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Commerce extérieur
TTIP – Les négociations sur l’accord de libre-échange UE-USA ont fait l’objet d’une audition publique à la Chambre des députés : Le volet "Démocratie, droits des consommateurs, protection des données personnelles, arbitrage"
11-07-2014


Quelle position adopter face aux négociations sur un accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne ? Afin de peser le pour et le contre d'un tel partenariat, la Commission des Affaires étrangères et européennes de la Chambre des députés a organisé une audition sur le TTIP qui s’est tenue toute la journée du 11 juillet 2014 en présence des députés de la commission, des eurodéputés luxembourgeois, de membres du gouvernement et de l’administration, mais aussi de représentants de la société civile, qu’ils soient membres d’ONG ou de d’organisations professionnelles.

Après une introduction au cours de laquelle Marc Vanheukelen, directeur de cabinet du commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, et Léon Delvaux, diplomate du Ministère des Affaires étrangères luxembourgeois ont pu présenter les grands enjeux du débat du point de vue de leurs institutions respectives, l’audition publique s’est ouverte sur un premier volet consacré au volet "Démocratie, droits des consommateurs, protection des données personnelles, arbitrage".

Le TTIP sera-t-il un accord mixte qui nécessitera la ratification par les parlements nationaux des 28 Etats membres ?

Le député Fernand Kartheiser (ADR) a lancé une première question portant sur l’incertitude qui pèse sur la nature du traité : s’agira-t-il, du fait qu’il porte en partie sur des compétences partagées, d’un traité mixte qui sera ratifié par tous les Etats membres, ou bien portera-t-il exclusivement sur des compétences de l’UE, à savoir le commerce international, pour être dans ce cas ratifié uniquement par le Parlement européen ?

L’eurodéputé Claude Turmes (Verts/ALE) s’est montré très critique à l’égard du flou qui règne sur cette question de la ratification par les parlements nationaux. De son point de vue, les pro-TTIP de la Commission ne sont pas assez fous pour aller dans ce sens et il craint que la Commission ne cherche à entretenir le flou jusqu’au bout pour in fine décider de ne pas soumettre le texte à la ratification des 28 parlements des Etats membres.

Le député Justin Turpel (Déi Lénk) a lui aussi demandé pourquoi attendre la fin des négociations pour décider s’il s’agirait ou non d’un traité mixte.

Marc Vanheukelen a expliqué que le terme de traité mixte relevait d’un concept juridique, et non politique. Si Karel De Gucht veut, politiquement, l’assentiment de tous les Etats membres, savoir si le traité sera mixte ou pas relève d’une question éminemment juridique puisque le traité de Lisbonne donne une compétence exclusive à l’UE en matière de commerce extérieur. Ce serait utile si la CJUE pouvait créer de la clarté sur cette question de mixité, a-t-il souligné.

Mais le chef de cabinet de Karel De Gucht  a toutefois précisé qu’étant donné le large champ de domaines couverts par le TTIP, il lui semblait très vraisemblable qu’il s’agirait d’un accord mixte. Il a rappelé la procédure propre à un accord de cette nature : la signature du traité est faite par la Commission après autorisation par le Conseil, avant ratification par le Parlement européen. Une mise en œuvre provisoire est alors possible jusqu’à ce que la mise en œuvre finale soit possible après approbation par les parlements nationaux des 28 Etats membres.

Le député Marc Angel, qui préside la commission des Affaires étrangères à l’origine de cette audition, a informé l’assistance qu’une lettre avait été adressée à Karel De Gucht par les parlements nationaux des 28 Etats membres afin de plaider pour que le TTIP soit bien un traité mixte. Et il n’a pas manqué de relever que le commissaire au Commerce s’était prononcé en faveur du caractère mixte du texte dans une tribune parue dans le journal Die Zeit en juin 2014.

Le diplomate Léon Delvaux a expliqué au nom du gouvernement qu’il partait du principe que ce sera un accord mixte.

Le champ des négociations

Le périmètre exact du champ des négociations a fait l’objet de plusieurs questions au cours du débat. Comme l’a souligné Léon Delvaux à la fin de la discussion, pour l’instant, il n’y a d’accord sur rien, ce qui signifie que le périmètre du futur TTIP reste encore inconnu.

Blanche Weber, du Mouvement écologique, a ainsi souligné que le mandat des négociations était gigantesque et couvrait un nombre tel de domaine que les résultats en seraient impossibles à contrôler. Et elle juge du coup inacceptable que le Parlement européen et les parlements nationaux seront réduits à dire oui ou non à un traité aussi global. A ses yeux, le TTIP ne va pas aider l’Europe à se rapprocher des citoyens, bien au contraire, puisqu’avec ces négociations, elle met en cause le principe de subsidiarité et notre système de gouvernance.

