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Commerce extérieur
TTIP – Les négociations sur l’accord de libre-échange UE-USA ont fait l’objet d’une audition publique à la Chambre des députés
11-07-2014


Chambre des DéputésQuelle position adopter face aux négociations sur un accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne ? Afin de peser le pour et le contre d'un tel partenariat, la Commission des Affaires étrangères et européennes de la Chambre des députés a organisé une audition sur le TTIP qui s’est tenue toute la journée du 11 juillet 2014 en présence des députés de la commission, des eurodéputés luxembourgeois, de membres du gouvernement et de l’administration, mais aussi de représentants de la société civile, qu’ils soient membres d’ONG ou de d’organisations professionnelles. Ont été traitées les questions liées à la démocratie, aux droits des consommateurs, et à la protection des données, puis les questions liées aux effets du TTIP sur les relations Nord-Sud et les volets économique et social, finalement l’environnement, l’agriculture et la sécurité alimentaire.

Comme l’a rappelé le président de la Chambre, Mars Di Bartolomeo, l’enjeu des négociations d’un accord de libre-échange transatlantique fait l’objet d’un grand débat qui a définitivement sa place au parlement, qu’il soit européen ou luxembourgeois. Les députés luxembourgeois avaient déjà eu une première discussion sur le sujet à l’occasion d’une heure d’actualité qui s’est tenue en mars 2014 à l’initiative du parti de la Gauche luxembourgeois. Un premier débat qui aura au moins eu le mérite de rendre cette journée de hearing possible, comme s’en est félicité le député Justin Turpel (Déi Lénk).

L’objectif de cette audition était de donner aux députés la possibilité de se faire leur propre opinion après avoir entendu les différents points de vue qui auront pu être exprimés au cours de cette journée d’échanges réunissant à la fois les forces de la société civile engagées dans le débat et ceux qui vont décider. Il est en effet du "devoir" des députés d’être à l’écoute des peurs et des craintes exprimées par la société civile, ainsi que l’a souligné Marc Angel, qui préside la commission des Affaires étrangères et qui a eu l’initiative de ce hearing. Il a aussi tenu à associer les représentants du monde économique au débat, ce qui se comprend aisément au vu de l’envergure que pourrait prendre ce futur accord de libre-échange.

Marc Vanheukelen, directeur de cabinet de Karel De Gucht, est venu présenter la vision qu’a la Commission européenne du TTIP en cours de négociations

C’est Marc Vanheukelen, chef de cabinet du commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht, qui a eu pour mission d’introduire la discussion. Pour ce haut-fonctionnaire de la Commission, le TTIP est un projet très important qui mérite une réflexion approfondie et pour lequel un maximum de transparence est souhaitable. Aussi s’est-il réjoui de la tenue d’un débat qu’il souhaitait aussi pragmatique et concret que possible.

Les objectifs de l’UE dans le contexte du TTIP

ttip (source: Commission européenne)Marc Vanheukelen a tout d’abord tenu à présenter les objectifs de l’UE dans ces négociations.

Une des motivations de l’UE est d’ordre politico-économique. L’enjeu est de stimuler la croissance économique au sein de l’UE. Avec la crise, on a perdu 5 à 6 ans de croissance, déplore en effet la Commission européenne et Marc Vanheukelen estime qu’il faudrait un taux de croissance de 2 % pour pouvoir affronter les grands défis de notre société, notamment le vieillissement de sa population. Or, plaide-t-il, pour avoir de la croissance, des réformes structurelles sont nécessaires, et la libéralisation des échanges en fait partie. Dans les dix années à venir, 90 % de la croissance va se créer à l’extérieur de l’Europe, argue encore le directeur de cabinet du commissaire au Commerce international, et il importe pour l’UE d’y avoir accès. Quatorze accords de libre-échange sont d’ailleurs en cours de négociation à cette fin. Mais deux d’entre eux comptent vraiment, a souligné Marc Vanheukelen : celui avec le Japon et celui avec les Etats-Unis. Selon les calculs de la Commission, ce dernier pourrait générer 1 % de croissance supplémentaire pour l’UE en sept ans.

