Principaux portails publics  |     | 

Parlement européen - Commerce extérieur
Lors d’un débat animé sur l’accord CETA avec le Canada, une partie des eurodéputés réunis en plénière ont plaidé contre le mécanisme du règlement des différends entre investisseurs et Etats
16-09-2014


ceta-source-chambre-commerce-caLe Parlement européen réuni en plénière a discuté le 16 septembre 2014 sur l’accord économique et commercial global entre l’UE et le Canada, dit CETA en anglais. Plusieurs eurodéputés ont critiqué la présence d’un mécanisme sur le règlement des différends entre investisseurs et Etats (dit RDIE ou ISDS), tout en annonçant leur intention de voter contre l’accord. D’autres ont mis en avant les opportunités économiques qu’apporterait le traité et dénoncé des "discours alarmistes" des détracteurs.

Le commissaire européen chargé du Commerce, Karel de Gucht, a souligné que l’accord CETA offre des "opportunités" de croissance et de création d’emploi en donnant accès à un "marché important", dans sa déclaration au début du débat. L’accord place l’Union européenne sur des bases plus solides que les Etats-Unis, puisque les investisseurs européens recevraient le même voire un meilleur traitement que les concurrents américains, a soutenu le commissaire. "C’est le standard le plus élevé qu’on a dans un traité de libre-échange et c’est bien plus que le Canada a fait jusqu’alors", a-t-il dit. L’accord supprime pratiquement tous les tarifs douaniers, à l’exception de quelques produits agricoles qui seront protégés, a-t-il expliqué. L’accord n’aura pas d’influence sur la capacité des gouvernements nationaux d’offrir des services publics, a-t-il soutenu.

"Le mécanisme RDIE ne passera pas, c’est une évidence", estime Guillaume Balas (S&D)

Plusieurs eurodéputés ont émis leurs réserves quant au mécanisme RDIE, voire appelé à sa suppression. "Le mécanisme RDIE ne passera pas, c’est une évidence", a affirmé l’eurodéputé Guillaume Balas (S&D), en appelant la Commission européenne sortante "à la sagesse de laisser le travail" à la prochaine commission présidée par Jean-Claude Juncker, qui s’était publiquement opposé à une justice "parallèle" pour régler les différends entre Etats et investisseurs, un fait évoqué par plusieurs députés. Guillaume Balas a également critiqué le fait que la Commission européenne s’apprête à annoncer la fin des négociations lors du sommet UE-Canada le 26 septembre 2014, alors que les résultats approfondis d’une consultation publique sur la protection des investisseurs dans le cadre du TTIP, le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement avec les Etats-Unis, ne sont pas encore connus. "C’est une faille dans l’agenda qui est forte", a critiqué l’eurodéputé.

Les détracteurs du TTIP craignent en effet que l’accord CETA, dans lequel le mécanisme RDIE est toujours prévu, sert de modèle pour le TTIP. Pour l’eurodéputé Helmut Scholz (GUE), il est clair que "la population ne veut pas de ce mécanisme RDIE". En "ignorant" l’opinion publique et donc les résultats de la consultation, la Commission européenne "discrédite encore plus la politique européenne". L’eurodéputé Keith Taylor (ALE) a appelé à rejeter l’accord, comme le feront selon lui les Verts. Il a critiqué le maintien du mécanisme RDIE dans l’accord CETA alors que la consultation publique a "suscité 150 000 réactions". Selon lui, le mécanisme RDIE "compromet la démocratie". "Ce seront les grandes entreprises qui écriront notre législation plutôt que nos gouvernements", a-t-il mis en garde.

Pour l’eurodéputé Bernd Lange (S&D), qui préside la commission du commerce international au Parlement européen, les tribunaux d’arbitrage ne sont plus adaptés : "Ce mécanisme a été créé pour protéger les investisseurs contre des Etats non démocratiques. Aujourd’hui, il risque d’être utilisé contre les décisions démocratiques des parlements". Il a par ailleurs appelé à la publication intégrale du texte pour assurer une "discussion rationnelle".

Un mécanisme qui va "à l’encontre de principes fondamentaux d’un Etat de droit"

L’eurodéputé Michel Reimon (ALE) a précisé que le texte a déjà été publié par la société civile, ce qui représente à ses yeux un "scandale au niveau démocratique". Pour lui, le mécanisme RDIE est "antidémocratique" et le Parlement européen se priverait de ses possibilités de décisions" s’il l’acceptait. L’eurodéputé Joachim Schuster (S&D) a critiqué le fait que le Parlement européen "n’a pas pu vérifier le texte" et jugé que le mécanisme RDIE va à l’encontre de principes fondamentaux d’un Etat de droit, tout en appelant la Commission à réviser l’accord. Un avis également exprimé par Jörg Leichtfried (S&D) qui craint que les multinationales ne puissent se "soustraire" à l’Etat de droit.

Pour l’eurodéputée Anne-Marie Mineur (GUE), "il est clair que la population ne veut pas de ce traité". Selon elle, les milliers de réactions d’Européens contre le mécanisme RDIE ont été "balayées d’un revers de manche". "L’accord donne beaucoup de puissance aux grandes entreprises qui ont eu la possibilité de dire exactement ce qu’elles souhaitaient", critique-t-elle. Elle a appelé à ce que l’accord soit "mixte" et doive donc être ratifié par les parlements nationaux – une demande formulée par 16 parlements nationaux pour l’accord TTIP.

