Le 5 août 2014, la radio socio-culturelle luxembourgeoise 100komma7 a diffusé un reportage sur un récent avis très critique délivré par la Banque centrale européenne au sujet de la forme que doit prendre le nouveau Comité pour le risque systémique au Luxembourg.
Lors de sa réunion en Conseil le 12 février 2014, le gouvernement luxembourgeois avait adopté un projet de loi portant création d’une telle autorité macro-prudentielle nationale, en réponse aux recommandations du Comité européen du risque systémique (CERS) du 22 décembre 2011 enjoignant les États membres à créer un comité, ainsi que la recommandation du 4 avril 2013 sur les objectifs intermédiaires et les instruments de la politique macro-prudentielle.
Le Conseil européen du risque systémique a été institué en septembre 2010, en réponse à la rise financière et à la nécessaire adaptation de la surveillance, qui portait jusque-là exclusivement sur l’aspect micro-prudentiel. Ce CERS est chargé de coordonner la politique macro-prudentielle dans l’UE et d’aider à la prise de décision des autorités nationales ou européennes.
Les comités nationaux que le CERS a enjoint les Etats membres d’instituer doivent surveiller la stabilité de la place financière nationale, identifier les risques et maintenir des contacts avec le comité européen ainsi que les autres comités nationaux. Pour ce faire, le Comité systémique national peut notamment "identifier, évaluer et faire un suivi des risques pesant sur la stabilité financière ; désigner les établissements financiers et infrastructures d’importance systémique au Luxembourg ; émettre des avis, alertes en cas de risque majeur pour la stabilité financière ; (…) formuler des recommandations adressées à la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), au Commissariat aux assurances (CAA), à la Banque centrale du Luxembourg (BCL) et à tout autre acteur", comme le rappelle la BCE dans son avis signé par son président, Mario Draghi.
Le 28 mars 2014, le ministère des Finances luxembourgeois avait adressé deux demandes de consultation à la Banque centrale européenne (BCE). Le premier avis concernait ce projet de loi portant création d’un Comité pour le risque systémique. Le deuxième avis portait sur un second texte de loi, adopté le même jour par le conseil de gouvernement, visant la transposition de la directive du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement.
L’avis de la BCE, rendu public durant le mois de juillet 2014, s’étend dans une très large mesure sur le premier texte de loi.
Le second texte de loi attire peu d’observations. Il désigne notamment la CSSF en qualité d’autorité compétente dans le contexte du Mécanisme de surveillance unique (MSU). La BCE se félicite que "l’éventail le plus large possible d’instruments macro-prudentiels y compris le coussin de conservation des fonds propres, le coussin de fonds propres contracycliques, le coussin pour les EISm (G-SII), le coussin pour les autres EIS (O-SII) et le coussin pour le risque systémique" soit mis à la disposition de la CSSF, mais dénonce le "rôle insuffisant" joué par la BCL en la matière. Le texte prévoit également un mécanisme de concertation entre la CSSF, la BCL et le Comité du risque systémique salué par la BCE.
Or, comme l’a souligné la radio socio-culturelle, la principale critique de la BCE concernant le premier projet de loi, celui portant création du Comité du risque systémique est que "ni le comité ni la BCL n’ont les moyens pour mener à bien leur mission".
Le projet de loi instituant cet organe de surveillance financière prévoit qu’il soit composé de quatre membres : le ministre des Finances, qui en assure la présidence, les dirigeants de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) et du Commissariat aux assurances (CAA) ainsi que la BCL, qui se voit attribuer la tâche d’assurer le secrétariat du comité et d’assurer la présidence en cas d’absence du ministre qui en a la charge.
La BCE identifie comme première parmi cinq "déficiences" qu’elle enjoint le Luxembourg à combler, le fait que la BCL se voit assigner un rôle limité en matière de politique macro-prudentielle. La BCL "ne bénéficie d’aucun traitement préférentiel par rapport aux autres institutions représentées au sein du comité, que ce soit en termes de représentation, modalités de vote, possibilité de soumettre des propositions ou attribution de missions macro-prudentielles spécifiques", s’étonne la BCE. Or, les Banques centrales nationales disposent d’une expertise précieuse et endossent déjà des responsabilités dans le domaine de la stabilité financière. "Ceci vaut tout particulièrement pour la BCL, qui est en charge de la surveillance de la situation générale de la liquidité sur les marchés et qui a également pour mission de contribuer à la stabilité financière", note la BCE.
"L’attribution à la BCL de la seule fonction de secrétariat ne revient pas à [lui] donner le rôle de premier plan recommandé par le CERS", alors qu’il faudrait, à l’instar de ce qui a été fait pour les banques centrales allemande et française, également donner à la BCL de nouvelles missions, juge la BCE. Par ailleurs, le rôle de suppléant à la présidence du comité en cas d’absence du ministre, est tout autant insuffisant. "Le comité ne se réunit que peu fréquemment chaque année, la probabilité d’une absence du président est faible", fait-elle remarquer. De surcroît, le second projet de loi ne prévoit qu’un rôle accessoire pour la BCL en termes de décisions sur les fonds propres des institutions financières.
La BCE n’est pas beaucoup plus enchantée par les faibles pouvoirs accordés au comité du risque systémique. Pour cause, le comité a certes le droit d’émettre des avis et alertes ainsi que de formuler des recommandations. Toutefois, il ne dispose pas de pouvoir coercitif propre. "Une telle approche, selon laquelle le comité ne dispose d’aucun pouvoir coercitif propre, porte atteinte à la capacité du comité d’influencer la portée de la règlementation ou de créer de nouveaux instruments macro-prudentiels en réaction aux circonstances changeantes, ce qui revient à limiter sa capacité d’agir en matière de politique macro-prudentielle", tranche la BCE.
