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OGM - Un premier échange entre le Conseil et les eurodéputés de la commission de l’Environnement sur la future directive permettant aux Etats membres de restreindre ou d’interdire la culture d’OGM laisse présager des négociations ardues en trilogue
03-09-2014


Les eurodéputés de la commission de l’Environnement, réunis le 3 septembre 2014 sous la présidence de Giovanni La Via (PPE), ont eu un premier échange avec la Présidence italienne du Conseil au sujet du projet de directive qui devrait permettre aux Etats membres de restreindre ou d’interdire sur leur territoire la culture d’OGM.

Après trois ans de difficiles négociations sur ce sujet épineux, le Conseil est parvenu à dégager sa position au mois de juin 2014, un compromis sur lequel le Luxembourg s’est abstenu. L’enjeu est désormais de parvenir à un accord en deuxième lecture avec le Parlement européen qui avait adopté sa position sur ce dossier dès juillet 2011. Pour rappel, la Commission avait mis sur la table une proposition en juillet 2010.

Tania Venturelli est donc venue prendre langue avec les eurodéputés de la commission Environnement au nom de la présidence italienne afin de préparer le travail de négociations qui va commencer sur la base d’un projet de position commune qui sera soumis aux parlementaires européens pendant la session plénière de septembre 2014.Les eurodéputés de la commission ENVI réunis à Bruxelles le 3 septembre 2014 © European Union 2014 - EP

Pour la présidence italienne, ce dossier est une priorité législative, et la représentante de la présidence italienne n’a pas caché son espoir de parvenir à un accord le plus vite possible, si possible d’ici la fin de l’année. Pour la présidence italienne "les signaux très clairs de l’opinion publique" sont en effet interprétés comme "un devoir politique d’agir au plus vite".

Premier tour d’horizon de l’attitude des groupes politiques à l’égard du compromis trouvé au Conseil

Tania Venturelli a donc présenté un certain nombre d’aspects importants de l’accord trouvé, lesquels n’ont pas manqué de soulever de la part des eurodéputés nombre de réactions et de questions qui laissent présager des négociations difficiles. Si nombre de questions trouveront leur réponse au cours des négociations, comme l’a promis la représentante de la présidence, l’attitude à adopter face à ce compromis ne semble pas faire consensus pour l’instant.

Frédérique Ries (ALDE), qui reprend le dossier des mains de Corinne Lepage et sera donc rapporteur sur ce texte, a ainsi été la première à soulever bon nombre de questions qui sont loin d’être marginales et qui devront être éclaircies, même si elle a bien souligné la nécessité d’agir dans un système grippé où des procédures d’autorisation sont bloquées d’une part, tandis que des procédures d’interdiction sont d’autre part désavouées par la justice dans plusieurs Etats membres.

Côté PPE, Elisabeth Köstinger, qui est rappporteur fictif, a émis un avis partagé sur un compromis qu’elle juge meilleur que la proposition initiale, tout en soulignant que le Parlement européen s’était montré clairement plus exigeant sur un certain nombre de points dans sa position. Peter Liese a pour sa part insisté sur la nécessité d’être pragmatique pour parvenir enfin à un accord avec le Conseil. Les différences entre les positions du Parlement européen et du Conseil ne sont à ses yeux "pas si dramatiques".

Gilles Pargneaux, rapporteur fictif pour le groupe S&D, le Parlement européen doit "concrétiser l’essai" et, s’il convient d’indiquer que la position du Conseil est une étape importante, il a plaidé pour une "véritable seconde lecture" afin de parvenir à un texte qui doit "être amélioré".