Marc Vanheukelen n’a pas manqué de lui rétorquer qu’on ne faisait que ce qui était prévu par le traité de Lisbonne, qui prévoit que le Conseil donne mandat, que la Commission négocie, que le Conseil dise ensuite oui ou non à ce qui a été négocié, avant que les parlements n’aient eux aussi à se prononcer pour ou contre l’accord négocié.

Services publics, services financiers et droits des consommateurs

Le député Laurent Mosar (CSV) a souligné d’emblée que les services publics n‘étaient plus inclus dans le champ des négociations mais qu’ils étaient inclus dans celui d’un autre traité en cours de négociation, le TISA. Pourquoi, quelle relations entre les deux traités ? Sir cet accord, dont il a été question à plusieurs reprises dans les débats, Marc Vanheukelen a expliqué qu’il s’agissait d’un accord plurilatéral négocié au sein de l’OMC depuis 2012. Il a fallu deux ans pour que l’architecture de ce futur traité soit compatible avec le Gatts, a-t-il souligné. Le chef de cabinet du commissaire au Commerce a rappelé les réserves horizontales sur les services publics que l’UE a obtenues dans le cadre du Gatts, mais aussi dans le cadre d’autres accords commerciaux avec le Canada, la Corée du Sud ou l’Ukraine par exemple. Il en sera de même pour le TTIP, a-t-il assuré, en indiquant que c’était clairement dit dans le mandat de négociations et en précisant que ses interlocuteurs américains n’ont jamais exigé la libéralisation des services publics.

Autre interrogation, l’inclusion des services financiers dans le champ des négociations, un sujet qui ne manque pas d’importance pour la place financière luxembourgeoise. Bob Schmitz, de l’ULC, a ainsi relevé que l’Europe poussait pour discuter de ce sujet dans les négociations, alors que les Etats-Unis n’y tiennent pas. Marc Vanheukelen a confirmé qu’à cette heure, les services financiers n’étaient pas inclus dans le périmètre des négociations, malgré la volonté européenne de le faire. Mais les démocrates américains s’y opposent, en rétorquant aux Européens qu’ils veulent "affaiblir leur réglementation financière". (voir l’intervention de l’ABBL dans le volet économique)

Bob Schmitz, de l’ULC, a rapporté avoir entendu début juin que le droit des contrats et le droit des consommateurs seraient exclus du champ des négociations. Il souhaitait avoir confirmation de ce fait car il s’inquiète de voir freinée la protection des consommateurs européens et luxembourgeois. Il a cité pour exemple l’économie circulaire, que veut promouvoir la Commission, en soulignant que ce concept était inconnu aux Etats-Unis et qu’il voyait difficilement comment l’économie circulaire pourrait être promue avec le TTIP. Le droit contractuel et le droit des consommateurs ne seront pas remis en cause, lui a assuré Marc Vanheukelen en répétant ce qu’il avait dit en introduction, à savoir que notre souveraineté réglementaire n’est pas en cause.

La protection des données sera un enjeu important du TTIP

C’est Viviane Reding, eurodéputée et ancienne commissaire en charge de la justice et des droits fondamentaux, qui a mis sur la table la question de la protection des données. "J’ai tout fait pour que les négociations portant sur les données personnelles soient terminées afin qu’elles n’influencent pas le TTIP", a-t-elle relaté. Mais, à son grand regret, il n’en sera rien et elle a assuré qu’on ne pourra éviter que la question des données personnelles soit un enjeu très important pour le TTIP. En effet, la réforme de la législation européenne sur la protection des données, qui devrait notamment permettre de forcer les entreprises qui opèrent en Europe à appliquer les règles de protection des données européennes, n’est pas encore arrivée au terme de son parcours législatif.

De plus, l’accord bilatéral UE-USA sur la protection des données négocié il y a trois ans désormais risque de ne jamais être signé et ratifié, a expliqué Viviane Reding qui a refusé de le signer tant que les Américains refusent la réciprocité pour que les Européens puissent se défendre devant les Cours américaines. Enfin, les règles de "safe harbour" qui encadrent les échanges de données dans l’exercice des relations commerciales ne sont pas du tout "safe", a fait valoir Viviane Reding. Et si douze points sur treize ont pu être négociés pour mieux protéger ces données, le treizième, qui porte sur l’exception dans l’intérêt stratégique des Etats-Unis, constitue une pierre d’achoppement assez importante pour qu’elle ait refusé de signer.