La dimension réglementaire est aussi stratégique sur le plan économique, a expliqué Marc Vanheukelen, Aujourd’hui, l’UE et les USA représentent à eux deux 40 % de l’économie mondiale en termes de pouvoir d’achat, mais d’ici 20 à 30 ans, c’est l’Asie qui gagnera en importance. Or, si le monde occidental veut influencer les règles qui régissent les échanges de biens et de services dans le monde dans les années à venir, il ne dispose que d’une fenêtre de tir très limitée, a fait valoir le chef de cabinet de Karel De Gucht.

Marc Vanheukelen a enfin mis en exergue la motivation géopolitique de l’UE. La relation UE-USA est la plus importante pour l’Europe, a-t-il souligné, et, comme elle n’a pas manqué de connaître quelques bouleversements ces derniers temps, avec l’affaire des écoutes de la NSA par exemple, cette relation fragile a besoin d’une alimentation politique que peut lui donner le TTIP.

Les grands thèmes qui nourrissent le débat public sur le TTIP

Le chef de cabinet du commissaire De Gucht a ensuite évoqué quelques-uns des grands thèmes qui alimentent le débat sur le TTIP depuis l’annonce de l’ouverture de négociations en février 2013 et plus encore depuis leur lancement quelques mois plus tard.

C’est la transparence que le chef de cabinet du commissaire a évoquée en premier lieu, un sujet qui fut ensuite l’objet d’importantes discussions au cours du débat. S’il admet qu’on peut toujours mieux faire, Marc Vanheukelen reconnaît aussi que "nous n’avons jamais été aussi transparent que dans cette négociation". Ainsi, la Commission a-t-elle publié des papiers de position, elle prend le temps de rencontrer les acteurs pendant une journée entière avant chaque round de négociations et elle a créé un groupe de conseillers pour pouvoir conduire un dialogue structuré avec les parties prenantes et concernées tout au long des négociations.

Mais la Commission a aussi des contraintes, a expliqué le chef de cabinet de Karel De Gucht. Le mandat de négociation dont elle dispose lui a été donné par le Conseil, et le Conseil ne veut pas publier ce document, bien que la Commission l’ait demandé à deux reprises déjà. L’unanimité est requise au Conseil et la position qui prévaut est qu’il est hors de question de publier ce mandat car cela créerait un précédent. Par ailleurs, du côté américain, il y a aussi d’autres contraintes, le partenaire de négociation de l’UE ayant ses propres règles en matière de transparence. Or les Etats-Unis ne publient jamais de positions de négociations. Beaucoup d’efforts ont toutefois été faits pour que le partenaire américain consente à accepter de mettre à disposition des Etats-membres et des députés européens les textes conjoints dans des salles de lecture, pour consultation uniquement. C’est donc dans les ambassades américaines que les fonctionnaires des 28 Etats membres et les eurodéputés pourront consulter ces documents, en ayant bien soin de laisser leurs portables en dehors de la salle.

On entend que le TTIP va marquer le début de l’abandon de notre style de vie, a poursuivi Marc Vanheukelen en appelant à rester pragmatique pour éviter toute discussion de principe, trop générale, qui pourrait prendre des allures de Kulturkampf qu’il juge inappropriées. L’enjeu, a-t-il expliqué, c’est d’éviter les surcoûts liés à la réglementation là où c’est possible. "On ne va jamais abandonner notre souveraineté réglementaire", a-t-il assuré. Il s’agit juste d’éviter les barrières non tarifaires à l’avenir, comme c’est le cas par exemple pour les avions, où les autorités américaines et européennes reconnaissent leurs décisions d’autorisation en vol d’appareils, en toute réciprocité. "Si c’est possible pour les avions, cela devrait l’être aussi pour les voitures, les médicaments ou les produits chimiques dans une certaine mesure", argue Marc Vanheukelen qui assure que sur certains produits comme les hormones ou les OGM, les points de vue de l’UE et des USA étant trop divergents, rien ne changera. Un peu plus tard dans le débat, le chef de cabinet de Karel De Gucht a cité l’exemple des pertubateurs endocriniens, un sujet sur lequel chacun est en train de légiférer. L’idée est de voir si les réglementations en gestation présentent des convergences, sinon chacun légifèrera de son côté, a-t-il expliqué.

Enfin, Marc Vanheukelen a voulu réfuter l’idée selon laquelle le TTIP serait un cadeau aux multinationales. Certes, les grandes entreprises sont déjà très bien représentées dans un marché transatlantique qui est actuellement surtout basé sur une relation d’investissement, le premier partenaire commercial de l’UE étant actuellement la Chine. Mais les PME auraient aussi tout à gagner à une réduction de la fragmentation  non tarifaire du marché transatlantique et des incertitudes qui vont avec, plaide le chef de cabinet de Karel De Gucht.