La BCE estime également que le fait que le comité peut uniquement obtenir des informations et statistiques collectées par les institutions représentées en son sein et d’autres institutions nationales en vertu du cadre institutionnel existant, et non pas demander à des agents des informations qui ne relèvent pas du champ des exigences de déclaration, limite également sa capacité d’action.
Par ailleurs, la BCE s’inquiète des limites que pourraient poser le secret professionnel à la collecte d’informations. Ce point fut également soulevé par le Conseil d’Etat dans son avis rendu le 5 mai 2014. "Les membres effectifs violeraient (…) leur propre secret professionnel s’ils transmettaient au comité du risque systémique" les données récoltées par leurs soins, "alors que la seule référence à l’article 458 du Code pénal ne suffit pas pour étendre le cercle des confidents couverts de manière à en faire une sphère du secret partagé", avait en effet prévenu le Conseil d’Etat.
"Les informations et statistiques ne peuvent être collectées, utilisées et partagées que dans le contexte des missions respectives de la BCL et du CAA. Il n’est dès lors pas parfaitement clair que de telles informations et données, en particulier celles qui concernent des entités individuelles surveillées par la BCL, puissent être transmises, en toute légalité, uniquement au comité dans le cadre du mandat de politique macro-prudentielle de ce dernier, ou si elles peuvent être aussi ultérieurement partagées avec d’autres institutions actives dans ce domaine", souligne la BCE en demandant que le texte de loi éclaircisse ce point.
Le Conseil d’Etat est d’avis que le comité ne devrait pas partager le secret professionnel des institutions que ses membres représentent, considérant que le traitement de données agrégées "n’empêcherait pas de faire adresser un message à un acteur individuel via son autorité de surveillance compétente représentée au comité".
Parmi les autres critiques formulées dans son avis, la BCE s’étonne également des modalités de vote retenues. Elle signale que la prise de décisions à l’unanimité risque de provoquer "une paralysie de la politique macro-prudentielle et du coup rendre illusoire l’efficacité du mécanisme", dans la mesure où chacun des membres du comité disposerait d’une sorte de droit de veto. L’institution demande en conséquence que les modalités de vote et de publication "soient plus flexibles" et recommande également de mettre plus de transparence dans les décisions du comité "qui ne devraient pas être entièrement laissées à la discrétion des autorités".
La BCE souligne également un manque de clarté s’agissant des fonctions du comité. Alors qu’il est censé pouvoir identifier des risques systémiques, formuler une politique en réaction à de tels risques et atténuer le risque systémique, la définition de sa mission se limite à "la mise en œuvre de la politique macro-prudentielle par les autorités représentées en son sein".
Enfin, la BCE critique la politique de publication du comité. Les décisions de politique macro-prudentielle et leur motivation sont censées être rendues publiques en temps utile, sauf si une telle divulgation comporte des risques pour la stabilité financière, avance-t-elle. Or, le projet de loi prévoit que leur publication se décide à l’unanimité des voix exprimées.
La transparence "est de la plus grande importance étant donné qu’elle assure également que les politiques et mesures des autorités sont expliquées exhaustivement et comprises par les parties prenantes", souligne Mario Draghi.
Le Conseil d’Etat, pour sa part, a appelé dans son avis à la "parcimonie" dans le recours à ces publications, alors que "des publications malencontreuses pourraient causer un dommage de réputation non négligeable aux acteurs visés, voire à tout ou partie du secteur financier luxembourgeois".
Pour finir son avis, la BCE s’en prend d’ailleurs à l’avis du Conseil d’Etat. Elle déplore que ce dernier recommande de limiter le champ d’actions du comité à de simples recommandations exclusivement adressées aux institutions existantes et propose d’éliminer toute mention du pouvoir hiérarchique du gouverneur à l’égard du secrétariat du comité. Cette dernière disposition "n’est pas compatible avec l’indépendance de la BCL et de son gouverneur", prévient la BCE qui conseille au législateur luxembourgeois "d’exercer la plus grande prudence eu égard à ces recommandations, qui affaibliraient indûment le cadre de la politique de macro-prudentielle adopté, résultant entre autres, en un retour inadéquat vers la politique micro-prudentielle".
Eu égard à ses nombreuses critiques, la BCE prévient qu’à moins que le projet de loi ne soit modifié conformément aux points de vue exprimés par la BCE dans son avis, elle devra être de nouveau consultée par la suite, pour inspecter sa conformité avec les textes européens.
Dans son avis, la BCE rappelle qu’« un cadre pour une politique macro-prudentielle (...) doit, en particulier, favoriser la capacité d’agir de cette autorité face à des menaces systémiques changeantes, assurant que cette dernière a accès aux informations et dispose d’un éventail approprié d’instruments macro-prudentiels". "Un tel cadre doit également assurer qu’une telle autorité agira, si nécessaire, et contrebalancera la tendance à l’inertie ou à l’intervention tardive résultant des difficultés rencontrées dans l’appréciation des bénéfices d’une action macro-prudentielle, une telle tendance étant souvent accentuée par les pressions du monde de la finance, les pressions politiques et le besoin de coordination entre autorités", souligne-t-elle.