Gérard Lommel, président de la CNPD, a confirmé l’inquiétude des autorités de protection des données. En effet, la perspective d’un coup de fouet dans les échanges commerciaux transatlantiques du fait du TTIP  risquent de révéler plus crûment encore qu’aujourd’hui les points de faiblesse du cadre européen de protection des données personnelles tel qu’il existe. Il sera par exemple difficile de faire respecter les droits des citoyens face à des entreprises établies dans des pays tiers (car toutes n’ont pas, comme Google qui a pu être jugé de ce fait, une succursale en Europe). Sans compter le manque d’effectivité des règles, et le fait que la législation n’est plus adaptée à l’évolution technologique. Avec le TTIP, les autorités de protection des données vont être entre le marteau et l’enclume, craint Gérard Lommel. Idéalement, pour le rassurer, il faudrait que la réforme de la protection des données soit adoptée, que les règles du safe harbour soient renforcées et que le marché nique soit complété lorsque le TTIP entrera en vigueur.

La transparence : défiance de la société civile

L’eurodéputé Claude Turmes a moqué vertement la concession faite par les Américains en matière de transparence qu’avaient évoquée pendant l’introduction Marc Vanheukelen et Léon Delvaux, qui a souligné qu’il y voyait une avancée. "Nous allons devoir nous déplacer dans les ambassades américaines pour avoir le droit de lire le texte qui est sur la table des négociations, mais c’est dire que la première grosse bataille a été perdue !", a réagi l’eurodéputé.

Bob Schmitz, de l’ULC, a interpellé Marc Vanheukelen sur les questions de  transparence. Il raconte s’être intéressé de près à un papier de position initiale de la Commission européenne publié en  septembre 2013 pour se faire une idée sur le chapitre horizontal des négociations portants sur la cohérence réglementaire. Dans cette position initiale, les services financiers et les ceintures de sécurité sont classés dans la même catégorie, à savoir des "produits",  a-t-il relevé, ce qui le pousse à se poser beaucoup de questions. Mais il relève surtout qu’après le 5e round, en lisant le "state of play" des négociations, il a découvert l’existence de documents qui n’ont pourtant pas été publiés. Exemple, un papier de position initiale sur les services financiers. "Mais vous poussez vers quoi ?", a invectivé Bob Schmitz à l’adresse de Marc Vanheukelen.

"Une majorité de citoyens ne veulent pas que l’UE se dilue dans une vaste zone de libre-échange", a plaidé Claude Grégoire, de la plateforme Stop TAFTA pour dénoncer des négociations qui se font "dans le dos des citoyens". Il s’est dit étonné de la définition que la Commission donne au mot transparence et s’est interrogé sur la nécessité de se lier plus à un partenaire qui nous espionne tant.

Jean Huss, qui parlait lui aussi au nom de la plateforme Stop Tafta, a souligné que côté américain, il n’y avait aucun doute que la transparence sur le mandat de négociations était complète, vu les écoutes pratiquées par les services secrets américains. Il a aussi mis en garde contre le manque total de transparence dans le cadre du traité TISA qui se négocie depuis 2012 et porte sur la libéralisation et la privatisation des services publics.

Le député Justin Turpel s’est aussi moqué de l’attitude qui vise à dire qu’il ne faut pas dévoiler ses cartes dans une négociation. "La NSA les connaît, seuls les citoyens ne les connaissent pas", a-t-il lancé en demandant aux ONG si les quelques centièmes de points de croissance promis valaient selon elles la peine de sacrifier à la transparence. Seule Blanche Weber a répondu, affirmant au nom du Mouvement écologique que la proportionnalité n’était pas donnée.

Marc Hemmerling, de l’ABBL, s’est montré lui aussi offusqué par le manque d’informations et de données factuelles que déplore l’ABBL. "Nous n’avons jamais été impliqués dans quoique ce soit", a-t-il lancé en réaction aux déclarations de Marc Vanheukelen en introduction. Si nous arrivons à un accord, qui va contrôler l’exécution de ces dispositions, a encore demandé Marc Hemmerling en soulignant que les Américains n’ont pas d’amis mais des intérêts, et que l’enjeu était de taille pour le secteur financier. Il n’a pas eu de réponse à cette question.

Léon Delvaux a souligné les efforts faits par la Commission en matière de transparence, tout en relevant aussi que le nombre de débats est de plus en plus important dans tous les Etats membres. La position du Luxembourg est claire en matière de transparence a-t-il conclu en rappelant que le gouvernement était prêt à répondre à toute question individuelle portant sur le TTIP.

Sera-t-il possible de sortir du TTIP une fois qu’il sera ratifié ?