L’eurodéputé Yannick Jadot (ALE) a critiqué le manque d’informations. Il estime que l’accord comporte "beaucoup plus de risques que de bénéfices" et que de plus en plus d’Etats et de parlementaires s’opposeraient au mécanisme RDIE "parce qu’ils considèrent que c’est une  remise en cause leur capacité à décider démocratiquement". "Il faut que ce Parlement rejette l’accord Ceta, particulièrement s’il inclut la disposition RDIE", a-t-il déclaré. 

"Dire qu’on sera soumis au Canada, c’est de la caricature", estime Franck Proust (PPE)

Face à ces critiques, l’eurodéputé Franck Proust (PPE) a reproché aux détracteurs du CETA de "mélanger des arguments crédibles avec des théories du complot", tout en les accusant de répéter les positions des lobbies en prononçant des "discours alarmistes".  "Dire qu’on sera soumis au Canada, c’est de la caricature", a-t-il martelé, tout en concédant que la Commission européenne "arrive trop tard avec des arguments techniques face à une population qui a besoin d’arguments concrets".

D’autres eurodéputés ont rejeté les critiques contre le mécanisme RDIE qui ne sont "pas toutes justifiées", selon les propos de la Croate Ruza Tomasic (ECR). Il s’agit, selon elle, de "faire respecter le droit privé international" et de rendre les marchés européens "plus sûrs et plus attractifs aux investisseurs" qui auront "plus de garantie". Neuf Etats membres auraient par ailleurs déjà des règlements RDIE dans leurs traités bilatéraux, a-t-elle avancé. "Vu qu’on a perdu le marché russe, il faut chercher d’autres marchés", a-t-elle conclu.

Certains députés saluent l'ouverture du marché public canadien aux fournisseurs européens

Certains eurodéputés ont salué l’accord CETA comme une réussite, notamment du fait que le Canada va ouvrir ses marchés publics aux fournisseurs européens. Pour Marietje Schaake (ALDE), il s’agit en plus de la meilleure manière de compenser les producteurs européens sous le coup de l’embargo russe.

L’eurodéputé Salvator Cicu (PPE) s’est notamment félicité de la protection de plus d’une centaine de produits agricoles de qualité via des indications d’origines géographiques. Il juge que l’accord est important, mais pas suffisant puisque il faut soutenir plus les PME à trouver des débouchés.

L’eurodéputé Andrey Kovatchev (PPE) a réclamé les mêmes conditions pour tous les Etats membres, en appelant à lever les obligations de visas pour des pays comme la Bulgarie et la Roumanie.

Le commissaire au Commerce Karel de Gucht s'explique à la fin du débat

pe-debat-ceta-karel-gucht-140916A la fin du débat, le commissaire a tenté de répondre aux critiques. Il a rejeté l’argument selon lequel l’accord CETA est fait pour les multinationales, en estimant que ce ne sont "pas celles-ci qui ont besoin de traités de libre-échanges, mais les PME à qui on ouvre de nouveaux débouchés".

Karel de Gucht a par ailleurs promis que le texte intégral sera publié avant le sommet du 26 septembre 2014 et qu’il s’agit d’un texte "très sec" qui ne sera lu que par "peu de gens". "On ne cache rien", a-t-il ajouté, précisant que "toutes les auditions, tous les documents sont publics" et que ceci "va bien plus loin que ce qui se fait dans un tribunal commercial".

Quant à la consultation publique contre l’inclusion du mécanisme RDIE dans le TTIP, il a mis en avant qu’un tiers des réponses était identique et qu’un autre tiers disait simplement "on est contre", tout en promettant une publication d’une analyse approfondie d’ici quelques semaines. Il a ajouté que les négociations sur le CETA et le TTIP "ne sont pas identiques" et que le CETA "ne constitue pas un modèle pour le TTIP". 

Quant au mécanisme RDIE, le commissaire a précisé qu’il faisait partie du mandat de négociation tel qu’il a été approuvé par le Conseil des ministres. Il a ajouté qu’il s’agit du premier accord qui inclut des normes contraignantes qui lient les investisseurs, mais aussi une référence explicite à la possibilité des Etats de légiférer dans l’intérêt du public. Il a salué l’opportunité de "réforme du système RDIE" en faveur de laquelle la Commission s’est engagée et qui pourrait "servir de modèle pour le reste du monde". Une des nouveautés est, selon lui, que ceux qui perdent l’arbitrage devraient en payer les coûts et qu’il y aura une Cour d’appel qui se fondera sur les pratiques de l’OMC.

Le commissaire a précisé que pour le moment, seuls les investisseurs dont les Etats membres ont des accords bilatéraux  d’investissement avec le Canada seront protégés au Canada. Le mécanisme RDIE doit "garantir que les investisseurs puissent défendre leur droit, parce que l’accord CETA ne serait pas opposable devant un tribunal canadien", a-t-il expliqué. Il a par ailleurs ajouté que 15 % des arbitrages réalisés actuellement sont inter-européens et impliquent donc un Etat membre contre un autre.