Bart Staes, rapporteur fictif pour les Verts/ALE, inquiet des conséquences que pourrait avoir une "renationalisation" de la décision sur la culture d’OGM, a pour sa part affiché une position plus tranchée encore, annonçant que son groupe continuerait de défendre la position adoptée par le Parlement européen en première lecture en attendant que Jean-Claude Juncker, futur président de la Commission européenne, concrétise les propositions qu’il avait esquissées lors de son audition devant le Parlement européen le 15 juillet dernier : il avait garanti qu’il ferait en sorte que les règles de procédure pour l’autorisation des OGM soient revues. Michèle Rivasi a rappelé que Jean-Claude Juncker avait qualifié la procédure d’autorisation des OGM actuelle de "non-démocratique" et elle attend donc de voir ce qu’il va proposer, ce qui est un des préalables qu’elle a posés avant de pouvoir prendre position. Sur ce point stratégique, le représentant de la Commission a indiqué que la position exprimée par Jean-Claude Juncker était nouvelle et qu’il allait falloir l’étudier et la clarifier. Mais il a aussi précisé que l’agriculture européenne dépendait beaucoup de l’importation d’OGM pour nourrir les animaux de ferme. Si l’on devait décider de ne plus recourir aux OGM, le coût économique serait donc très important, et il s’agirait par conséquent d’une décision politique majeure. Quant à la représentante du Conseil, elle a dû souligner que l’objectif de la proposition n’était pas de changer un système d’octroi des autorisations largement critiqué de toutes parts, mais de résoudre les problèmes auxquels font actuellement face les Etats membres opposés à la culture d’OGM sur leur territoire. C’est une éventuelle proposition de la future Commission Juncker qui pourra faire changer le système, ce qui ne dépend en rien du Conseil puisque c’est la Commission qui a le droit d’initiative.

Quant à Lynn Boylan, rapporteur fictif pour le groupe GUE/ALE, elle estime elle aussi que le compromis du Conseil n’est qu’une première étape.

Cette première discussion ouverte permet en tous cas d’identifier clairement quels seront les principaux sujets qui vont être discutés en trilogue. Car en dehors du fait que tout le monde s’entend, dans l’ensemble sur la nécessité d’agir, les futures pierres d’achoppement du trilogue sont de taille.

La base juridique et la forme juridique de l’acte

La base juridique choisie par le Conseil, qui est celle que la Commission avait proposée initialement , est celle régissant le fonctionnement du Marché intérieur, et ce parce que cet objectif a été jugé "prépondérant" par les Etats membres, ainsi que l’a rappelé Tania Venturelli.

Un choix qui diffère donc de la position du Parlement européen qui s’était prononcé pour que le texte se base sur l’article du traité portant sur l’Environnement. Pourquoi la base juridique proposée par le Parlement européen n’a-t-elle pas été retenue par le Conseil ? Cette question posée par Frédérique Ries a été reprise de façon quasi unanime par les eurodéputés qui sont intervenus à sa suite. Comme l’a rappelé l’eurodéputée libérale, le Parlement européen avait choisi une base juridique qui permettrait de donner plus de souplesse aux Etats membres dans les arguments qu’ils pourront avancer pour justifier leur décision de restreindre ou interdire la culture d’OGM sur leur territoire. Pour le rapporteur fictif du groupe socialiste, comme pour celui des Verts, c’est la solidité de cette base juridique qui pose question.

Alors que la Commission européenne avait proposé un texte de Règlement, le Conseil s’est entendu sur un projet de Directive, forme juridique qui leur a semblé plus "appropriée pour un texte applicable aux décisions des États membres mais ne s'appliquant pas directement aux opérateurs", ainsi que l’a rappelé Tania Venturelli. Ce choix a interpellé plusieurs eurodéputés, et notamment le rapporteur, qui s’est demandée pourquoi les Etats membres en avaient décidé ainsi. Renate Sommer (PPE) s’est, elle, interrogée sur les conséquences que pourrait avoir ce choix, ce qui dépendra de la façon dont les Etats membres transposeront le texte. Mais elle s’inquiète pour sa part plus des risques pour le fonctionnement du marché intérieur et pour la liberté d’entreprise des cultivateurs.

La sécurité juridique et les interrogations sur la procédure

Tania Venturelli a présenté aux eurodéputés la principale nouveauté introduite par le Conseil dans sa position, à savoir un mécanisme d’opt out en deux phases dont l’objectif est, selon le Conseil, de "garantir la sécurité juridique" des Etats membres qui souhaiteraient limiter ou interdire la culture d’OGM sur leur territoire.

