque la production du lait demande la construction de laiteries, des machines pour les faire fonctionner, des tracteurs pour les transports, des métaux pour construire tous ces objets, etc. Tout le monde en Europe est tous les jours en contact avec les produits de l’agriculture dont l’objectif est de produire les aliments. "C’est ce qui rend ce secteur si sensible", met-il en garde. Pour lui, il faudra différencier entre les tarifs douaniers. Certains devraient être élevés comme ceux pour les bovins ou les volailles, où il faudra être "un peu plus protectionniste". D’autres, comme ceux pour les fromages pasteurisés, devraient être baissés. Surtout, "le TTIP ne devrait pas entamer nos normes", car les lobbyistes des OGM sont à la table des négociations.
Bob Schmitz de l’ULC a rappelé que le Canada avait accepté dans le cadre du CETA les normes européennes sur la viande sans hormones ni OGM. "Alors pourquoi pas les USA ?", a-t-il demandé.
Ce fut ensuite à Léon Delvaux, qui avait pris la parole au nom du Ministre des Affaires étrangères, de conclure le débat. Il était visiblement irrité du fait que malgré les assurances répétées du gouvernement d’œuvrer pour plus de transparence, les intervenants remettaient en doute "notre parole". "On ne peut pas de cette manière travailler ensemble de façon constructive", a-t-il lancé, répétant que "le Luxembourg veut plus de transparence, mais nous ne pouvons pas publier ce à quoi même les membres du Congrès américain n’ont pas accès". Il a ensuite annoncé qu’une étude d’impact sera rendu publique avant que l’accord ne soit paraphé, ce qui impliquera de nouveau les parlements et la société civile.
En ce qui concerne le mandat phytosanitaire, l’UE est pour le principe de précaution, car sinon le TTIP ne sera pas ratifié. Léon Delvaux a également déclaré qu’il "n’est pas vrai que tous les gouvernements européens veulent brader le modèle social". Le refus des OGM n’est pas non plus négociable. Par ailleurs, quand il est question de barrières non tarifaires, l’indexation des salaires n’est en rien concernée. Finalement, le traité de libre-échange NAFTA est considéré comme un accord qui pose des problèmes, et ces problèmes doivent être évités avec le TTIP.