Les négociations commencent maintenant, et elles ne seront pas faciles

Actuellement, les négociations, commencées en juillet 2013, sont sur le point d’entrer dans leur sixième round qui va être ouvert le 14 juillet 2014. 13 groupes de négociations vont plancher pendant toute une semaine. Tous les sujets ont à peu près été couverts au fil des discussions antérieures, et, selon Marc Vanheukelen, c’est donc maintenant que l’on commence la négociation. Et ce ne sera pas facile, a-t-il prévenu, car ni les Etats-Unis ni l’UE n’ont jamais conclu un partenariat de cette ampleur. Pour ce qui est de la durée des négociations, on ne sait pas combien de temps cela peut durer, et ce d’autant plus que les deux parties connaissent une phase de transition : le nouveau Parlement européen vient d’être élu, la nouvelle Commission ne siégera pas avant octobre, tandis que côté américain, les élections de mi-mandat sont prévues pour novembre et les démocrates pourraient y perdre le Sénat. Mais, a souligné Marc Vanheukelen, les deux parties ont besoin de croissance et sont conscientes de l’enjeu que représente la fenêtre de tir dont ils disposent pour influer sur le futur cadre réglementaire des échanges commerciaux. "Maintenant que la décision est prise, l’échec n’est pas une option", a conclu le chef de cabinet de Karel De Gucht pour expliquer la détermination des deux parties à parvenir à un accord fructueux.

Pour le gouvernement luxembourgeois, les questions des citoyens exigent des réponses

Le ministre des Affaires étrangères étant en voyage, c’est Léon Delvaux, haut fonctionnaire du Ministère des Affaires étrangères, qui a présenté la position du gouvernement luxembourgeois.

De son point de vue, le TTIP est un sujet qui interpelle, et les questions des citoyens exigent des réponses. Le gouvernement s’est montré jusqu’ici très ouvert au dialogue, a souligné le diplomate en rappelant que Jean Asselborn avait participé au débat à la Chambre en mars dernier, que les réunions en commission avaient aussi été suivies, que les positions du gouvernement avaient été rappelées en réponse à des questions parlementaires et qu’une réunion avait permis à 8 ministres de rencontrer une plateforme d’ONG opposées au TTIP fin juin.

Pour le gouvernement, le modèle économique et social européen ne doit pas être remis en question par le TTIP, a rappelé Léon Delvaux, et de ce point de vue, le mandat donné à la Commission pour négocier est sans ambiguïté, a-t-il expliqué.

En matière de transparence, Léon Delvaux a souligné que le Conseil n’était pas uni sur la question de la publication du mandat de négociations, et il a expliqué qu’une série de démarches avaient été entreprises en ce sens en format Benelux. Jean Asselborn sera à Washington le 14 juillet, et il donnera aux représentants qu’il rencontrera le sentiment qui se fait jour dans l’opinion publique européenne en ce qui concerne la transparence, a assuré le diplomate.

Le TTIP est toutefois avant tout une opportunité pour l’UE et pour le Luxembourg, a poursuivi Léon Delvaux. L’UE est le plus grand acteur économique et commercial au monde et nous avons donc les moyens de négocier sur un pied d’égalité avec les Etats-Unis, a-t-il souligné, sans compter que la Commission, qui est dotée d’un mandat sans ambiguïté, a une grande expérience et beaucoup d’expertise. Le diplomate a corroboré les dires de Marc Vanheukelen en soulignant lui aussi que le volet réglementaire était essentiel et que l’UE et les USA avaient intérêt à écrire ensemble et maintenant les règles du commerce mondial.

Et puis, a ajouté le diplomate, il ne faut pas perdre de vue les intérêts offensifs de l’UE, dont les entreprises sont par exemple exclues des marchés publics américains. L’enjeu est donc de trouver un équilibre entre les intérêts de chacun, et ce dans le cadre des lignes rouges qui sont clairement définies, a résumé Léon Delvaux. Pour ce qui est du Luxembourg, le diplomate a souligné que le Grand-Duché était une des économies les plus ouvertes au monde et qu’il avait toujours profité du libre-échange. Sans compter que les Etats-Unis sont le premier partenaire commercial du Luxembourg, où 10 000 emplois ont été créés par des entreprises américaines.