Le projet du Conseil prévoit ainsi une première phase permettant aux Etats membres de demander, par l’intermédiaire de la Commission, de limiter la portée géographique de l’autorisation à l’entreprise demandant une autorisation de mise en culture.

En cas de refus, une deuxième phase permettrait aux Etats membres de limiter la culture de l’OGM en question sur son territoire, à condition qu’il puisse arguer d’une motivation de caractère impératif.

Par ailleurs, une disposition ajoutée en fin de négociations permettrait aux Etats membres de limiter ou interdire la culture d’OGM après la fin de la procédure d’autorisation dans le cas où apparaîtrait un nouvel élément objectif pouvant le motiver, a ajouté la représentante de la présidence italienne. "Cela correspond à une exigence du Parlement qui, en première lecture, demandait des dispositions provisoires en attendant l'entrée en vigueur du nouveau texte", a souligné Tania Venturelli. Mais le rapporteur fictif du groupe des Verts, Bart Staes, s’est étonné que cette possibilité d’opt out ne soit possible que dans les deux années qui suivent l’octroi d’une autorisation.

La "sécurité juridique" avancée par le Conseil a toutefois été fortement mise en doute par plusieurs parlementaires. Elisabeth Köstinger a ainsi souligné la nécessité de préciser clairement la procédure de façon à garantir la sécurité juridique aux Etats membres qui refusent la culture d’OGM. Gilles Pargneaux, qui voit dans ce texte une étape importante pour assurer plus de sécurité juridique aux Etats membres s’est quant à lui demandé si ce texte ne risquait pas de conférer un poids exorbitant aux entreprises de biotechnologie dans le processus de décision. Pour Bart Staes, qui s’indigne lui aussi du rôle donné aux entreprises dans la procédure, la position du Conseil n’est pas assez forte juridiquement pour éviter qu’un Etat membre ne soit mis en difficulté par les producteurs d’OGM. Michèle Rivasi s’est, elle, inquiétée du fait que le texte soit "incomplet juridiquement" vis-à-vis de l’OMC. L’eurodéputée écologiste a aussi fait part de ses inquiétudes quant au TTIP dans ce contexte, craignant que le mécanisme de règlement des différends (RDIE) prévu dans l’accord en cours de négociations avec les Etats-Unis ne permettent à Monsanto d’attaquer un Etat devant une Cour d’arbitrage.

Du point de vue de la Commission, le compromis trouvé au Conseil assure la sécurité juridique, scientifique et garantit la protection des consommateurs. La sécurité juridique des Etats membres opposés à la culture d’OGM en serait ainsi "bien renforcée" par rapport à la situation actuelle, puisque les clauses de sauvegarde manquent de solidité juridique et ont été rejetées par des Cours suprêmes nationales.  Ce qui vaudrait selon lui tant au niveau communautaire qu’international.

Quant à la procédure, et notamment la première phase introduite par le Conseil, elle n’a pas manqué de soulever elle aussi question. Frédérique Ries a évoqué les nombreux fantasmes que faisait déjà naître le déroulement potentiel des négociations entre Etat membre et entreprise demandant une autorisation. La principale question qui se pose est de savoir comment la Commission va exercer son rôle de facilitateur, un point sur lequel le rapporteur du texte s’est dit "perplexe".

Frédérique Ries a soulevé la question de la conditionnalité et de la complémentarité avec l’objectif premier du texte, qui est de permettre aux Etats membres d’interdire ou de limiter la culture d’OGM sur leur territoire. Aussi, l’eurodéputée se demande pourquoi il est nécessaire de conditionner la phase 2 à l’utilisation de la phase 1, ce qui risque de rendre la deuxième phase "complètement marginale", et pourrait même être le "but avéré" du Conseil.

Pour le représentant de la Commission, la phase 1 a été introduite pour "débloquer le bourbier au niveau du Conseil" et elle a le mérite d’essayer de clarifier la situation entre deux acteurs de façon courtoise. Certes, a-t-il précisé, il conviendra de définir la procédure selon laquelle la Commission va jouer son rôle d’entremetteur, mais son rôle sera de transmettre la position d’un Etat membre à l’entreprise, et il juge très vraisemblable que les entreprises accepteront les demandes des Etats membres dès cette phase.

