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Commerce extérieur
Audition des commissaires désignés au Parlement européen – Cécilia Malmström, qui passe de l’intérieur au commerce, reste ambiguë sur la place du mécanisme de protection des investisseurs (ISDS) dans les accords commerciaux de l’UE
29-09-2014


cecilia malmstrom devant le parlement europeen le 29 septembre 2014 (European Union 2014 - EP)Désignée par le président-élu de la Commission, Jean-Claude Juncker, au poste de commissaire en charge du Commerce, Cécilia Malmström s’est engagée entre autres à restaurer la confiance des citoyens européens dans la politique commerciale de l'UE et à renforcer la transparence dans les négociations de libre-échange avec différents pays tiers lors de son audition devant la commission du commerce international (INTA) du Parlement européen, le 29 septembre 2014.

Née à Stockholm le 15 mai 1968, mariée et mère de deux enfants, la libérale suédoise Cécilia Malmström n’est pas une novice en politique. Titulaire, entre autres, d’un doctorat en sciences politiques de l’université de Göteborg, elle fut députée européenne de 1999 à 2006 avant d’occuper les fonctions de ministre des Affaires européennes dans le gouvernement suédois de 2006 à 2010, puis d’être nommée en 2010 commissaire en charge des Affaires intérieures dans la Commission Barroso II, fonction qu’elle occupe jusqu’à présent.

Ses objectifs

Il s’agira pour la commissaire d’assurer une transparence accrue des négociations commerciales à l'égard des citoyens, de donner un nouvel élan au processus multilatéral à l'OMC, de négocier de bons accords d'investissement et de libre-échange dans l'intérêt des grandes entreprises, des PME et des citoyens européens, d’améliorer l’efficacité des instruments de défense commerciale de l'UE, ou encore de garantir que le commerce soit un outil efficace de développement.

Le mécanisme ISDS, principale pierre d’achoppement

Comme cela était attendu, c’est le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI ou TTIP en anglais) qui a dominé les interrogations des députés. Lors de son audition, Cécilia Malmström s’est dite "étonnée" d’avoir entendu que la Commission négociait des normes de réglementation affaiblies derrière portes closes. "Je sais que cela n'est pas le cas, mais je sais qu'il faut rassurer l'opinion publique", a-t-elle souligné.

La commissaire s'est toutefois montrée ambiguë sur la question controversée de l'inclusion d’un mécanisme de protection des investisseurs (RDIE ou ISDS en anglais) dans l'accord en cours de négociation avec les USA, un dispositif déjà présent dans l’accord conclu formellement avec le Canada (AECG ou CETA en anglais) le 26 septembre 2014 et qui permettrait aux firmes multinationales de contester devant des tribunaux arbitraux ad hoc des politiques publiques qu'elles jugent néfastes pour leurs intérêts.

"Cette question est extrêmement préoccupante", a-t-elle concédé. "Je suis d'accord, il y a des problèmes avec l'ISDS, car il y a eu des abus dans l'utilisation de ce système. Il n'est pas très clair quant au droit de réglementer dans l'intérêt public. Ceci a laissé trop de marge d'interprétation, il faut modifier les choses pour limiter la possibilité d'abus […] Il faut veiller à ce que l'ISDS n'empêche pas de réguler dans les domaines de politiques publiques", a estimé la commissaire libérale.

"[L'ISDS] sera-t-il dans le TTIP ? Je ne sais pas. Je n'exclus pas que cela soit exclu", a-t-elle dit, tout en plaidant pour que la question fasse l’objet d’un large débat à la lumière des résultats de la consultation publique entamée par la Commission. "Mais discutons-en", a-t-elle insisté, jugeant toute décision immédiate "prématurée". Selon la commissaire, il serait en effet "possible de mettre sur pied un système qui évite les abus et assure une transparence complète. C'est ce que nous avons fait avec l'accord commercial avec le Canada", a-t-elle ajouté, jugeant comme son prédécesseur qu’une réouverture de ce chapitre signifierait la fin de l’accord. "Or, c'est un accord très important pour l'Europe". Pour mémoire, la Commission a publié, de concert avec le texte de l’accord CETA, une note sur les améliorations apportées au mécanisme contesté.