Claude Grégoire, de la plateforme Stop TAFTA, a souligné que le TTIP risquait d’être un "traité de l’irréversibilité" qui allait donner plus de pouvoirs aux multinationales en privant les citoyens de la possibilité de décider du cadre dans lequel ils vivent. Il ne sera pas possible d’en sortir, craint-il en dénonçant une démocratie qui n’offre que l’ultralibéralisme, comme si c’était une loi de la nature.

Chaque traité international a des clauses d’abrogation, a répondu Marc Vanheukelen. Sortir d’un traité requiert a priori la même procédure que de le créer, a-t-il précisé.

Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE)

Si Marc Angel n’a pas manqué de souligner que le Luxembourg était réticent à l’idée d’ancrer le mécanisme de RDIE dans le TTIP, une méthode jugée obsolète pour un pays partenaire de l’OCDE, la question est revenue à maintes reprises dans le débat.

Justin Turpel est revenu sur la position du ministre Asselborn qui, selon lui, aurait défendu la pratique du RDIE avant de changer de position. Ce à quoi Marc Angel a expliqué que le ministre n’avait pas défendu le RDIE, mais avait juste constaté que cette pratique était très répandue dans les accords commerciaux.

Claude Turmes a ainsi souligné que, lors du débat que les eurodéputés verts ont eu le 9 juillet dernier avec Jean-Claude Juncker, que le Conseil européen vient de proposer pour assumer le poste de président de la prochaine Commission européenne, ce dernier aurait jugé qu’il ne voyait aucune nécessité à avoir recours à une cour d’arbitrage dans la mesure où les juridictions européennes et américaines sont performantes. Il se demande donc ce qui va se passer, en évoquant aussi les 90 0000 réponses reçues par la Commission dans le cadre de sa consultation publique sur le RDIE.

Marc Vanheukelen a jugé intéressant de voir comment l’opinion publique découvrait l’existence de cours d’arbitrage qui existent depuis 40 ans. 1 400 traités utilisent ce mécanisme, a-t-il souligné, et les plus grands utilisateurs en sont les Allemands et les Néerlandais. Ce mécanisme est même utilisé entre certains pays de l’UE, a-t- il précisé, en citant l’affaire Vattenfall qui oppose le gouvernement allemand et la multinationale suédoise Vattenfall qui exploite des réacteurs nucléaires en Allemagne, et dont le secteur a été frappé par la nouvelle politique de transition énergétique.

Pour ce qui est de la consultation publique ouverte par la Commission, Marc Vanheukelen a souligné qu’elle serait clôturée le 13 juillet mais qu’à ce jour, 88 000 réponses sur les 90 000 sont peu ou prou identiques. Les résultats ne seront connus qu’à l’automne et ce sera donc à la nouvelle Commission de décider. Mais le point de vue de la Commission est d’essayer d’avoir des dispositions standards pour créer un nouveau modèle de traité d’investissement applicable dans des relations avec d’autres partenaires.

Léon Delvaux a expliqué que le recours au RDIE figurait dans le mandat de négociations mais que le nombre d’Etats membres sceptiques était de plus en plus grand. La tendance se renforce et la position du Luxembourg est claire. Le diplomate doute que cette ligne ne finisse pas par s’imposer.

Un protocole interprétatif ?

L’eurodéputé libéral  Charles Goerens a plaidé pour que soit ajouté au TTIP un protocole interprétatif afin d’éviter toute ambiguïté sur les dispositions du traité. L’eurodéputé a souligné que le Parlement européen aurait son mot à dire et que des accords comme Swift ou ACTA avaient essuyé des échecs dans l’hémicycle justement à cause du manque de clarté de certaines de leurs dispositions. Les questions qui n’ont pas de réponses aujourd’hui devront en avoir avant le vote au Parlement européen, a prévenu Charles Goerens.

Marc Vanheukelen, qui est en train de travailler tous les soirs avec les Canadiens pour peaufiner le traité CETA, a souligné à quel point chaque ligne de chaque article d’un tel traité est pesée.

L’interconnexion avec cet autre traité, à savoir celui négocié avec le Canada (CETA) a d’ailleurs été mise en avant par Jean Huss, de la plateforme Stop Tafta. Il se demande quand ce traité va arriver devant le Parlement européen et s’inquiète de ses conséquences.

Les articles des traités ont une valeur juridique, a rappelé Marc Vanheukelen. Et, s’il a assuré Charles Goerens qu’il ne manquerait pas de parler de sa requête à Karel De Gucht, il lui a aussi confié qu’il craignait que négocier un protocole interprétatif soit aussi compliqué que négocier les dispositions du traité lui-même.