La représentante de la présidence italienne a voulu opposer à "l’indignation" suscitée par l’introduction de cette phase le fait qu’il ne s’agissait en rien d’une phase de négociation avec les entreprises, mais d’un moyen de garantir la sécurité juridique aux Etats membres dès le début de la procédure de demande d’autorisation de mise en culture. Elle a répété que la demande faite par un Etat membre de limiter la portée géographique de l’autorisation se ferait certes par l’intermédiaire de la Commission, mais n’appellerait pas d’autre réponse qu’un oui ou un non. En cas de silence de l’entreprise, il sera par ailleurs clair que la portée géographique de l’autorisation sera limitée, a précisé la fonctionnaire italienne.

La liste des motifs que pourront invoquer les Etats membres

Les motivations qui pourront être avancées par les Etats membres lors de la phase 2 du mécanisme d’opt out feront l’objet d’une liste dont la représentante du Conseil a bien insisté sur le fait qu’elle serait "ouverte" pour donner la flexibilité maximale aux Etats membres. Elle a cité comme exemple une éventuelle entrave aux objectifs de la PAC, d’éventuels impacts socio-économiques ou encore la nécessité d’éviter la présence d’OGM dans d’autres produits.

"Le Parlement européen veut une liste des motifs précise et subdivisée en catégories", a affirmé aussitôt Frédérique Ries qui juge la liste avancée par les Etats membres "très édulcorée". Gilles Pargneaux souhaiterait lui aussi voir insérer de nouveaux motifs dans une liste plus précise.

La rapporteur a aussi soulevé la question des arguments scientifiques complémentaires qu’un Etat membre pourrait avancer pour un opt out. Elle a aussi demandé à ce que soient précisés les motifs environnementaux "distincts" des aspects évalués par l'EFSA évoqués dans le texte.

Le représentant de la Commission a expliqué que s’il y avait des éléments scientifiques nouveaux en matière d’environnement, de risque pour la santé humaine ou animale, il faudrait que l’EFSA en tienne compte, plutôt qu’un Etat membre puisse prendre des mesures lui-même directement en matière environnementale. Pour ce qui est d’autres éléments nouveaux pouvant motiver un Etat membre dans son choix de l’opt out, comme le maintien d’un paysage, d’un habitat, ou d’un écosystème par exemple, il faudra que ce soit étudié de près. Mais dans tous les cas, a-t-il conclu, l’EFSA doit être interrogée pour savoir si cela peut modifier l’avis qu’elle a émis précédemment.

Le renforcement de l’évaluation des risques

Le renforcement de l’évaluation des risques par l’EFSA a été demandé notamment par les eurodéputés verts et socialistes qui sont intervenus.  Le représentant de la Commission leur a répondu que d’énormes efforts avait été fait pour régler les problèmes de conflits d’intérêt dénoncés au sein de l’Agence. Et il a surtout insisté sur le fait que l’évaluation scientifique européenne était la plus sévère au monde, comme le montre le délai qu’il faut pour obtenir une autorisation : il est de 6 mois à 1 an en Argentine, aux Etats-Unis ou au Brésil contre 5 à 10 ans dans l’UE. On peut améliorer l’évaluation scientifique, a-t-il aussi reconnu, en soulignant que les tests de toxicité opérés par l’EFSA étaient déjà passé sur 90 jours, et qu’une phase d’expérimentation était en cours pour qu’ils soient effectués sur une période de deux ans.

La coexistence et la responsabilité

La question de la coexistence des cultures et de la responsabilité financière qui en découle a été évoquée de façon récurrente par les eurodéputés de tous bords. Ces sujets essentiels sont en effet absents du compromis trouvé au Conseil, ce dont les parlementaires s’inquiètent grandement. D’une part parce que les Etats membres, à qui incombe la responsabilité financière en cas de contamination et de dommages aux filières traditionnelles et biologiques sont souvent en défaut. Et d’autre part parce que les semences et pollinisateurs ne connaissent pas de frontière. La demande des parlementaires est donc clairement d’établir un système de responsabilité et de réparation en cas de préjudice causé par les cultures OGM aux autres filières.