Une position plus timide que celle qui ressortait des réponses écrites transmises par la commissaire aux députés européens. Dans ce courrier, elle rappelait que Jean-Claude Juncker s’était engagé dans son discours d’investiture, le 15 juillet 2014 devant le Parlement européen, à ne pas "accepter" que "la juridiction des tribunaux des États membres de l’UE soit limitée par des régimes spéciaux applicables aux litiges entre investisseurs. L’État de droit et le principe d’égalité devant la loi doivent s’appliquer aussi dans ce contexte".

Pour le président de la Commission, le risque était jugé trop grand que "les normes européennes de sécurité, de santé, les normes sociales, les normes de protection des données ou notre diversité culturelle" soient "sacrifiées" sur "l’autel du libre-échange". "Je soutiens pleinement cette approche du président élu et je travaillerai dans ce sens dans les négociations qui sont en cours et où cette question est sur la table", écrivait Cécilia Malmström.

Les réactions des députés

Parmi les députés européens, la position de Cécilia Malmström a été jugée "inquiétante" par le Français Yannick Jadot (Verts/ALE). Selon l’écologiste, "Mme Malmström semble connaître les principaux dossiers, mais elle est déjà dans le moule fabriqué par ses prédécesseurs: recul politiquement inacceptable sur l’ISDS, les chapitres développement durable qui devront rester non contraignants, la foi inébranlable dans les vertus absolues du libre-échange", a-t-il déploré.

" La plupart de ses réponses reflètent positivement les priorités du groupe PPE dans le domaine du commerce" a déclaré l’eurodéputé allemand Daniel Caspary (PPE) qui a dit attendre d'elle qu’elle transforme les promesses en actions. "Par exemple, nous voulons voir les négociations de TTIP finalisées au cours de ce mandat".

Dans les rangs du groupe ADLE, la question du mécanisme ISDS inquiète. "C'est extrêmement choquant que l'accord UE/Canada ait été conçu sans avoir les résultats de la consultation publique et sans savoir si le CETA sera un accord mixte. Il ne faut pas accepter que demain des tribunaux privés s'imposent au-dessus de nos lois", a averti la Française Marielle De Sarnez.

Pour le groupe S&D, son président, l’Italien Gianni Pittella a estimé que si la commissaire auditionnée avait montré "de la compétence et une connaissance raisonnable" de ses dossiers, "elle s'est contredite sur la question de l'ISDS". Or, souligne le député, "Jean-Claude Juncker a dit lui-même au Parlement qu'il était préoccupé par ce mécanisme lors de la séance plénière de juillet dernier. "Nous attendons donc de lui qu’il explique personnellement ce qu'il compte faire avec l'ISDS […] avant le vote du Parlement sur le collège des commissaires."

Dans le groupe de la Gauche unitaire (GUE/NGL), la députée italienne Eleonora Forenza, a jugé la prestation peu convaincante. Bien qu’elle "considère un signal important l’engagement à accroître la transparence dans la politique commerciale, les orientations politiques de Mme Malmström restent attachée à une approche néolibérale incapable de répondre à des défis tels que la défense des droits de l'homme, la lutte contre les inégalités et pour un développement plus équitable et durable".

Enfin, la Britannique Emma McClarkin pour le groupe des conservateurs et réformistes (ECR) a salué que la commissaire ait "démontré qu'elle a la vigueur pour le job. Nous avions espéré des réponses plus fortes, plus de détermination et plus de détails, mais elle a montré qu'elle est compétente pour ce travail".

Lors d'un vote le 30 septembre, la commission INTA du Parlement européen a finalement donné son feu vert pour la nomination de Cécilia Malmström par 26 voix pour, 10 contre et 5 abstentions.